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Ioannes Paulus PP. II Evangelium vitae IntraText CT - Lecture du Texte |
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« Qu'as-tu fait? » (Gn 4, 10): l'éclipse de la valeur de la vie La question du Seigneur « qu'as-tu fait? », à laquelle Caïn ne peut se dérober, est aussi adressée à l'homme contemporain, pour qu'il prenne conscience de l'étendue et de la gravité des attentats contre la vie dont l'histoire de l'humanité continue à être marquée; elle lui est adressée afin qu'il recherche les multiples causes qui provoquent ces attentats et qui les alimentent, et qu'il réfléchisse très sérieusement aux conséquences qui en découlent pour l'existence des personnes et des peuples. Certaines menaces proviennent de la nature elle-même, mais elles sont aggravées par l'incurie coupable et par la négligence des hommes, qui pourraient bien souvent y porter remède; d'autres, au contraire, sont le fait de situations de violence, de haine, ou bien d'intérêts divergents, qui poussent des hommes à agresser d'autres hommes en se livrant à des homicides, à des guerres, à des massacres ou à des génocides. Et comment ne pas évoquer la violence faite à la vie de millions d'êtres humains, spécialement d'enfants, victimes de la misère, de la malnutrition et de la famine, à cause d'une distribution injuste des richesses entre les peuples et entre les classes sociales? ou, avant même qu'elle ne se manifeste dans les guerres, la violence inhérente au commerce scandaleux des armes qui favorise l'escalade de tant de conflits armés ensanglantant le monde? ou encore la propagation de germes de mort qui s'opère par la dégradation inconsidérée des équilibres écologiques, par la diffusion criminelle de la drogue ou par l'encouragement donné à des types de comportements sexuels qui, outre le fait qu'ils sont moralement inacceptables, laissent présager de graves dangers pour la vie? Il est impossible d'énumérer de manière exhaustive la longue série des menaces contre la vie humaine, tant sont nombreuses les formes, déclarées ou insidieuses, qu'elles revêtent en notre temps. Comment a-t-on pu en arriver à une telle situation? Il faut prendre en considération de multiples facteurs. A l'arrière-plan, il y a une crise profonde de la culture qui engendre le scepticisme sur les fondements mêmes du savoir et de l'éthique, et qui rend toujours plus difficile la perception claire du sens de l'homme, de ses droits et de ses devoirs. A cela s'ajoutent les difficultés existentielles et relationnelles les plus diverses, accentuées par la réalité d'une société complexe dans laquelle les personnes, les couples et les familles restent souvent seuls face à leurs problèmes. Il existe même des situations critiques de pauvreté, d'angoisse ou d'exacerbation, dans lesquelles l'effort harassant pour survivre, la souffrance à la limite du supportable, les violences subies, spécialement celles qui atteignent les femmes, rendent exigeants, parfois jusqu'à l'héroïsme, les choix en faveur de la défense et de la promotion de la vie. Tout cela explique, au moins en partie, que la valeur de la vie puisse connaître aujourd'hui une sorte d'« éclipse », bien que la conscience ne cesse pas de la présenter comme sacrée et intangible; on le constate par le fait même que l'on tend à couvrir certaines fautes contre la vie naissante ou à ses derniers instants par des expressions empruntées au vocabulaire de la santé, qui détournent le regard du fait qu'est en jeu le droit à l'existence d'une personne humaine concrète. En envisageant les choses de ce point de vue, on peut, d'une certaine manière, parler d'une guerre des puissants contre les faibles: la vie qui nécessiterait le plus d'accueil, d'amour et de soin est jugée inutile, ou considérée comme un poids insupportable, et elle est donc refusée de multiples façons. Par sa maladie, par son handicap ou, beaucoup plus simplement, par sa présence même, celui qui met en cause le bien-être ou les habitudes de vie de ceux qui sont plus favorisés tend à être considéré comme un ennemi dont il faut se défendre ou qu'il faut éliminer. Il se déchaîne ainsi une sorte de « conspiration contre la vie ». Elle ne concerne pas uniquement les personnes dans leurs rapports individuels, familiaux ou de groupe, mais elle va bien au-delà, jusqu'à ébranler et déformer, au niveau mondial, les relations entre les peuples et entre les Etats. Il est fréquemment affirmé que la contraception, rendue sûre et accessible à tous, est le remède le plus efficace contre l'avortement. On accuse aussi l'Eglise catholique de favoriser de fait l'avortement parce qu'elle continue obstinément à enseigner l'illicéité morale de la contraception. A bien la considérer, l'objection se révèle en réalité spécieuse. Il peut se faire, en effet, que beaucoup de ceux qui recourent aux moyens contraceptifs le fassent aussi dans l'intention d'éviter ultérieurement la tentation de l'avortement. Mais les contrevaleurs présentes dans la « mentalité contraceptive » — bien différentes de l'exercice responsable de la paternité et de la maternité, réalisé dans le respect de la pleine vérité de l'acte conjugal — sont telles qu'elles rendent précisément plus forte cette tentation, face à la conception éventuelle d'une vie non désirée. De fait, la culture qui pousse à l'avortement est particulièrement développée dans les milieux qui refusent l'enseignement de l'Eglise sur la contraception. Certes, du point de vue moral, la contraception et l'avortement sont des maux spécifiquement différents: l'une contredit la vérité intégrale de l'acte sexuel comme expression propre de l'amour conjugal, l'autre détruit la vie d'un être humain; la première s'oppose à la vertu de chasteté conjugale, le second s'oppose à la vertu de justice et viole directement le précepte divin « tu ne tueras pas ». Mais, même avec cette nature et ce poids moral différents, la contraception et l'avortement sont très souvent étroitement liés, comme des fruits d'une même plante. Il est vrai qu'il existe même des cas dans lesquels on arrive à la contraception et à l'avortement lui-même sous la pression de multiples difficultés existentielles, qui cependant ne peuvent jamais dispenser de l'effort d'observer pleinement la loi de Dieu. Mais, dans de très nombreux autres cas, ces pratiques s'enracinent dans une mentalité hédoniste et de déresponsabilisation en ce qui concerne la sexualité et elles supposent une conception égoïste de la liberté, qui voit dans la procréation un obstacle à l'épanouissement de la personnalité de chacun. La vie qui pourrait naître de la relation sexuelle devient ainsi l'ennemi à éviter absolument, et l'avortement devient l'unique réponse possible et la solution en cas d'échec de la contraception. Malheureusement, l'étroite connexion que l'on rencontre dans les mentalités entre la pratique de la contraception et celle de l'avortement se manifeste toujours plus; et cela est aussi confirmé de manière alarmante par la mise au point de préparations chimiques, de dispositifs intra-utérins et de vaccins qui, distribués avec la même facilité que les moyens contraceptifs, agissent en réalité comme des moyens abortifs aux tout premiers stades du développement de la vie du nouvel individu. Le diagnostic prénatal, qui ne soulève pas de difficultés morales s'il est effectué pour déterminer les soins éventuellement nécessaires à l'enfant non encore né, devient trop souvent une occasion de proposer et de provoquer l'avortement. C'est l'avortement eugénique, dont la légitimation dans l'opinion publique naît d'une mentalité — perçue à tort comme en harmonie avec les exigences « thérapeutiques » — qui accueille la vie seulement à certaines conditions et qui refuse la limite, le handicap, l'infirmité. En poursuivant la même logique, on en est arrivé à refuser les soins ordinaires les plus élémentaires, et même l'alimentation, à des enfants nés avec des handicaps ou des maladies graves. En outre, le scénario actuel devient encore plus déconcertant en raison des propositions, avancées çà et là, de légitimer dans la même ligne du droit à l'avortement, même l'infanticide, ce qui fait revenir ainsi à un stade de barbarie que l'on espérait avoir dépassé pour toujours. En faveur de ce choix, se retrouvent souvent des éléments de nature différente, qui convergent malheureusement vers cette issue terrible. Chez le sujet malade, le sentiment d'angoisse, d'exacerbation et même de désespérance, provoqué par l'expérience d'une douleur intense et prolongée, peut être décisif. Cela met à dure épreuve les équilibres parfois déjà instables de la vie personnelle et familiale, parce que, d'une part, le malade risque de se sentir écrasé par sa propre fragilité malgré l'efficacité toujours plus grande de l'assistance médicale et sociale; d'autre part, parce que, chez les personnes qui lui sont directement liées, cela peut créer un sentiment de pitié bien concevable même s'il est mal compris. Tout cela est aggravé par une culture ambiante qui ne reconnaît dans la souffrance aucune signification ni aucune valeur, la considérant au contraire comme le mal par excellence à éliminer à tout prix; cela se rencontre spécialement dans les cas où aucun point de vue religieux ne peut aider à déchiffrer positivement le mystère de la souffrance. Mais, dans l'ensemble du contexte culturel, ne manque pas non plus de peser une sorte d'attitude prométhéenne de l'homme qui croit pouvoir ainsi s'ériger en maître de la vie et de la mort, parce qu'il en décide, tandis qu'en réalité il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance. Nous trouvons une tragique expression de tout cela dans l'expansion de l'euthanasie, masquée et insidieuse, ou effectuée ouvertement et même légalisée. Mise à part une prétendue pitié face à la souffrance du malade, l'euthanasie est parfois justifiée par un motif de nature utilitaire, consistant à éviter des dépenses improductives trop lourdes pour la société. On envisage ainsi de supprimer des nouveaux-nés malformés, des personnes gravement handicapées ou incapables, des vieillards, surtout s'ils ne sont pas autonomes, et des malades en phase terminale. Il ne nous est pas permis de nous taire face à d'autres formes d'euthanasie plus sournoises, mais non moins graves et réelles. Celles-ci pourraient se présenter, par exemple, si, pour obtenir davantage d'organes à transplanter, on procédait à l'extraction de ces organes sans respecter les critères objectifs appropriés pour vérifier la mort du donneur. La contraception, la stérilisation et l'avortement doivent évidemment être comptés parmi les causes qui contribuent à provoquer les situations de forte dénatalité. On peut facilement être tenté de recourir à ces méthodes et aux attentats contre la vie dans les situations d'« explosion démographique ». L'antique pharaon, ressentant comme angoissantes la présence et la multiplication des fils d'Israël, les soumit à toutes les formes d'oppression et il ordonna de faire mourir tout enfant de sexe masculin né des femmes des Hébreux (cf. Ex 1, 7-22). De nombreux puissants de la terre se comportent aujourd'hui de la même manière. Eux aussi ressentent comme angoissant le développement démographique en cours et ils craignent que les peuples les plus prolifiques et les plus pauvres représentent une menace pour le bien-être et pour la tranquillité de leurs pays. En conséquence, au lieu de vouloir affronter et résoudre ces graves problèmes dans le respect de la dignité des personnes et des familles, ainsi que du droit inviolable de tout homme à la vie, ils préfèrent promouvoir et imposer par tous les moyens une planification massive des naissances. Les aides économiques elles-mêmes, qu'ils seraient disposés à donner, sont injustement conditionnées par l'acceptation d'une politique anti-nataliste. Comme je l'ai dit avec force à Denver, à l'occasion de la VIIIe Journée mondiale de la Jeunesse, « les menaces contre la vie ne faiblissent pas avec le temps. Au contraire, elles prennent des dimensions énormes. Ce ne sont pas seulement des menaces venues de l'extérieur, des forces de la nature ou des "Caïn" qui assassinent des "Abel"; non, ce sont des menaces programmées de manière scientifique et systématique. Le vingtième siècle aura été une époque d'attaques massives contre la vie, une interminable série de guerres et un massacre permanent de vies humaines innocentes. Les faux prophètes et les faux maîtres ont connu le plus grand succès ». Au-delà des intentions, qui peuvent être variées et devenir convaincantes au nom même de la solidarité, nous sommes en réalité face à ce qui est objectivement une « conjuration contre la vie », dans laquelle on voit aussi impliquées des Institutions internationales, attachées à encourager et à programmer de véritables campagnes pour diffuser la contraception, la stérilisation et l'avortement. Enfin, on ne peut nier que les médias sont souvent complices de cette conjuration, en répandant dans l'opinion publique un état d'esprit qui présente le recours à la contraception, à la stérilisation, à l'avortement et même à l'euthanasie comme un signe de progrès et une conquête de la liberté, tandis qu'il dépeint comme des ennemis de la liberté et du progrès les positions inconditionnelles en faveur de la vie.
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