«Suis-moi»
8. De l’examen du texte évangélique il ressort que ce regard
fut, pour ainsi dire, la réponse du Christ au témoignage que le
jeune homme avait donné de sa vie jusqu’à ce moment,
c’est-à-dire de sa fidélité aux commandements de Dieu:
«Tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse».
En même temps, ce «regard d’amour» fut une introduction à la
dernière phase de la conversation. Selon le texte de Matthieu, ce fut le
jeune homme lui-même qui ouvrit cette phase, car non seulement il affirma
que la fidélité à observer les commandements du
Décalogue avait caractérisé toute sa conduite antérieure,
mais il pose également une nouvelle question. Il demanda en effet: «Que me manque-t-il encore?».
Cette question est très
importante. Elle montre que dans la conscience morale de l’homme, et en
particulier de l’homme jeune qui forme le projet de toute sa vie, il y a une
aspiration à «quelque chose de plus». Cette aspiration se manifeste de
diverses manières, et nous pouvons la reconnaître aussi chez les
hommes qui semblent éloignés de notre religion.
Parmi les disciples des religions
non chrétiennes, surtout du Bouddhisme, de l’Hindouisme et de l’Islam,
nous rencontrons, depuis des millénaires déjà, des foules
de «spirituals» qui souvent quittent tout dès leur jeunesse pour adopter
un état de pauvreté et de pureté à la recherche de
l’Absolu qui se trouve au-delà de l’apparence des choses sensibles: ils
s’efforcent d’entrer dans un état de liberté parfaite, ils se
réfugient en Dieu avec amour et confiance, ils cherchent à se
soumettre de toute leur âme à ses décrets cachés.
Ils sont comme poussés par une voix intérieure mystérieuse
qui retentit en leur esprit, faisant écho en quelque sorte à la
parole de saint Paul: «Elle passe, la figure de ce monde», une voix qui les
conduit à la recherche de choses plus grandes et plus durables:
«Recherchez les choses d’en haut». Ils tendent au but de toutes leurs
forces; par un sérieux apprentissage, ils s’efforcent de purifier leur
esprit, parvenant parfois à faire de leur vie un don d’amour à la
divinité. Ce faisant, ils se dressent comme un exemple vivant pour leurs
contemporains, devant qui ils illustrent par leur conduite même le primat
des valeurs éternelles sur les valeurs fugitives et parfois
ambiguës qu’offre la société où ils vivent.
Mais c’est l’Evangile qui représente un point d’appui tout à
fait clair pour l’aspiration à la perfection, à «quelque chose de
plus». Dans le Discours sur la montagne, le Christ confirme toute la loi
morale, au centre de laquelle se trouvent les tables mosaïques des dix
commandements; en même temps, cependant, il confère à ces
commandements un sens nouveau, évangélique. Et tout est
ordonné – comme on l’a déjà dit – autour de l’amour, non
seulement en tant que commandement, mais aussi comme don: «L’amour de Dieu a
été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui
nous fut donné».
C’est dans ce contexte nouveau que l’on peut aussi comprendre le programme
des huit Béatitudes, qui ouvre le Discours sur la montagne dans
l’Evangile selon Matthieu.
Dans ce contexte, l’ensemble des commandements qui constituent le code
fondamental de la morale chrétienne se trouve complété par
l’ensemble des conseils évangéliques, qui exprime et
concrétise d’une manière particulière l’appel du Christ
à la perfection, qui est un appel à la sainteté.
Quand le jeune homme demande quelque chose «de plus»: «Que me manque-t-il
encore?», Jésus le regarde avec amour, et cet amour prend ici un sens
nouveau. L’homme est entraîné intérieurement, par l’Esprit
Saint, d’une vie selon les commandements à une vie consciente du don, et
le regard plein d’amour du Christ exprime ce «passage» intérieur. Et
Jésus dit: «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu
possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les
cieux; puis viens, suis-moi».
Oui, chers jeunes, mes amis! L’homme,
le chrétien, est capable de vivre la dimension du don. Et même
cette dimension est non seulement «supérieure» à la dimension des
seules obligations morales exprimées par les commandements, mais elle
est aussi «plus profonde» qu’elles et plus fondamentale. Elle manifeste une
expression plus riche du projet de vie que nous construisons dès la
jeunesse. La dimension du don crée aussi la stature adulte de toute
vocation humaine et chrétienne, comme il sera dit par la suite.
Pour le moment, je voudrais toutefois vous parler du sens particulier des
paroles que le Christ a dites au jeune homme. Et je le fais avec la conviction
que le Christ les adresse par l’Eglise à quelques-uns de ses jeunes
interlocuteurs de toutes les générations. De la nôtre aussi. Ces paroles-là
indiquent alors une vocation particulière dans la communauté du
Peuple de Dieu. L’Eglise retrouve le «suis-moi» du Christ à l’origine de
tout appel au service du sacerdoce ministériel, lié
simultanément dans l’Eglise catholique de rite latin au choix conscient
et libre du célibat. L’Eglise retrouve le même «suis-moi» du
Christ à l’origine de la vocation religieuse, où, par la
profession des conseils évangéliques (chasteté,
pauvreté et obéissance), un homme ou une femme adopte le
programme de vie que le Christ lui-même a réalisé sur la
terre, pour le Règne de Dieu. En prononçant les vœux
religieux, ces personnes s’engagent à donner un témoignage
particulier de l’amour de Dieu, supérieur à tout, et
également de l’appel à l’union avec Dieu dans
l’éternité qui s’adresse à tous. Il faut cependant
que quelques-uns en donnent, devant les autres, un témoignage
exceptionnel.
Je m’en tiens à évoquer seulement ces sujets dans la
présente lettre, car ils ont été déjà
exposés amplement ailleurs et à plusieurs reprises. Je les rappelle parce que dans le contexte
du dialogue du Christ avec le jeune homme ils reçoivent un
éclairage particulier, spécialement le thème de la
pauvreté évangélique. Je les évoque aussi parce que
l’appel du Christ, «suis-moi», précisément dans ce sens
exceptionnel et charismatique, se fait entendre le plus souvent dès la
jeunesse; et parfois cela se produit même dès l’enfance.
C’est pourquoi je voudrais vous dire, à vous tous les jeunes, en ce
moment important du développement de votre personnalité masculine
ou féminine: si un tel appel surgit dans ton cœur, ne le fais pas
faire! Laisse-le se
développer jusqu’à la maturité d’une vocation! Prends
ta part dans son développement, par la prière et la
fidélité aux commandements! «La moisson est abondante». Il est vraiment nécessaire que l’appel
du Christ parvienne à beaucoup: «Suis-moi». Il y a un énorme
besoin de prêtres selon le cœur de Dieu – et l’Eglise et le monde
d’aujourd’hui ont un énorme besoin du témoignage de vies
données sans réserve à Dieu: du témoignage de cet
amour du Christ lui-même, l’Epoux, qui rende présent d’une
manière particulière parmi les hommes le Règne de Dieu et
le rapproche du monde.
Permettez-moi, par
conséquent, de compléter encore les paroles du Christ Seigneur
sur la moisson qui est abondante. Oui, elle est abondante, cette moisson de
l’Evangile, cette moisson du salut!... «Mais les ouvriers sont peu
nombreux!». Peut-être cela est-il ressenti plus aujourd’hui que par le
passé, spécialement dans certains pays, et aussi dans certains
Instituts de vie consacrée et autres Sociétés de ce genre.
«Priez donc le Maître de la
moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson», poursuit le Christ. Et
ces paroles, spécialement à notre époque, deviennent un
thème de prière et d’action en faveur des vocations sacerdotales
et religieuses. Dans cette intention, l’Eglise se tourne vers vous, vers les
jeunes. Vous aussi: demandez! Et si
le fruit de cette prière de l’Eglise germe au plus profond de votre
cœur, écoutez le Maître vous dire: «Suis-moi».
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