Nous avons dit qu'une
autre cause des perturbations sociales consiste en ce que généralement on ne
respecte plus l'autorité de ceux qui commandent. Du jour en effet où on a voulu
placer l'origine de tout pouvoir humain, non plus en Dieu Créateur et Maître de
l'Univers, mais dans la libre volonté de l'homme, les liens de subordination
qui doivent rattacher les inférieurs aux supérieurs se sont affaiblis au point
de disparaître ou peu s'en faut. Un souffle effréné d'indépendance, accompagné
d'un orgueil obstiné, a pénétré peu à peu dans tous les esprits, sans épargner
même la société domestique, où la puissance paternelle découle si clairement de
la nature elle-même ; et, ce qui est plus déplorable encore, le sanctuaire
lui-même n'a pas été à l'abri de cette pernicieuse influence. De là provient le
mépris des lois, de là l'insubordination des masses, de là cette critique
effrontée de ce qui est commandé, de là ces mille prétextes imaginés pour
énerver la force du pouvoir, de là les forfaits atroces de ceux qui, faisant
profession de ne reconnaître aucune loi, ne respectent ni les biens ni même la
vie de leurs semblables.
En présence de cette dépravation dans les
idées et dans la conduite, qui tend à la destruction de toute société humaine,
Nous ne pouvons pas garder le silence, Nous à qui a été confié d'En-haut le
magistère de la vérité: nous rappelons aux peuples cette doctrine qui ne
saurait être modifiée par aucune volonté humaine: Non est potestas nisi a De:
quae autem sunt a Deo ordinatae sunt. (18)
Quiconque par conséquent est dépositaire du
pouvoir parmi les hommes, qu'il soit souverain ou subordonné, c'est en Dieu que
réside l'origine de son autorité. C'est pourquoi saint Paul proclame
l'obligation d'obéir, non pas d'une manière quelconque, mais religieusement,
c'est-à-dire par devoir de conscience, à ceux qui commandent en vertu de leur
autorité, à moins qu'ils ne prescrivent quelque chose de contraire aux lois
divines: Ideo necessitate subditi estote, non solum propter iram, sed etiam
propter conscientiam. (19) En conformité avec les paroles de saint
Paul se trouve l'enseignement du Prince même des Apôtres: Subiecti estote
omni humanae creaturae propter Deum : sive regi, quasi praecellenti; sive
ducibus, tamquam ab eo missis. (20) De cette doctrine l'Apôtre des
gentils déduit que résister obstinément à une puissance humaine légitime, c'est
résister à Dieu et se préparer un châtiment éternel: Itaque qui resistit
potestati, Dei ordinationi resistit. Qui autem resistunt, ipsi sibi
damnationem acquirunt. (21)
Avis aux
Princes et aux gouvernants : qu'ils se souviennent, et qu'ils voient s'il est
prudent et d'une utilité pratique, tant pour les pouvoirs publics que pour les
Etats, de se séparer de la religion sainte de Jésus-Christ, en qui leur
puissance puise tant de force et de solidité. Qu'ils fassent réflexion sur
réflexion, et qu'ils considèrent s'il est conforme à une sage politique de
vouloir exclure la doctrine de l'Evangile et de l'Eglise du gouvernement et de
l'instruction publique de la jeunesse. L'expérience ne l'a que trop démontré:
l'autorité des hommes est sans force, là où la religion est absente. Il en est
en effet des sociétés comme de notre premier père, une fois qu'il eut manqué a son
devoir.
A peine sa
volonté s'était-elle séparée de Dieu, que ses passions répudièrent avec
frénésie l'empire de la volonté; de même, à peine les gouvernements ont-ils
méprisé l'autorité divine, que les peuples se moquent à leur tour de l'autorité
humaine. Il reste sans doute l'expédient accoutumé, l'emploi de la force, pour
réprimer les révoltes; mais avec quel profit ? La force peut réprimer les
corps, mais non les âmes.
Dès qu'a été
enlevé ou affaibli ce double élément de cohésion de tout corps social, à savoir
l'union des membres entre eux par une charité réciproque et l'union des membres
eux-mêmes avec la tête par la soumission à l'autorité, qui pourrait s'étonner,
vénérables Frères, de voir la société actuelle divisée comme en deux camps, qui
soutiennent l'un contre l'autre une lutte continuelle et acharnée ? En face de ceux qui possèdent des richesses, dues à
leur patrimoine ou à leur travail, se dressent les prolétaires et les ouvriers,
brûlant de haine et d'envie, parce que, participant à une même nature, ils ne
partagent pas les mêmes avantages. Une fois en effet qu'ils ont été séduits par
les tromperies des meneurs, dont ils adoptent d'ordinaire les moindres
suggestions, comment leur faire comprendre que, tout en étant égaux par nature,
il ne s'ensuit pas qu'ils doivent avoir la même situation dans la vie, mais que
chacun, sauf des circonstances défavorables, occupe la place qu'il s'est
procuré par sa conduite? Et ainsi, quand les pauvres attaquent les riches,
comme si ces derniers s'étaient emparés du bien d'autrui, ils agissent non
seulement contre la justice et la charité, mais encore contre le bon sens,
attendu qu'ils pourraient, s'ils le voulaient, améliorer par un travail honnête
leur propre condition. A quelles conséquences, non moins désastreuses pour les
individus que pour la société, mène cette haine de classes, il est superflu de
le rappeler. Tous nous voyons et nous déplorons la fréquence des grèves, qui
arrêtent subitement le cours de la vie civile et nationale dans ses opérations
les plus nécessaires : il en est de même des soulèvements populaires et des
agitations, où l'on en vient souvent à l'emploi des armes et à l'effusion du
sang.
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