3. Comment briser le processus révolutionnaire
Si c'est ainsi que la Révolution entraîne l'immense majorité de ses
victimes, on se demande comment l'une d'elles peut se dégager de ce processus;
et si la façon de faire est différente de la méthode à utiliser pour convertir
à la Contre-Révolution les personnes emportées par la course révolutionnaire à
grande vitesse.
A - La diversité des voies du Saint Esprit
Personne ne peut fixer de limites à l'inépuisable variété des voies de Dieu
dans les âmes. Il serait absurde de réduire en schémas une matière si complexe.
On ne peut donc, dans ce domaine, aller au delà de l'indication de quelques
erreurs à éviter et de quelques attitudes prudentes à proposer.
Toute conversion est le fruit de l'action du Saint-Esprit qui, parlant à
chacun selon ses besoins, tantôt avec une sévérité majestueuse, tantôt avec une
douceur maternelle, ne ment néanmoins jamais.
B - Ne rien cacher
Ainsi sur l'itinéraire de l'erreur vers la vérité, il n'y a pour l'âme ni
les silences fourbes de la Révolution, ni ses métamorphoses frauduleuses. Rien
ne lui est caché de ce qu'elle doit savoir. La vérité et le bien lui sont
enseignés intégralement par l'Eglise. Ce n'est pas en dissimulant
systématiquement le terme ultime de sa formation, mais en le montrant et en le faisant
désirer toujours davantage que l'on obtient des hommes le progrès dans le bien.
La Contre-Révolution ne doit donc rien dissimuler de sa face. Elle doit
faire siennes les très sages normes établies par saint Pie X sur la conduite
habituelle du véritable apôtre : "il n'est ni loyal ni digne de dissimuler
en la couvrant d'un drapeau équivoque, sa qualité de catholique, comme si
c'était une marchandise avariée et de contrebande"48. Les
catholiques ne doivent pas "couvrir comme d'un voile les préceptes les
plus importants de l'Evangile, craignant de se voir moins bien écoutés,
peut-être même abandonnés"49. A quoi le saint Pontife ajoutait
judicieusement: "Sans doute, quand il s'agira d'éclairer des hommes
hostiles à nos institutions et complètement éloignés de Dieu, la prudence
pourra autoriser à ne proposer la vérité que par degrés. "S'il vous faut
trancher des plaies - dit saint Grégoire - palpez-les d'abord d'une main
légère". Mais ce serait transformer une habileté légitime en une sorte de
prudence charnelle que de l'ériger en règle de conduite constante et commune,
et ce serait aussi tenir peu de compte de la grâce divine, qui n'est pas
accordée au seul sacerdoce et à ses ministres, mais favorise tous les fidèles
du Christ, afin que nos actes et nos paroles touchent leurs
âmes"50.
C - Le "choc" des grandes conversions
Tout en critiquant, comme nous l'avons fait, le schématisme en cette
matière, il nous paraît pourtant qu'une adhésion pleine et consciente à la Révolution,
telle qu'elle se présente in concreto constitue un péché immense, une apostasie
radicale, dont on ne peut revenir que par une conversion également radicale.
Or, selon l'Histoire, il semble que les grandes conversions aient
habituellement lieu par des transformations intérieures foudroyantes,
provoquées par la grâce à l'occasion de quelque fait interne ou externe. Ces
transformations différent selon le cas, mais présentent fréquemment certains
traits communs. Concrètement, la conversion du révolutionnaire en
contre-révolutionnaire, dans ses lignes générales, se passe souvent ainsi :
* a. Dans l'âme endurcie du pécheur qui, par un processus de grande
vitesse, est allé aussitôt à l'extrême de la Révolution, il reste toujours des
ressources d'intelligence et de bon sens, des tendances plus ou moins définies
vers le bien. Dieu, sans les priver jamais de la grâce suffisante, attend
souvent que ces âmes arrivent au plus profond de la misère pour leur faire voir
d'un seul coup, comme en un "flash" fulgurant, l'énormité de leurs
erreurs et de leurs péchés. C'est quand il fut tombé au point de vouloir se
rassasier des caroubes que mangeaient les porcs que le fils prodigue revint de
l'erreur et retourna à la demeure paternelle51.
* b. Dans l'âme tiède et myope, qui glisse lentement le long de la pente de
la Révolution, certains ferments surnaturels, non entièrement rejetés, sont
encore agissants ; il y a des valeurs de tradition, d'ordre, de religion, qui
crépitent encore comme des braises sous la cendre. Ces âmes peuvent aussi, en
un sain sursaut, dans un moment d'infortune extrême, ouvrir les yeux et raviver
en un instant tout ce qui en elles languissait et menaçait de mourir : c'est la
mèche encore fumante qui se rallume52.
D - La plausibilité de ce "choc" de nos jours
Or toute l'humanité se trouve dans l'imminence d'une catastrophe. C'est là
que semble résider précisément la grande occasion préparée par la miséricorde
de Dieu. Les uns et les autres - ceux de petite ou de grande vitesse - peuvent,
dans ce terrible crépuscule dans lequel nous vivons, ouvrir les yeux et se
convertir à Dieu.
Le contre-révolutionnaire doit donc profiter avec zèle de l'horrible
spectacle de nos ténèbres pour faire comprendre aux enfants de la Révolution -
sans démagogie, sans exagération, mais aussi sans faiblesse - le langage des
faits et produire ainsi en eux le "flash" sauveur. Indiquer
courageusement les périls de notre situation est un trait essentiel d'une
action authentiquement contre-révolutionnaire.
E - Montrer le visage total de la Révolution
Il ne s'agit pas seulement d'exposer le risque de disparition totale de la
civilisation dans lequel nous nous trouvons. Il faut savoir montrer, dans le
chaos qui nous environne, le visage total de la Révolution dans l'immensité de
son horreur. Chaque fois que ce visage se manifeste, surgissent des élans de
vigoureuse réaction. C'est pour ce motif qu'à l'occasion de la Révolution
française et au cours du XIXe siècle, il y eut en France un mouvement
contre-révolutionnaire plus profond qu'il n'y en eût jamais auparavant dans ce
pays. Jamais on n'avait si bien vu le visage de la Révolution. L'immensité du
gouffre, dans lequel l'ordre antique de choses avait sombré, avait mis en
lumière pour bien des gens toute une gamme de vérités niées ou cachées au cours
des siècles par la Révolution. Son esprit, surtout, s'était manifesté dans
toute sa malice et dans toutes ses connexions profondes avec des idées et des
habitudes réputées innocentes durant des siècles par la majorité des personnes.
Le contre-révolutionnaire doit ainsi démasquer fréquemment le visage général de
la Révolution afin d'exorciser le sortilège que celle-ci exerce sur ses
victimes.
F - Signaler les aspects métaphysiques de la Contre-Révolution
Comme nous l'avons vu, la quintessence de l'esprit révolutionnaire consiste
à haïr, par principe et sur le plan métaphysique, toute inégalité et toute loi,
spécialement la Loi Morale.
L'un des points les plus importants du travail contre-révolutionnaire est
donc d'enseigner l'amour de l'inégalité du point de vue métaphysique, l'amour
du principe d'autorité, ainsi que celui de la Loi Morale et de la pureté; car
l'orgueil, la révolte et l'impureté sont précisément les facteurs qui poussent
le plus les hommes dans le sentier de la Révolution53.
G - Les deux étapes de la Contre-Révolution
* a. Une fois obtenue la modification radicale du révolutionnaire en contre-révolutionnaire,
voilà la première étape de la Contre-Révolution qui s'achève en lui.
* b. Vient ensuite une seconde étape, qui peut être assez lente, au cours
de laquelle l'âme adapte toutes ses idées et toutes ses manières de sentir à la
position prise durant l'acte de conversion.
* c. On peut ainsi diviser, dans bon nombre de cas, le processus de la
Contre-Révolution en deux grandes étapes bien différentes.
Nous avons décrit les étapes de ce processus dans une âme considérée
individuellement. Mutatis mutandis elles peuvent se présenter aussi pour de
grands groupes humains et même des peuples entiers.
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