L'Encyclique "Quadragesimo
Anno"
Pie XI, Notre
Prédécesseur de sainte mémoire, à quarante ans de
distance, commémora l'encyclique Rerum novarum par un nouveau
document solennel : l'encyclique Quadragesimo anno (10).
Dans ce document, le Souverain
Pontife rappelle le droit et le devoir pour l'Eglise d'apporter sa contribution
irremplaçable à l'heureuse solution des problèmes sociaux
les plus graves et les plus urgents qui tourmentent la famille humaine. Il
réaffirme les principes fondamentaux et les directives historiques de
l'encyclique de Léon XIII. Il saisit, en outre, l'occasion de
préciser quelques points de doctrine sur lesquels des doutes
s’étaient élevés parmi les catholiques eux-mêmes et
pour expliquer la pensée sociale chrétienne eu égard aux
conditions nouvelles des temps. Les doutes exprimés concernaient
spécialement la propriété privée, le régime
des salaires, le comportement des catholiques en présence d'une forme de
socialisme modéré.
Quant
à la propriété privée, Notre
Prédécesseur affirme à nouveau son caractère de
droit naturel, accentue son aspect et sa fonction sociale.
A propos
du régime des salaires, il rejette la thèse qui le déclare
injuste par nature ; il réprouve cependant les formes inhumaines et
injustes selon lesquelles il est parfois pratiqué ; redit et
développe les normes dont il doit s'inspirer et les conditions
auxquelles il doit satisfaire pour ne léser ni la justice ni
l'équité.
En cette
matière, indique clairement Notre Prédécesseur, il est
opportun, étant donné les conditions actuelles, de
tempérer le contrat de travail par des éléments
empruntés au contrat de société, de manière
à ce que « les ouvriers et employés soient appelés
à participer à la propriété de l'entreprise,
à sa gestion, et, en quelque manière, aux profits qu'elle apporte
» (11).
On doit considérer de la plus
haute importance doctrinale et pratique l'affirmation selon laquelle il est
impossible « d'estimer le travail à sa juste valeur et de lui attribuer
une exacte rémunération si l'on néglige de prendre en
considération son aspect à la fois individuel et social » (12).
En conséquence, pour
déterminer la rémunération du travail, la justice exige,
déclare le Pape, que l'on tienne compte non seulement des besoins des
travailleurs et de leurs responsabilités familiales, mais aussi de la
situation de l'entreprise, où les ouvriers apportent leur travail, et des
exigences de l'économie générale (13).
Entre le communisme et le
christianisme, le Pape rappelle que l'opposition est radicale. Il ajoute qu'on
ne peut admettre en aucune manière que les catholiques donnent leur
adhésion au socialisme modéré, soit parce qu'il est une
conception de vie close sur le temporel, dans laquelle le bien-être est
considéré comme objectif suprême de la
société ; soit parce qu'il poursuit une organisation sociale de
la vie commune au seul niveau de la production, au grand préjudice de la
liberté humaine ; soit parce qu'en lui fait défaut tout principe
de véritable autorité sociale.
Mais il n'échappe pas
à Pie XI que depuis la promulgation de l'encyclique de Léon XIII,
en quarante ans, la situation historique a profondément
évolué. De fait, la libre concurrence, en vertu d'une logique
interne, avait fini par se détruire elle-même ou presque ; elle
avait conduit à une grande concentration de la richesse et à
l'accumulation d'un pouvoir économique énorme entre les mains de
quelques hommes, « qui d'ordinaire ne sont pas les propriétaires, mais
les simples dépositaires et gérants d'un capital qu'ils
administrent à leur gré » (14).
Entre temps, comme observe avec
perspicacité le Souverain Pontife, « à la liberté du
marché a succédé une dictature économique. L'appétit
du gain a fait place à une ambition effrénée de dominer.
Toute la vie économique est devenue horriblement dure, implacable,
cruelle » (15), déterminant l'asservissement des pouvoirs publics aux
intérêts de groupes et aboutissant à
l'hégémonie internationale de l'argent.
Pour
porter remède à cette situation, le Pasteur suprême
indique, comme principes fondamentaux, une nouvelle insertion du monde
économique dans l'ordre moral et la poursuite des intérêts,
individuels ou de groupes, dans la sphère du bien commun. Ceci comporte,
selon son enseignement, le remaniement de la vie en commun moyennant la,
reconstruction des corps intermédiaires autonomes, à but
économique et professionnel, non imposés par l'Etat, mais
créés spontanément par leurs membres ; la reprise de
l'autorité par les pouvoirs publics pour assurer les tâches qui
leur reviennent dans la réalisation du bien commun ; la collaboration
économique sur le plan mondial entre communautés politiques.
Mais deux thèmes fondamentaux
caractérisent la magistrale encyclique de Pie XI et s'imposent à
notre considération.
Le premier interdit absolument de
prendre comme règle suprême des activités et des
institutions du monde économique, soit l'intérêt individuel
ou d'un groupe, soit la libre concurrence, soit l'hégémonie
économique, soit le prestige ou la puissance de la nation, soit d'autres
normes du même genre.
On doit,
au contraire, considérer comme règles suprêmes de ces
activités et des institutions la justice et la charité sociales.
Le second
thème recommande la création d'un ordre, juridique, national et
international, doté d’institutions stables, publiques et privées,
qui s'inspire de la justice sociale et auquel doit se conformer
l'économie ; ainsi les facteurs économiques auront moins de
difficultés à s'exercer en harmonie avec les exigences de la
justice dans le cadre du bien commun.
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