Les voies de
la reconstruction
Dans ce chaos,
il échut à Léon XIII de publier son message social,
basé sur la nature humaine et pénétré des principes
et de l'esprit de l'Evangile ; message qui, dés son apparition, suscita,
même au milieu d'oppositions bien compréhensibles, l'admiration
universelle et l'enthousiasme.
Ce
n'était certes pas la première fois que le Siège
apostolique s'occupait des intérêts matériels pour prendre
la défense des humbles. D'autres documents du même Léon
XIII avaient déjà aplani la route; mais cette fois étaient
formulées une synthèse organique des principes et une perspective
historique tellement vaste qu'elles firent de l'encyclique Rerum novarum une
Somme catholique en matière économique et sociale.
Ce ne fut pas
un acte dépourvu de courage. Tandis que certains osaient accuser
l'Eglise catholique de se borner, devant la question sociale, à
prêcher la résignation aux Pauvres et exhorter les riches à
la générosité, Léon XIII n'hésita pas
à proclamer et à défendre les droits légitimes de
l'ouvrier. S'apprêtant à exposer les principes de la doctrine
catholique dans le domaine social, il déclarait solennellement : « c'est
avec assurance que Nous abordons ce sujet, et dans toute la plénitude de
Notre droit ; car la question qui s'agite est d'une nature telle, qu'à
moins de faire appel à la religion et à l'Eglise, il est
impossible de lui trouver jamais une solution efficace. » (6)
Ils vous sont
bien connus, vénérables Frères, ces principes de base que
l'immortel Pontife exposait avec une clarté égale à
l'autorité et selon lesquels doit être réorganisé le
secteur économique et social de la société humaine.
Ceux-ci
concernent d'abord le travail, qui doit être traité non plus comme
une marchandise, mais comme une expression de la personne humaine. Pour la
grande majorité des hommes, le travail est la source unique d'où
ils tirent leurs moyens de subsistance. En conséquence, sa
rétribution ne peut pas être abandonnée au jeu automatique
des lois du marché. Elle doit, au contraire, être
déterminée selon la justice et l'équité, qui,
autrement, resteraient profondément lésées, même si
le contrat de travail avait été arrêté en toute liberté
entre les parties. La propriété privée même des
biens de production est un droit naturel que l'Etat ne peut supprimer. Elle
comporte une fonction sociale intrinsèque ; elle est donc un droit
exercé à l'avantage personnel du possédant et dans
l'intérêt d'autrui.
L'Etat, dont la
raison d'être est la réalisation du bien commun dans l'ordre temporel,
ne peut rester absent du monde économique ; il doit être
présent pour y promouvoir avec opportunité la production d'une
quantité suffisante de biens matériels, « dont l'usage est
nécessaire à l'exercice de la vertu » (7), et pour
protéger les droits de tous les citoyens, surtout des plus faibles,
comme les ouvriers, les femmes et les enfants. C'est également son
devoir inflexible de contribuer activement à l'amélioration des
conditions de vie des ouvriers.
C'est, en
outre, le devoir de l'Etat de veiller à ce que les relations de travail
se développent en justice et équité, que dans les milieux
de travail la dignité de la personne humaine, corps et esprit, ne soit
pas lésée. A cet égard, l'encyclique de Léon XIII
marque les traits dont s'est inspirée la législation sociale des
Etats contemporains ; traits, comme l'observait déjà Pie XI, dans
l'encyclique Quadragesimo anno (8), qui ont contribué
efficacement à l'apparition et au développement d'une nouvelle
branche du droit, « le droit du travail ».
Aux
travailleurs, affirme encore l'encyclique, on reconnaît le droit naturel
de créer des associations pour ouvriers seuls ou pour ouvriers et
patrons, comme aussi le droit de leur donner la structure organique qu’ils
estimeront la plus apte à la poursuite de leurs intérêts
légitimes, économiques et professionnels, et le droit d'agir
d'une manière autonome, de leur propre initiative, à
l'intérieur de ces associations, en vue de la poursuite de leurs intérêts.
Les ouvriers et
les employeurs doivent régler leurs rapports en s'inspirant du principe
de la solidarité humaine et de la fraternité chrétienne,
puisque tant la concurrence au sens du libéralisme économique que
la lutte des classes dans le sens marxiste, sont contre nature et
opposées à la conception chrétienne de la vie.
Voilà, vénérables Frères, les principes
fondamentaux sur lesquels repose un ordre économique et social qui soit
sain.
Nous ne
devons donc pas nous étonner si les catholiques les plus
éminents, sensibles aux avertissements de l'encyclique, ont
créé de multiples initiatives pour traduire ces principes dans
les faits. Dans la même direction et sous l'impulsion des exigences
objectives de la nature, des hommes de bonne volonté de tous les pays du
monde se sont aussi mis en branle. C'est pourquoi, à bon droit, l'encyclique a été et
continue à être reconnue comme la « grande charte » (9) de la reconstruction économique et
sociale de l'époque moderne.
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