10. Discerner et porter ensemble la mission
Il nous est facile de récuser notre responsabilité
personnelle dans la vie communautaire, en prétextant que nous avons une
mission à accomplir et que le fait d'être bien ensemble n'est pas
un but en soi dans la spiritualité de la Compagnie. Dans une telle
perspective, toute minute passée en communauté est une minute
perdue: la mission d'abord! On survalorise alors le travail apostolique au
détriment de la vie communautaire, risque aussi réel – et aussi
sérieux – que celui de privilégier la vie communautaire au point
que les exigences apostoliques viennent à en souffrir. Pourtant, ni une
vie communautaire priante mais qui se refermerait sur elle-même sans
viser l'envoi en mission par le Seigneur de la Storta, ni un travail
apostolique coupé de sa source, le Seigneur, qui donne la
fécondité en se servant de l'instrument du corps apostolique, ne
peuvent se réclamer de la spiritualité ignatienne.
La "dispersion" est liée d'abord à notre
disponibilité à partir ailleurs, pour rejoindre une autre
communauté (NC 315). Elle peut aussi nous faire vivre dans
l'indépendance par rapport à une communauté (NC 317). Et
elle implique une grande diversité de travaux et d'activités.
Mais sans être sur le même chantier de travail, tous sans exception
sont appelés à être partie prenante de la mission de la
Compagnie. C'est la mission du Christ que chaque congrégation
générale essaie de concrétiser au niveau du corps
apostolique universel de la Compagnie et que chaque communauté locale
est appelée à réaliser dans le quotidien de l'ici et
maintenant. Même si chacun opère de son côté dans
cette diversité infinie d'activités que Maître Ignace a
voulu ouvrir pour la plus grande gloire de Dieu, aucun compagnon ne s'adonne
à une tâche individuelle. N'importe quel travail est marqué
par les priorités apostoliques qu'en réponse à l'appel
pontifical pour une nouvelle évangélisation, la 34ème
congrégation générale a proclamées: mission et
culture, mission et justice, mission et dialogue. Et c'est dans la vie
communautaire, qui est déjà mission, que la
sensibilité apostolique à ces priorités peut
s'acquérir et que le discernement sur la détermination concrète
d'un travail apostolique à accepter ou à modifier, à
accomplir ou à terminer, se fait dans la lumière de la mission du
Christ (NC 315). Quant à ceux auxquels est confiée la mission spécifique
de prier pour l'Eglise et la Compagnie, ils implorent, pour le labeur du corps
universel qui, dans la fidélité à sa mission,
s'ingénie à planter et à arroser, la
fécondité que Dieu seul peut donner.
Si nous nous comportons – souvent de manière inconsciente – comme
des propriétaires de notre travail apostolique, ou si nous
défendons une activité ou une institution apostolique comme le
dernier bastion, la dernière chasse gardée où le
"moi" se retrouve, nous ne sommes plus des serviteurs de la mission
du Christ. La mission est toujours reçue et toujours à recevoir comme
un bien communautaire, au niveau de la Compagnie universelle comme dans la vie
communautaire locale. C'est ainsi que nous nous affirmerons concrètement
responsables de la mission à l'égard du Seigneur. Et nous
pourrons intégrer dans cette mission le sens communautaire, la formation
permanente dont chaque activité a besoin, la détente
indispensable et la prière communautaire. Dans cette
dernière, spécialement, chacun prend du recul par rapport
à son activité personnelle et fait la preuve que sa tâche apostolique
n'a de sens que reçue comme une mission de tout le corps de la Compagnie
de Jésus, et ne porte de fruits qu'à condition d'être aussi
gratuite que la participation à la vie communautaire en tant que don de
Dieu.
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