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Ioannes Paulus PP. II Centesimus annus IntraText CT - Lecture du Texte |
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V. L'ETAT ET LA CULTURE A l'époque moderne, contre cette conception s'est dressé le totalitarisme qui, dans sa forme marxiste-léniniste, considère que quelques hommes, en vertu d'une connaissance plus approfondie des lois du développement de la société, ou à cause de leur appartenance particulière de classe et de leur proximité des sources les plus vives de la conscience collective, sont exempts d'erreur et peuvent donc s'arroger l'exercice d'un pouvoir absolu. Il faut ajouter que le totalitarisme naît de la négation de la vérité au sens objectif du terme : s'il n'existe pas de vérité transcendante, par l'obéissance à laquelle l'homme acquiert sa pleine identité, dans ces conditions, il n'existe aucun principe sûr pour garantir des rapports justes entre les hommes. Leurs intérêts de classe, de groupe ou de nation les opposent inévitablement les uns aux autres. Si la vérité transcendante n'est pas reconnue, la force du pouvoir triomphe, et chacun tend à utiliser jusqu'au bout les moyens dont il dispose pour faire prévaloir ses intérêts ou ses opinions, sans considération pour les droits des autres. Alors l'homme n'est respecté que dans la mesure où il est possible de l'utiliser aux fins d'une prépondérance égoïste. Il faut donc situer la racine du totalitarisme moderne dans la négation de la dignité transcendante de la personne humaine, image visible du Dieu invisible et, précisément pour cela, de par sa nature même, sujet de droits que personne ne peut violer, ni l'individu, ni le groupe, ni la classe, ni la nation, ni l'Etat. La majorité d'un corps social ne peut pas non plus le faire, en se dressant contre la minorité pour la marginaliser, l'opprimer, l'exploiter, ou pour tenter de l'anéantir . L'Etat totalitaire, d'autre part, tend à absorber la nation, la société, la famille, les communautés religieuses et les personnes elles-mêmes. En défendant sa liberté, l'Eglise défend la personne, qui doit obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes (cf. Ac 5, 29), la famille, les différentes organisations sociales et les nations, réalités qui jouissent toutes d'un domaine propre d'autonomie et de souveraineté. Une démocratie authentique n'est possible que dans un Etat de droit et sur la base d'une conception correcte de la personne humaine. Elle requiert la réalisation des conditions nécessaires pour la promotion des personnes, par l'éducation et la formation à un vrai idéal, et aussi l'épanouissement de la « personnalité » de la société, par la création de structures de participation et de coresponsabilité. On tend à affirmer aujourd'hui que l'agnosticisme et le relativisme sceptique représentent la philosophie et l'attitude fondamentale accordées aux formes démocratiques de la vie politique, et que ceux qui sont convaincus de connaître la vérité et qui lui donnent une ferme adhésion ne sont pas dignes de confiance du point de vue démocratique, parce qu'ils n'acceptent pas que la vérité soit déterminée par la majorité, ou bien qu'elle diffère selon les divers équilibres politiques. A ce propos, il faut observer que, s'il n'existe aucune vérité dernière qui guide et oriente l'action politique, les idées et les convictions peuvent être facilement exploitées au profit du pouvoir. Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l'histoire. Et l'Eglise n'ignore pas le danger du fanatisme, ou du fondamentalisme, de ceux qui, au nom d'une idéologie qui se prétend scientifique ou religieuse, estiment pouvoir imposer aux autres hommes leur conception de la vérité et du bien. La vérité chrétienne n'est pas de cette nature. N'étant pas une idéologie, la foi chrétienne ne cherche nullement à enfermer dans le cadre d'un modèle rigide la changeante réalité sociale et politique et elle admet que la vie de l'homme se réalise dans l'histoire de manières diverses et imparfaites. Cependant l'Eglise, en réaffirmant constamment la dignité transcendante de la personne, adopte comme règle d'action le respect de la liberté . Mais la liberté n'est pleinement mise en valeur que par l'accueil de la vérité : en un monde sans vérité, la liberté perd sa consistance et l'homme est soumis à la violence des passions et à des conditionnements apparents ou occultes. Le chrétien vit la liberté (cf. Jn 8, 31-32) et il se met au service de la liberté, il propose constamment, en fonction de la nature missionnaire de sa vocation, la vérité qu'il a découverte. Dans le dialogue avec les autres, attentif à tout élément de la vérité qu'il découvre dans l'expérience de la vie et de la culture des personnes et des nations, il ne renoncera pas à affirmer tout ce que sa foi et un sain exercice de la raison lui ont fait connaître. Même dans les pays qui connaissent des formes de gouvernement démocratique, ces droits ne sont pas toujours entièrement respectés. Et l'on ne pense pas seulement au scandale de l'avortement, mais aussi aux divers aspects d'une crise des systèmes démocratiques qui semblent avoir parfois altéré la capacité de prendre des décisions en fonction du bien commun. Les requêtes qui viennent de la société ne sont pas toujours examinées selon les critères de la justice et de la moralité, mais plutôt d'après l'influence électorale ou le poids financier des groupes qui les soutiennent. De telles déviations des moeurs politiques finissent par provoquer la défiance et l'apathie, et par entraîner une baisse de la participation politique et de l'esprit civique de la population, qui se sent atteinte et déçue. Il en résulte une incapacité croissante à situer les intérêts privés dans le cadre d'une conception cohérente du bien commun. Celui-ci, en effet, n'est pas seulement la somme des intérêts particuliers, mais il suppose qu'on les évalue et qu'on les harmonise en fonction d'une hiérarchie des valeurs équilibrée et, en dernière analyse, d'une conception correcte de la dignité et des droits de la personne . L'Eglise respecte l'autonomie légitime de l'ordre démocratique et elle n'a pas qualité pour exprimer une préférence de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle. La contribution qu'elle offre à ce titre est justement celle de sa conception de la dignité de la personne qui apparaît en toute plénitude dans le mystère du Verbe incarné . L'Etat a par ailleurs le devoir de surveiller et de conduire l'application des droits humains dans le secteur économique ; dans ce domaine, toutefois, la première responsabilité ne revient pas à l'Etat mais aux individus et aux différents groupes ou associations qui composent la société. L'Etat ne pourrait pas assurer directement l'exercice du droit au travail de tous les citoyens sans contrôler toute la vie économique et entraver la liberté des initiatives individuelles. Cependant, cela ne veut pas dire qu'il n'ait aucune compétence dans ce secteur, comme l'ont affirmé ceux qui prônent l'absence totale de règles dans le domaine économique. Au contraire, l'Etat a le devoir de soutenir l'activité des entreprises en créant les conditions qui permettent d'offrir des emplois, en la stimulant dans les cas où elle reste insuffisante ou en la soutenant dans les périodes de crise. L'Etat a aussi le droit d'intervenir lorsque des situations particulières de monopole pourraient freiner ou empêcher le développement. Mais, à part ces rôles d'harmonisation et d'orientation du développement, il peut remplir des fonctions de suppléance dans des situations exceptionnelles, lorsque des groupes sociaux ou des ensembles d'entreprises trop faibles ou en cours de constitution ne sont pas à la hauteur de leurs tâches. Ces interventions de suppléance, que justifie l'urgence d'agir pour le bien commun, doivent être limitées dans le temps, autant que possible, pour ne pas enlever de manière stable à ces groupes ou à ces entreprises les compétences qui leur appartiennent et pour ne pas étendre à l'excès le cadre de l'action de l'Etat, en portant atteinte à la liberté économique ou civile. On a assisté, récemment, à un important élargissement du cadre de ces interventions, ce qui a amené à constituer, en quelque sorte, un Etat de type nouveau, l'« Etat du bien-être ». Ces développements ont eu lieu dans certains Etats pour mieux répondre à beaucoup de besoins, en remédiant à des formes de pauvreté et de privation indignes de la personne humaine. Cependant, au cours de ces dernières années en particulier, des excès ou des abus assez nombreux ont provoqué des critiques sévères de l'Etat du bien-être, que l'on a appelé l'« Etat de l'assistance ». Les dysfonctionnements et les défauts des soutiens publics proviennent d'une conception inappropriée des devoirs spécifiques de l'Etat. Dans ce cadre, il convient de respecter également le principe de subsidiarité: une société d'ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie interne d'une société d'un ordre inférieur, en lui enlevant ses compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de nécessité et l'aider à coordonner son action avec celle des autres éléments qui composent la société, en vue du bien commun . En intervenant directement et en privant la société de ses responsabilités, l'Etat de l'assistance provoque la déperdition des forces humaines, l'hypertrophie des appareils publics, animés par une logique bureaucratique plus que par la préoccupation d'être au service des usagers, avec une croissance énorme des dépenses. En effet, il semble que les besoins soient mieux connus par ceux qui en sont plus proches ou qui savent s'en rapprocher, et que ceux-ci soient plus à même d'y répondre. On ajoutera que souvent certains types de besoins appellent une réponse qui ne soit pas seulement d'ordre matériel mais qui sache percevoir la requête humaine plus profonde. Que l'on pense aussi aux conditions que connaissent les réfugiés, les immigrés, les personnes âgées ou malades, et aux diverses conditions qui requièrent une assistance, comme dans le cas des toxicomanes, toutes personnes qui ne peuvent être efficacement aidées que par ceux qui leur apportent non seulement les soins nécessaires, mais aussi un soutien sincèrement fraternel. Pour dépasser la mentalité individualiste répandue aujourd'hui, il faut un engagement concret de solidarité et de charité qui commence à l'intérieur de la famille par le soutien mutuel des époux, puis s'exerce par la prise en charge des générations les unes par les autres. C'est ainsi que la famille se définit comme une communauté de travail et de solidarité. Cependant, il arrive que, lorsque la famille décide de répondre pleinement à sa vocation, elle se trouve privée de l'appui nécessaire de la part de l'Etat, et elle ne dispose pas de ressources suffisantes. Il est urgent de promouvoir non seulement des politiques de la famille, mais aussi des politiques sociales qui aient comme principal objectif la famille elle-même, en l'aidant, par l'affectation de ressources convenables et de moyens efficaces de soutien, tant dans l'éducation des enfants que dans la prise en charge des anciens, afin d'éviter à ces derniers l'éloignement de leur noyau familial et de renforcer les liens entre les générations . A part la famille, d'autres groupes sociaux intermédiaires remplissent des rôles primaires et mettent en oeuvre des réseaux de solidarité spécifiques. Ces groupes acquièrent la maturité de vraies communautés de personnes et innervent le tissu social, en l'empêchant de tomber dans l'impersonnalité et l'anonymat de la masse, malheureusement trop fréquents dans la société moderne. C'est dans l'entrecroisement des relations multiples que vit la personne et que progresse la « personnalité » de la société. L'individu est souvent écrasé aujourd'hui entre les deux pôles de l'Etat et du marché. En effet, il semble parfois n'exister que comme producteur et comme consommateur de marchandises, ou comme administré de l'Etat, alors qu'on oublie que la convivialité n'a pour fin ni l'Etat ni le marché, car elle possède en elle-même une valeur unique que l'Etat et le marché doivent servir. L'homme est avant tout un être qui cherche la vérité et qui s'efforce de vivre selon cette vérité, de l'approfondir dans un dialogue constant qui implique les générations passées et à venir . A ce propos, il convient de rappeler que l'évangélisation s'insère dans la culture des nations, en affermissant sa recherche de la vérité et en l'aidant à accomplir son travail de purification et d'approfondissement . Cependant, quand une culture se ferme sur elle-même et cherche à perpétuer des manières de vivre vieillies, en refusant tout échange et toute confrontation au sujet de la vérité de l'homme, elle devient stérile et va vers la décadence. Cette exigence ne s'arrête pas aux limites de la famille, ni même du peuple ou de l'Etat, mais elle concerne progressivement toute l'humanité, de telle sorte qu'aucun homme ne doit se considérer comme étranger ou indifférent au sort d'un autre membre de la famille humaine. Aucun homme ne peut affirmer qu'il n'est pas responsable du sort de son frère (cf. Gn 4, 9 ; Lc 10, 29-37 ; Mt 25, 31-46) ! Une sollicitude attentive et dévouée à l'égard du prochain au moment même où il en a besoin — facilitée aujourd'hui par les nouveaux moyens de communication sociale qui ont rendu les hommes plus proches les uns des autres — présente une importance particulière pour la recherche de modes de résolution, autres que la guerre, des conflits internationaux. Il n'est pas difficile d'affirmer que la puissance terrifiante des moyens de destruction, accessibles même aux petites et moyennes puissances, ainsi que les relations toujours plus étroites existant entre les peuples de toute la terre, rendent la limitation des conséquences d'un conflit très ardue ou pratiquement impossible. C'est pourquoi l'autre nom de la paix est le développement . Il y a une responsabilité collective pour éviter la guerre, il y a de même une responsabilité collective pour promouvoir le développement. Sur le plan intérieur, il est possible, et c'est un devoir, de construire une économie sociale qui oriente son fonctionnement dans le sens du bien commun ; des interventions appropriées sont également nécessaires pour cela sur le plan international. Il faut donc consentir un vaste effort de compréhension mutuelle, de connaissance mutuelle et de sensibilisation des consciences. C'est là la culture désirée qui fait progresser la confiance dans les capacités humaines du pauvre et donc dans ses possibilités d'améliorer ses conditions de vie par son travail, ou d'apporter une contribution positive à la prospérité économique. Mais pour y parvenir, le pauvre — individu ou nation — a besoin de se voir offrir des conditions de vie favorables concrètement accessibles. Créer de telles conditions, c'est le but d'une concertation mondiale pour le développement qui suppose même le sacrifice de positions avantageuses de revenu et de puissance dont se prévalent les économies les plus développées . Cela peut comporter d'importants changements dans les styles de vie établis, afin de limiter le gaspillage des ressources naturelles et des ressources humaines, pour permettre à tous les peuples et à tous les hommes sur la terre d'en disposer dans une mesure convenable. Il faut ajouter à cela la mise en valeur de nouveaux biens matériels et spirituels, fruits du travail et de la culture des peuples aujourd'hui marginalisés, arrivant ainsi à l'enrichissement humain global de la famille des nations.
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