3. En
communauté ou dispersés, faire corps pour la mission
Ainsi exposée à l'individualisme de notre temps mais interpellée
par la passion de l'Eglise pour la "koinonia", notre vie
communautaire est nourrie par l'inspiration ignatienne depuis ses origines.
Déjà les premiers compagnons avaient le désir d'en venir
à former un seul corps apostolique - "nos reducere ad unum
corpus" -, parce que chacun d'eux avait entendu l'appel du Seigneur pour
assumer sa mission dans un même amour fraternel. Mais dès le
commencement aussi ils comprirent que cette mission ne pouvait se vivre dans
les limites d'un cloître ou dans une vie communautaire vécue comme
une fin en soi. D'où le besoin apostolique de faire corps dans un corps
universel, certes concrétisé aussi dans une communauté
locale, mais jamais exclusivement.
C'est l'envoi en mission qui anime et domine aussi bien la vie dans une
communauté locale que la nécessité d’œuvrer hors
d'une maison de la Compagnie. Comme les premiers compagnons, dispersés un peu
partout en raison de leur mission, aujourd'hui encore des jésuites sont
appelés à accomplir seuls une mission d'Eglise.
Déjà Maître Ignace s'ingéniait à créer
une vie communautaire qui, sans être liée à une maison
précise, fût fondée sur une communication constante, sur
une correspondance suivie et surtout sur une "ratio conscientiae"
dans laquelle la mission était vue et revue à la lumière
de la mission du Christ et comme participation à celle du corps
universel de la Compagnie. Dans le monde d'aujourd'hui, qui est devenu "un
village global" et offre tant de facilités de communication, la
Compagnie demande aux jésuites qui, en raison de leur mission, doivent
vivre "dispersés", qu'ils s'insèrent le plus possible
dans le discernement priant et dans le dynamisme apostolique de la Compagnie
universelle, en prenant une part active dans la vie d'une communauté
existante ou créée en fonction de ce but. Les
supérieurs majeurs qui ont comme responsabilité apostolique
première de renouveler annuellement la mission confiée à
chaque compagnon, auront une attention particulière à
l'égard de ceux qui accomplissent la mission de la Compagnie dans la
dispersion (cf. NC 317).
Si la vie communautaire locale n'épuise pas toutes les
possibilités d'accomplir la mission, elle n'existe pas non plus pour
elle-même, mais comme une occasion offerte au corps universel de la
Compagnie, qui unit tous ses membres sans exception, de concrétiser sa
mission: celle d'aider les gens à rencontrer leur Créateur et
Sauveur, surtout là où le Seigneur est peu ou mal connu et
reconnu. Les
congrégations générales ont discerné ce que
signifie concrètement cette mission pour notre temps et ont fixé
en conséquence des priorités apostoliques. Mais leurs paroles
resteront vaines tant que la vie communautaire, locale et dispersée, ne
les aura pas traduites en un programme ou projet de vie communautaire (NC 324,2).
Aucune vie communautaire ne peut se considérer comme une île
isolée. Pour être une expression du corps universel de la
Compagnie, elle doit agir en harmonie et en solidarité avec le
réseau apostolique de la province ou de l'assistance et faire siennes
les priorités apostoliques de toute la Compagnie. Quelles que soient les
formes de l'apostolat, aussi variées soient-elles, il n'y a aucune
raison d'en éliminer l'option pour les pauvres ou le souci du dialogue,
la proposition de la spiritualité ignatienne ou l'urgence d'être
proches des gens et de leur culture afin que le Christ puisse être
annoncé d'une manière qui parle vraiment à leur cœur
(NC 323). Un échange spirituel confiant et amical (NC 324) portera en
priorité sur cette mission commune à toute la Compagnie, en
l'adaptant aux conditions de la vie communautaire locale, qui est une
expression privilégiée, ici et maintenant, d'une
fraternité apostolique dispersée de par le monde (NC 314, 1).
La Compagnie est un corps universel porté par le dynamisme
apostolique des Exercices spirituels, et dont l'Esprit veut se servir pour
continuer la mission du Fils parmi les hommes et les femmes de notre temps,
surtout là où cette mission est inconnue ou méconnue, pour
la plus grande gloire de Dieu Père. Par rapport à l'exigence
apostolique de vivre et d'agir en tout en serviteurs de la mission du Christ,
en laquelle tous sont unis, la vie en commun est seconde, comme en fonction de
cette mission. Sans doute l'idéal commun de mission s'incarne-t-il dans
une activité apostolique concrète, au sein d'une culture, au
service d'un pays, en réponse à un besoin
déterminé. Mais il tire son sens et sa fin, son dynamisme et sa
vigueur d'un mouvement d'amour dont la source et le terme sont - selon les
paroles mêmes de Maître Ignace - dans la Trinité Sainte
(Const. 671). C'est de ce mouvement d'amour trinitaire que naît l'union
dans le corps universel de la Compagnie. Tout en fondant la vie communautaire
au service de la mission du Christ, il assure que cette vie demeure ouverte
à l'union avec le corps apostolique universel de la Compagnie dont,
avant tout, chacun est membre (cf. NC 314-315).
|