Talents et tâches
12. Dans ce contexte de la
famille et de la société qu’est votre patrie, voici que
s’insère peu à peu un thème très proche de la
parabole des talents. Peu à peu, en effet, vous reconnaissez quel
«talent» ou quels «talents» vous sont propres, à chacun et à
chacune de vous, et vous commencez à vous en servir de manière
créatrice, vous commencez à les multiplier. Et cela se fait par le travail.
Dans ce domaine, quel immense éventail d’orientations possibles, de
capacités, de centres d’intérêt! Je ne m’attacherai pas
à les énumérer ici, même pas à titre
d’exemple, car on courrait le risque d’en omettre plus qu’on ne peut en prendre
en considération. Je
présuppose donc toute cette variété et cette
multiplicité d’orientations. Elle illustre aussi la richesse des
multiples découvertes que la jeunesse porte en elle. En se
référant à l’Evangile, on peut dire que la jeunesse est le
temps du discernement des talents. Elle est également le temps où
l’on commence à parcourir les multiples itinéraires au long
desquels se sont développés et continuent à se
développer toute l’activité de l’homme, son travail et sa
créativité.
Je vous souhaite à tous de faire la découverte de
vous-mêmes au long de ces parcours. Je vous souhaite d’y entrer avec
intérêt, avec empressement, avec enthousiasme. Le travail – tout
travail – revêt un caractère pénible. «A la sueur de ton
visage tu mangeras ton pain», et chacun et chacune de vous fait cette
expérience de la peine dès ses toutes premières
années. Cependant le travail
forme aussi l’homme d’une manière particulière et, en un sens, il
le crée. Il s’agit donc toujours d’une peine créatrice.
Cela concerne non seulement le
travail de recherche ou en général le travail intellectuel pour
acquérir la connaissance, mais aussi les travaux purement
matériels courants qui apparemment ne comportent rien de
«créateur».
Le travail caractéristique
du temps de la jeunesse constitue, avant tout, une préparation au
travail de l’âge adulte; il est donc lié aux études. Ainsi,
au moment de vous écrire ceci, à vous les jeunes, je pense
à toutes les écoles qui existent partout dans le monde,
auxquelles votre jeune existence est attachée pour plusieurs
années, à différents niveaux successivement, selon votre
degré de développement intellectuel et l’objectif que vous
recherchez, depuis l’école élémentaire jusqu’à
l’université. Je pense aussi à tous les adultes, mes
frères et sœurs, qui sont vos enseignants, vos éducateurs,
guides des jeunes esprits et des jeunes caractères. Comme leur tâche est grande! Quelle
responsabilité leur revient! Mais comme est grand aussi leur
mérite!
Je pense enfin à ces secteurs de la jeunesse, aux garçons et
aux filles de votre âge qui, notamment dans certaines
sociétés et certains milieux, sont privés de la
possibilité de l’instruction, souvent même de l’instruction
élémentaire. Cette réalité constitue un défi
permanent à toutes les institutions responsables à
l’échelle nationale et internationale: à un tel état de
choses, il faut apporter les améliorations nécessaires.
L’instruction, en effet, est un des biens fondamentaux de la civilisation
humaine. Elle a une particulière importance pour les jeunes. L’avenir de
toute société en dépend aussi dans une large mesure.
Cependant, alors que nous posons le problème de l’instruction, des
études, du savoir et de l’école, surgit un problème
d’importance fondamentale pour l’homme, et spécialement pour le jeune. C’est le problème de la
vérité. La vérité est la lumière de
l’intelligence humaine. Si dès la jeunesse l’intelligence cherche
à connaître la réalité dans ses diverses dimensions,
elle le fait pour posséder la vérité: pour vivre de la
vérité. Telle est la structure de l’esprit humain. La faim
de vérité constitue son aspiration et son expression
fondamentales.
Le Christ dit: «Vous connaîtrez la vérité, et la
vérité vous libérera». De toutes les paroles de
l’Evangile, assurément celle-ci est parmi les plus importantes. En fait, elle se rapporte à l’homme
dans sa totalité. Elle explique sur quoi se construisent de
l’intérieur la dignité et la grandeur propres à l’homme,
selon les caractéristiques de l’esprit humain. La connaissance qui
libère l’homme ne dépend pas seulement de l’instruction,
même de niveau universitaire – elle peut aussi bien être celle d’un
analphabète; cependant l’instruction, en tant que connaissance
systématique de la réalité, devrait servir cette
dignité et cette grandeur. Elle devrait donc servir la
vérité.
Le service de la
vérité s’exerce aussi par le travail, que vous serez
appelés à accomplir après avoir achevé le programme
de vos études. A l’école, vous devez acquérir les
capacités intellectuelles, techniques et pratiques qui vous permettront
de prendre utilement votre place dans le vaste monde du travail humain. Mais,
s’il est vrai que l’école doit préparer au travail, y compris le
travail manuel, il est vrai aussi que le travail lui-même enseigne des
valeurs grandes et importantes: il a sa propre force expressive, qui apporte
à la culture de l’homme une contribution appréciable.
Cependant, dans le rapport entre
formation et travail qui caractérise la société actuelle,
surgissent des problèmes très graves d’ordre pratique. Je
pense en particulier au problème du chômage et plus
généralement du manque d’emplois qui affecte diversement les
jeunes générations dans le monde entier. Cela – vous le savez
bien – entraîne d’autres questions qui, dès les années de
l’école, projettent une ombre d’insécurité sur votre
avenir. Vous vous demandez: – La
société a-t-elle besoin de moi? Pourrai-je, moi aussi, trouver un
travail adapté qui me permette de me rendre indépendant? De
former une famille dans des conditions de vie convenable et, avant tout, dans
un logement à moi? En somme,
est-il réellement vrai que la société compte sur ma
participation?
La gravité de ces
questions m’incite à rappeler une fois encore aux gouvernants et
à tous ceux qui exercent une responsabilité dans
l’économie et le développement des nations que le travail est un
droit de l’homme, et donc qu’il faut en assurer l’exercice en consacrant
à cette fin les efforts les plus soutenus et en mettant au centre de la
politique économique le souci de créer des postes de travail
adaptés à tous, surtout à l’intention des jeunes qui
souffrent si souvent aujourd’hui du fléau du chômage. Soyons tous
convaincus que «le travail est un bien de l’homme – il est un bien de son
humanité – car, par le travail, non seulement l’homme transforme la
nature en l’adaptant à ses propres besoins, mais encore il se
réalise lui-même comme homme et même, en un certain sens,
"il devient plus homme"».
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