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Ioannes Paulus PP. II
Redemptor hominis

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  • III. L'HOMME RACHETÉ ET SA SITUATION DANS LE MONDE CONTEMPORAIN
    • 15. Ce que craint l'homme d'aujourd'hui
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15. Ce que craint l'homme d'aujourd'hui

Conservant donc bien vivante dans la mémoire l'image que le Concile Vatican II a tracée de manière si perspicace et si autorisée, nous chercherons encore une fois à adapter ce cadre aux «signes des temps», ainsi qu'aux exigences de la situation qui change continuellement tout en évoluant dans des directions déterminées.

L'homme d'aujourd'hui semble toujours menacé par ce qu'il fabrique, c'est-à-dire par le résultat du travail de ses mains, et plus encore du travail de son intelligence, des tendances de sa volonté. D'une manière trop rapide et souvent imprévisible, les fruits de cette activité multiforme de l'homme ne sont pas seulement et pas tant objet d'«aliénation», c'est-à-dire purement et simplement enlevés à celui qui les a produits; mais, partiellement au moins, dans la ligne, même indirecte, de leurs effets, ces fruits se retournent contre l'homme lui-même; ils sont dirigés ou peuvent être dirigés contre lui. C'est en cela que semble consister le chapitre principal du drame de l'existence humaine aujourd'hui, dans sa dimension la plus large et la plus universelle. L'homme, par conséquent, vit toujours davantage dans la peur. Il craint que ses productions, pas toutes naturellement ni dans leur majeure partie, mais quelques-unes et précisément celles qui contiennent une part spéciale de son génie et de sa créativité, puissent être retournées radicalement contre lui-même; il craint qu'elles puissent devenir les moyens et les instruments d'une auto-destruction inimaginable, en face de laquelle tous les cataclysmes et toutes les catastrophes connues dans l'histoire semblent pâlir. Une question doit donc surgir: pour quelle raison ce pouvoir donné à l'homme dès le commencement et qui devait lui permettre de dominer la terre se retourne-t-il contre lui-même, provoquant un état bien compréhensible d'inquiétude, de peur consciente ou inconsciente, de menace qui se communique de diverses manières à toute la famille humaine contemporaine et se manifeste sous toutes sortes d'aspects ?

Cet état de menace pour l'homme, venant de ses productions, se manifeste dans des directions différentes et comporte divers degrés d'intensité. Il semble que nous sommes toujours plus conscients du fait que l'exploitation de la terre, de la planète sur laquelle nous vivons, exige une planification rationnelle et honnête. En même temps, cette exploitation à des fins non seulement industrielles mais aussi militaires, un développement de la technique non contrôlé ni organisé au plan universel et d'une manière authentiquement humaniste, comportent souvent une menace pour le milieu naturel de l'homme, aliènent ce dernier dans ses rapports avec la nature et le détournent d'elle. L'homme semble souvent ne percevoir d'autres significations de son milieu naturel que celles de servir à un usage et à une consommation dans l'immédiat. Au contraire, la volonté du Créateur était que l'homme entre en communion avec la nature comme son «maître» et son «gardien» intelligent et noble, et non comme son «exploiteur» et son «destructeur» sans aucun menagement.

Le développement de la technique, et le développement de la civilisation de notre temps marqué par la maîtrise de la technique, exigent un développement proportionnel de la vie morale et de l'éthique. Ce dernier semble malheureusement rester toujours en arrière. Certes ce progrès est merveilleux et il est difficile de ne pas découvrir aussi en lui des signes authentiques de la grandeur de l'homme, dont la créativité se trouve révélée en germes dans les pages du livre de la Genèse, à commencer par la description de sa création ; cependant ce même progrès ne peut pas ne pas engendrer de multiples inquiétudes. La première inquiétude concerne la question essentielle et fondamentale: ce progrès, dont l'homme est l'auteur et le défenseur, rend-il la vie humaine sur la terre «plus humaine» à tout point de vue? La rend-il plus «digne de l'homme»? On ne peut douter que sous un certain nombre d'aspects il en est bien ainsi. Cette interrogation, toutefois, revient obstinément sur ce qui est essentiel: l'homme, comme homme, dans le contexte de ce progrès, devient-il véritablement meilleur, c'est-à-dire plus mûr spirituellement, plus conscient de la dignité de son humanité, plus responsable, plus ouvert aux autres, en particulier aux plus démunis et aux plus faibles, plus disposé à donner et à apporter son aide à tous?

C'est la question que les chrétiens doivent se poser, précisément parce que Jésus-Christ les a universellement sensibilisés au problème de l'homme. C'est aussi la même question que tous les hommes doivent se poser, spécialement ceux qui appartiennent aux milieux sociaux qui se consacrent activement au développement et au progrès en notre temps. En observant ces processus et en y participant, nous ne pouvons pas nous laisser prendre par l'euphorie, et pas davantage nous laisser transporter par un enthousiasme unilatéral pour nos conquêtes; mais nous devons tous nous poser, en toute loyauté et en toute objectivité, et avec un grand sens de responsabilité morale, les questions essentielles relatives à la situation de l'homme aujourd'hui et dans l'avenir. Toutes les conquêtes atteintes jusqu'ici, et celles que la technique projette de réaliser à l'avenir, vont-elles de pair avec le progrès moral et spirituel de l'homme? Dans ce contexte, est-ce que l'homme, en tant qu'homme, se développe et progresse, ou est-ce qu'il régresse et se dégrade dans son humanité? Est-ce que chez les hommes, «dans le monde de l'homme», qui est en soi un monde de bien et de mal moral, le bien l'emporte sur le mal? Est-ce que croissent vraiment dans les hommes, entre les hommes, l'amour social, le respect des droits d'autrui _ pour tout homme, nation, peuple _ ou est-ce que croissent au contraire les égoïsmes aux différents niveaux, les nationalismes exagérés au lieu de l'authentique amour de la patrie, et encore la tendance à dominer les autres au-delà de ses propres droits et mérites légitimes, ainsi que la tendance à exploiter l'ensemble du progrès matériel, technique et productif dans le seul but de dominer les autres ou en faveur de tel ou tel impérialisme?

Voilà les interrogations essentielles que l'Eglise ne peut pas ne pas se poser, étant donné que des milliards d'hommes vivant aujourd'hui dans le monde se les posent d'une manière plus ou moins explicite. Le thème du développement et du progrès est sur les lèvres de tous et apparaît sur les colonnes de tous les journaux et publications, dans presque toutes les langues du monde contemporain. N'oublions pas, toutefois, que ce thème ne contient pas seulement des affirmations et des certitudes, mais aussi des questions et des inquiétudes angoissantes. Ces dernières ne sont pas moins importantes que les premières. Elles correspondent à la nature de la conscience humaine, et plus encore au besoin fondamental de la sollicitude de l'homme pour l'homme, pour son humanité même, pour l'avenir des hommes sur la terre. L'Eglise, animée par la foi eschatologique, considère cette sollicitude pour l'homme, pour son humanité, pour l'avenir des hommes sur la terre et donc aussi pour l'orientation de l'ensemble du développement et du progrès, comme un élément essentiel de sa mission, indissolublement lié à celle-ci. Et elle trouve le principe de cette sollicitude en Jésus-Christ lui-même, comme en témoignent les Evangiles. C'est pour cela qu'elle désire accroître continuellement en Lui cette sollicitude, en relisant la situation de l'homme dans le monde d'aujourd'hui à la lumière des signes les plus importants de notre temps.




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