37. «Mais lui, à ces mots,
s'assombrit et s'en alla contristé, car il avait de grands biens» (Mc 10, 22).
Le jeune homme riche de l'Évangile qui ne répond pas à l'appel de Jésus nous
rappelle les grands obstacles qui peuvent bloquer ou empêcher la réponse libre
de l'homme: non seulement les biens matériels peuvent fermer le coeur humain
aux valeurs de l'Esprit et aux exigences radicales du Règne de Dieu, mais
certaines conditions sociales et culturelles de notre temps peuvent aussi créer
de nombreuses menaces et imposer des visions déformées et fausses de la vraie
nature de la vocation, en rendant difficiles, sinon impossibles, l'accueil et
la compréhension elle-même.
Beaucoup ont de
Dieu une idée tellement générale et confuse qu'elle est voisine de formes de religiosité
sans Dieu, dans lesquelles la volonté de Dieu est conçue comme un destin
immuable et inéluctable auquel l'homme n'a qu'à s'adapter et se résigner en
pleine passivité. Mais ce n'est pas le visage de Dieu que Jésus Christ a voulu
nous révéler. En fait, Dieu est le Père qui, avec un amour éternel et
prévenant, appelle l'homme et noue avec lui un dialogue merveilleux et
permanent, l'invitant à partager, en fils, sa vie divine elle-même. Il est
certain qu'avec une vision erronée de Dieu, l'homme ne peut même pas
reconnaître ce qu'il est lui-même en vérité, puisque la vocation ne peut être
ni perçue, ni vécue dans sa valeur authentique: elle peut seulement être
ressentie comme un fardeau imposé et insupportable.
De même,
certaines idées fausses sur l'homme, souvent soutenues par des arguments
prétendument philosophiques ou «scientifiques», conduisent quelquefois l'homme
à comprendre son existence et sa liberté comme totalement déterminées et
conditionnées par des facteurs externes d'ordre éducatif, psychologique,
culturel ou social. D'autres fois, la liberté est entendue en termes
d'autonomie absolue, prétendant être la source unique et ultime des choix
personnels, se définissant comme affirmation de soi à tout prix. Mais, de cette
manière, il devient impossible de comprendre et de vivre la vocation comme un
libre dialogue d'amour qui naît de la communication de Dieu à l'homme et
s'achève, pour l'homme, dans le don sincère de lui-même.
Dans le
contexte actuel, on trouve aussi la tendance à penser le rapport de Dieu avec
l'homme d'une façon qui relève de l'indi vidualisme et de l'intimisme, comme si
l'appel de Dieu était adressé à chaque personne de manière directe, sans aucune
médiation communautaire, et comme s'il avait pour objectif un avantage, ou même
le salut de chaque candidat, et non pas le don total de lui-même fait à Dieu
pour le service de la communauté. Nous rencontrons également une autre menace
plus profonde, en même temps que subtile, qui empêche de reconnaître et de
recevoir avec joie la dimension ecclésiale inscrite naturellement dans toute
vocation chrétienne, et spécialement dans la vocation sacerdotale. En effet,
comme le rappelle le Concile, le sacerdoce ministériel acquiert sa
signification authentique et réalise sa pleine vérité dans le service et la
croissance de la communauté chrétienne et du sacerdoce des fidèles(105).
Le contexte
culturel que nous venons de rappeler, dont l'influence n'est pas absente chez
les chrétiens et spécialement les jeunes, aide à comprendre l'ampleur de la crise
des vocations sacerdotales elles-mêmes qui, à leur origine et durant leur
développement, ont affaire à de bien plus graves crises de foi. Les Pères
synodaux l'ont déclaré explicitement, reconnaissant que la crise des vocations
au presbytérat a de profondes racines dans le milieu culturel, dans la
mentalité et la pratique des chrétiens(106).
Dès lors, il
est urgent que la pastorale des vocations de l'Église s'applique résolument et
en priorité à reconstituer la «mentalité chrétienne», engendrée et soutenue par
la foi. Plus que jamais, l'évangélisation consiste à présenter inlassablement
le vrai visage de Dieu comme Père qui, en Jésus Christ, appelle chacun de nous,
ainsi que l'authentique sens de la liberté humaine, comme principe et force du
don responsable de soi. C'est seulement ainsi que seront posées les bases
indispensables pour que toute vocation, y compris celle des prêtres, puisse
être perçue dans sa vérité, aimée dans sa beauté, et vécue avec dévouement
total et joie profonde.
|