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Ioannes Paulus PP. II Veritatis splendor IntraText CT - Lecture du Texte |
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CHAPITRE I - «MAÎTRE, QUE DOIS-JE FAIRE DE BON?» (Mt 19, 16) - Le Christ et la réponse à la question morale « Un homme s'approcha... » (Mt 19, 16) Pour que les hommes puissent vivre cette « rencontre » avec le Christ, Dieu a voulu son Eglise. En effet, « l'Eglise désire servir cet objectif unique : que tout homme puisse retrouver le Christ, afin que le Christ puisse parcourir la route de l'existence, en compagnie de chacun » . «Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle?» (Mt 19, 16) Il convient que l'homme d'aujourd'hui se tourne de nouveau vers le Christ pour recevoir de lui la réponse sur ce qui est bien et sur ce qui est mal. Le Christ est le Maître, le Ressuscité qui a en lui la vie et qui est toujours présent dans son Eglise et dans le monde. Il ouvre aux fidèles le livre des Ecritures et, en révélant pleinement la volonté du Père, il enseigne la vérité sur l'agir moral. A la source et au sommet de l'économie du salut, le Christ, Alpha et Oméga de l'histoire humaine (cf. Ap 1, 8 ; 21, 6 ; 22, 13), révèle la condition de l'homme et sa vocation intégrale. C'est pourquoi « l'homme qui veut se comprendre lui-même jusqu'au fond ne doit pas se contenter pour son être propre de critères et de mesures qui seraient immédiats, partiaux, souvent superficiels et même seulement apparents ; mais il doit, avec ses inquiétudes, ses incertitudes et même avec sa faiblesse et son péché, avec sa vie et sa mort, s'approcher du Christ. Il doit, pour ainsi dire, entrer dans le Christ avec tout son être, il doit " s'approprier " et assimiler toute la réalité de l'Incarnation et de la Rédemption pour se retrouver lui-même. S'il laisse ce processus se réaliser profondément en lui, il produit alors des fruits non seulement d'adoration envers Dieu, mais aussi de profond émerveillement pour lui-même » . Si nous voulons pénétrer au cœur de la morale évangélique et en recueillir le contenu profond et immuable, nous devons donc rechercher soigneusement le sens de l'interrogation du jeune homme riche de l'Evangile et, plus encore, le sens de la réponse de Jésus, en nous laissant guider par Lui. Jésus, en effet, avec une délicate attention pédagogique, répond en conduisant le jeune homme presque par la main, pas à pas, vers la vérité tout entière. « Un seul est le Bon » (Mt 19, 17) Avant de répondre à la question, Jésus veut que le jeune homme clarifie pour lui-même le motif de sa démarche. Le « bon Maître » montre à son interlocuteur — et à nous tous — que la réponse à l'interrogation « que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? » ne peut être trouvée qu'en orientant son esprit et son cœur vers Celui qui « seul est le Bon » : « Nul n'est bon que Dieu seul » (Mc 10, 18 ; cf. Lc 18, 19). Dieu seul peut répondre à la question sur le bien, parce qu'il est le Bien. En effet, s'interroger sur le bien signifie en dernier ressort se tourner vers Dieu, plénitude de la bonté. Jésus manifeste que la demande du jeune homme est en réalité unedemande religieuse, et que la bonté, qui attire et en même temps engage l'homme, a sa source en Dieu, bien plus, qu'elle est Dieu lui-même, qui seul mérite d'être aimé « de tout 1 cœur, de toute 2 âme et de tout 3 esprit » (Mt 22, 37), Dieu qui est la source du bonheur de l'homme. Jésus rapproche la question de l'action moralement bonne de ses racines religieuses et de la reconnaissance de Dieu, unique bonté, plénitude de la vie, fin ultime de l'agir humain, béatitude parfaite. Ce qu'est l'homme et ce qu'il doit faire se découvrent au moment où Dieu se révèle lui-même. En effet, le Décalogue s'appuie sur ces paroles : « Je suis le Seigneur, ton Dieu, qui t'ai fait sortir du pays d'Egypte, de la maison de servitude. Tu n'auras pas d'autres dieux devant moi » (Ex 20, 2-3). Dans les « dix paroles » de l'Alliance avec Israël, et dans toute la Loi, Dieu se fait connaître et reconnaître comme Celui qui « seul est le Bon » ; comme Celui qui, malgré le péché de l'homme, continue à rester le « modèle » de l'agir moral, selon l'appel qu'il adresse : « Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint » (Lv 19, 2) ; comme Celui qui, fidèle à son amour pour l'homme, lui donne sa Loi (cf. Ex 19, 9-24 ; 20, 18-21) pour rétablir l'harmonie originelle avec le Créateur et avec la création, et plus encore pour l'introduire dans son amour : « Je vivrai au milieu de vous, je serai votre Dieu et vous serez mon peuple » (Lv 26, 12). La vie morale se présente comme la réponse due aux initiatives gratuites que l'amour de Dieu multiplie dans ses relations avec l'homme. Elle est une réponse d'amour, selon l'énoncé qu'en donne le commandement fondamental du Deutéronome : « Ecoute, Israël : le Seigneur notre Dieu est le seul Seigneur. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir. Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton cœur ! Tu les répéteras à tes fils » (Dt 6, 4-7). Ainsi la vie morale, associée dans la gratuité à l'amour de Dieu, est appelée à refléter la gloire : « Pour qui aime Dieu, il suffit de plaire à Celui qu'il aime : parce qu'on ne doit pas en attendre une plus grande récompense que cet amour ; en effet, la charité vient de Dieu, car Dieu lui-même est la charité » . Mais si Dieu seul est le Bien, aucun effort humain, pas même l'observance la plus rigoureuse des commandements, ne réussit à « accomplir » la Loi, c'est-à-dire à reconnaître le Seigneur comme Dieu et à lui rendre l'adoration qui n'est due qu'à lui (cf. Mt 4, 10). « L'accomplissement » ne peut venir que d'un don de Dieu : il est l'offrande d'une participation à la bonté divine qui se révèle et qui se communique en Jésus, celui que le jeune homme riche appelle « bon Maître » (Mc 10, 17 ; Lc 18, 18). Ce que, pour l'instant, le jeune homme ne réussit peut-être qu'à pressentir, sera pleinement révélé à la fin par Jésus lui-même dans son invitation : « Viens et suis-moi » (Mt 19, 21). « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements » (Mt 19, 17) C'est pourquoi, après l'importante précision « un seul est le Bon », Jésus répond au jeune homme : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements » (Mt 19, 17). De cette manière est énoncé un lien étroit entre la vie éternelle et l'obéissance aux […] Du contexte de l'échange, et spécialement de la confrontation du texte de Matthieu avec les passages parallèles de Marc et de Luc, il ressort que Jésus n'entend pas dresser la liste de tous les commandements nécessaires pour « entrer dans la vie », mais plutôt qu'il entend renvoyer le jeune homme à ce qui est le « point central » du Décalogue par rapport à tout autre précepte, à savoir ce que signifie pour l'homme : « Je suis le Seigneur, ton Dieu ». Nous ne pouvons donc pas ne pas prêter attention aux commandements de la Loi que le Seigneur Jésus rappelle au jeune homme ; ce sont des commandements qui font partie de ce qu'on appelle la « seconde table » du Décalogue, dont le résumé (cf. Rm 13, 8-10) et le fondement sont le commandement de l'amour du prochain : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 19, 19 ; cf. Mc 12, 31). Dans ce commandement s'exprime précisément la dignité particulière de la personne humaine, qui est la « seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même » . Les différents commandements du Décalogue ne sont en effet que la répercussion de l'unique commandement du bien de la personne, au niveau des nombreux biens qui caractérisent son identité d'être spirituel et corporel en relation avec Dieu, avec le prochain et avec le monde matériel. Comme nous lisons dans le [link] Catéchisme de l'Eglise catholique, « les dix commandements appartiennent à la révélation de Dieu. Ils nous enseignent en même temps la véritable humanité de l'homme. Ils mettent en lumière les devoirs essentiels et donc, indirectement, les droits fondamentaux, inhérents à la nature de la personne humaine » . Les commandements rappelés par Jésus à son jeune interlocuteur sont destinés à sauvegarder le bien de la personne, image de Dieu, par la protection de ses biens. « Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage », sont des normes morales formulées en termes d'interdits. Les préceptes négatifs expriment fortement la nécessité imprescriptible de protéger la vie humaine, la communion des personnes dans le mariage, la propriété privée, la véracité et la bonne réputation. Les commandements représentent donc la condition de base de l'amour du prochain ; en même temps, ils en sont la vérification. Ils sont la première étape nécessaire sur le chemin vers la liberté, son commencement : « La première liberté, écrit saint Augustin, c'est donc de ne pas commettre de péchés graves... comme l'homicide, l'adultère, les souillures de la fornication, le vol, la tromperie, le sacrilège et toutes les autres fautes de ce genre. Quand un homme s'est mis à renoncer à les commettre — et c'est le devoir de tout chrétien de ne pas les commettre —, il commence à relever la tête vers la liberté, mais ce n'est qu'un commencement de liberté, ce n'est pas la liberté parfaite... » . Les deux commandements, auxquels « se rattache toute la Loi, ainsi que les Prophètes » (Mt 22, 40), sont profondément unis entre eux et s'interpénètrent. Jésus rend témoignage de leur indivisible unité par ses paroles et par sa vie : sa mission culmine à la Croix rédemptrice (cf. Jn 3, 14-15), signe de son amour inséparable envers le Père et envers l'humanité (cf. Jn 13, 1). L'Ancien et le Nouveau Testament affirment explicitement que, sans l'amour du prochain qui se concrétise dans l'observance des commandements, l'amour authentique pour Dieu n'est pas possible. Saint Jean l'écrit avec une force extraordinaire : « Si quelqu'un dit " J'aime Dieu " et qu'il déteste son frère, c'est un menteur : celui qui n'aime pas son frère qu'il voit ne saurait aimer le Dieu qu'il ne voit pas » (1 Jn 4, 20). L'évangéliste fait écho à la prédication morale du Christ, exprimée de manière admirable et sans équivoque dans la parabole du bon Samaritain (cf. Lc 10, 30-37) et dans le « discours » du jugement dernier (cf. Mt 25, 31-46). Jésus porte à leur accomplissement les commandements de Dieu, en particulier le commandement de l'amour du prochain, en intériorisant et en radicalisant ses exigences ; l'amour du prochain jaillit d'un cœur qui aime, et qui, précisément parce qu'il aime, est disposé à en vivre les exigences les plus hautes. Jésus montre que les commandements ne doivent pas être entendus comme une limite minimale à ne pas dépasser, mais plutôt comme une route ouverte pour un cheminement moral et spirituel vers la perfection, dont le centre est l'amour (cf. Col 3, 14). Ainsi, le commandement « tu ne tueras pas » devient l'appel à un amour prompt à soutenir et à promouvoir la vie du prochain ; le précepte qui interdit l'adultère devient une invitation à un regard pur, capable de respecter le sens sponsal du corps : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux ancêtres : " Tu ne tueras point " ; et si quelqu'un tue, il en répondra au tribunal. Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal ; 2 Vous avez entendu qu'il a été dit : " Tu ne commettras pas l'adultère ". Eh bien ! moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la désirer a déjà commis, dans son cœur, l'adultère avec elle » (Mt 5, 21-22. 27-28). Jésus est « l'accomplissement » vivant de la Loi en tant qu'il en réalise la signification authentique par le don total de lui-même : il devient lui-même la Loi vivante personnifiée, qui invite à sa suite, qui, par son Esprit, donne la grâce de partager sa vie et son amour même, et qui donne la force nécessaire pour en témoigner par les choix et par les actes (cf. Jn 13, 34-35). « Si tu veux être parfait » (Mt 19, 21) Comme on l'a fait pour la partie précédente de la réponse de Jésus, celle-ci doit être lue et interprétée dans le cadre de tout le message moral de l'Evangile et, spécialement, dans le cadre du Discours sur la Montagne, des Béatitudes (cf. Mt 5, 3-12), dont la première est précisément la béatitude des pauvres, des « pauvres en esprit », comme le précise saint Matthieu (Mt 5, 3), ou encore des humbles. Dans ce sens, on peut dire que les Béatitudes font aussi partie de l'espace ouvert par la réponse que Jésus donne à la question du jeune homme : « Que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? ». En effet, chaque béatitude promet précisément, selon une perspective particulière, ce « bien » qui ouvre l'homme à la vie éternelle, et plus encore qui est la vie éternelle elle-même. Les Béatitudes n'ont pas comme objet propre des normes particulières de comportement, mais elles évoquent des attitudes et des dispositions fondamentales de l'existence, et, donc, ne coïncident pas exactement avec les commandements. D'autre part, il n'y a pas de séparation ou d'opposition entre les béatitudes et les commandements : les uns et les autres se réfèrent au bien et à la vie éternelle. Le Discours sur la Montagne commence par la proclamation des Béatitudes, mais renferme aussi la référence aux commandements (cf. Mt 5, 20-48). En même temps, ce Discours montre l'ouverture et l'orientation des commandements vers la perfection qui est celle des Béatitudes. Celles-ci sont, avant tout, des promesses, dont découlent aussi, de manière indirecte, des indications normatives pour la vie morale. Dans leur profondeur originelle, elles sont une sorte d'autoportrait du Christ et, précisément pour cela, elles sont des invitations à le suivre et à vivre en communion avec lui . La perfection exige la maturité dans le don de soi, à quoi est appelée la liberté de l'homme. Jésus indique au jeune homme les commandements comme condition première et imprescriptible pour avoir la vie éternelle ; l'abandon de tout ce que possède le jeune homme et la suite du Seigneur prennent en revanche le caractère d'une proposition : « Si tu veux... ». La parole de Jésus révèle la dynamique particulière de la croissance de la liberté vers sa maturité et, en même temps, manifeste le rapport fondamental de la liberté avec la Loi divine. La liberté de l'homme et la Loi de Dieu ne s'opposent pas, mais, au contraire, s'appellent mutuellement. Le disciple du Christ sait que sa vocation est une vocation à la liberté. « Vous, en effet, mes frères, vous avez été appelés à la liberté » proclame avec joie et avec fierté l'Apôtre Paul. Cependant, il précise aussitôt: « Que cette liberté ne donne pas prétexte à satisfaire la chair ; mais par la charité mettez-vous au service les uns des autres » (Ga 5, 13). La fermeté avec laquelle l'Apôtre s'oppose à celui qui croit en sa propre justification par la Loi n'a rien à voir avec la « libération » de l'homme par les préceptes, qui sont, à l'inverse, au service de la pratique de l'amour : « Celui qui aime autrui a de ce fait accompli la loi. En effet, le précepte : Tu ne commettras pas d'adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne convoiteras pas, et tous les autres se résument dans cette formule: Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Rm 13, 8-9). Après avoir parlé de l'observance des commandements comme de la première liberté imparfaite, saint Augustin poursuit ainsi : « Pourquoi, demande quelqu'un, n'est-ce pas la liberté parfaite ? Parce que je vois dans mes membres une autre loi qui s'élève contre la loi de mon esprit 3. C'est une liberté partielle et un esclavage partiel ; ce n'est pas encore la liberté totale, la pure liberté, la pleine liberté parce que ce n'est pas encore l'éternité. La faiblesse pèse en effet sur nous en partie et nous avons reçu une part de liberté. Tout ce que nous avons commis de péché auparavant a été effacé par le baptême. Parce que l'iniquité a été entièrement effacée, est-ce qu'il n'est resté aucune faiblesse ? S'il n'en était pas resté, nous serions sans péché dans cette vie. Mais qui oserait le prétendre si ce n'est l'orgueilleux, si ce n'est celui qui est indigne de la miséricorde du Libérateur ? 4 Du fait, par conséquent, qu'il nous est resté une certaine faiblesse, j'ose dire que, dans la mesure où nous servons Dieu, nous sommes libres et que, dans la mesure où nous servons la loi du péché, nous sommes encore esclaves » . Cette vocation à l'amour parfait n'est pas réservée à un groupe de personnes. L'invitation « va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres », avec la promesse « tu auras un trésor dans les cieux », s'adresse à tous, parce qu'il s'agit d'une radicalisation du commandement de l'amour du prochain, comme l'invitation « viens, suis-moi » est la nouvelle forme concrète du commandement de l'amour de Dieu. Les commandements et l'invitation de Jésus au jeune homme riche sont au service d'une unique et indivisible charité qui tend spontanément à la perfection dont Dieu seul est la mesure : « Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48). Dans l'Evangile de Luc, Jésus explicite la portée de cette perfection : « Montrez-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (Lc 6, 36). « Viens, suis-moi » (Mt 19, 21) Jésus lui-même prend l'initiative et invite à le suivre. L'appel est adressé avant tout à ceux auxquels il confie une mission particulière, à commencer par les Douze ; mais il apparaît aussi clairement qu'être disciple du Christ est la condition de tout croyant (cf. Ac 6, 1). De ce fait, suivre le Christ est le fondement essentiel et original de la morale chrétienne : comme le peuple d'Israël suivait Dieu qui le conduisait dans le désert vers la Terre promise (cf. Ex 13, 21), de même le disciple doit suivre Jésus vers lequel le Père lui-même l'attire (cf. Jn 6, 44). Il ne s'agit pas seulement ici de se mettre à l'écoute d'un enseignement et d'accueillir dans l'obéissance un commandement ; plus radicalement, il s'agit d'adhérer à la personne même de Jésus, de partager sa vie et sa destinée, de participer à son obéissance libre et amoureuse à la volonté du Père. En suivant, par la réponse de la foi, celui qui est la Sagesse faite chair, le disciple de Jésus devient vraiment disciple de Dieu (cf. Jn 6, 45). En effet, Jésus est la lumière du monde, la lumière de la vie (cf. Jn 8, 12) ; il est le pasteur qui guide et nourrit les brebis (cf. Jn 10, 11-16) ; il est le chemin, la vérité et la vie (cf. Jn 14, 6) ; il est celui qui conduit au Père, de telle sorte que le voir, lui le Fils, c'est voir le Père (cf. Jn 14, 6-10). Par conséquent, imiter le Fils, « l'image du Dieu invisible » (Col 1, 15), signifie imiter le Père. Ce « comme » indique aussi la mesure avec laquelle Jésus a aimé et avec laquelle ses disciples doivent s'aimer entre eux. Après avoir dit : « Voici quel est mon commandement : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12), Jésus poursuit en révélant le don sacrificiel de sa vie sur la Croix, témoignage d'un amour « jusqu'à la fin » (Jn 13, 1) : « Nul n'a plus grand amour que celui-ci : donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13). En appelant le jeune homme à le suivre sur le chemin de la perfection, Jésus lui demande de vivre parfaitement le commandement de l'amour, « son » commandement : entrer dans le mouvement de son don total, imiter et revivre l'amour même du « bon » Maître, de celui qui a aimé « jusqu'à la fin ». C'est ce que Jésus demande à tout homme qui veut se mettre à sa suite : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive » (Mt 16, 24). Incorporé au Christ, le chrétien devient membre de son Corps qui est l'Eglise (cf. 1 Co 12, 13. 27). Sous l'impulsion de l'Esprit, le Baptême configure radicalement le fidèle au Christ, dans le mystère pascal de la mort et de la résurrection ; il le « revêt » du Christ (cf. Ga 3, 27) : « Réjouissons-nous et rendons grâce, s'exclame saint Augustin en s'adressant aux baptisés, nous sommes devenus non seulement chrétiens, mais le Christ. 5 Soyez étonnés et joyeux. Nous sommes devenus le Christ ! » . Mort au péché, le baptisé reçoit la vie nouvelle (cf. Rm 6, 3-11) : vivant pour Dieu dans le Christ Jésus, il est appelé à marcher selon l'Esprit et à en manifester les fruits dans sa vie (cf. Ga 5, 16-25). Et la participation à l'Eucharistie, sacrement de la Nouvelle Alliance (cf. 1 Co 11, 23-29), est le plus haut degré de l'assimilation au Christ, source de « vie éternelle » (cf. Jn 6, 51-58), principe et force du don total de soi, dont Jésus, selon le témoignage transmis par Paul, demande de faire mémoire dans la célébration et dans la vie : « Chaque fois en effet que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne » (1 Co 11, 26). « Pour Dieu tout est possible » (Mt 19, 26) Dans ce même chapitre de l'Evangile de Matthieu (19, 3-10), lorsqu'il interprète la Loi mosaïque sur le mariage, Jésus refuse le droit à la répudiation, en invoquant le « principe » le plus ancien et le plus autorisé par rapport à la Loi de Moïse ; le dessein premier de Dieu sur l'homme est un dessein auquel l'homme est devenu non conforme à la suite du péché : « C'est en raison de votre dureté de cœur que Moïse vous a permis de répudier vos femmes, mais dès l'origine il n'en fut pas ainsi » (Mt 19, 8). Le rappel du « principe » effraie les disciples qui commentent en ces termes : « Si telle est la condition de l'homme envers la femme, il vaut mieux ne pas se marier » (Mt 19, 10). En se référant de manière spécifique au charisme du célibat « à cause du Royaume des cieux » (Mt 19, 12), tout en énonçant une règle générale, Jésus renvoie à la nouvelle et surprenante possibilité offerte à l'homme par la grâce de Dieu : « Il leur dit : " Tous ne comprennent pas ce langage, mais ceux-là à qui c'est donné " » (Mt 19, 11). L'homme ne peut pas imiter et revivre l'amour du Christ par ses seules forces. Il devient capable de cet amour seulement en vertu d'un don de Dieu. De même que le Seigneur Jésus reçoit l'amour de son Père, il le communique à son tour gratuitement à ses disciples : « Comme le Père m'a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez en mon amour » (Jn 15, 9). Le don du Christ, c'est son Esprit, dont le premier « fruit » (cf. Ga 5, 22) est la charité : « L'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous fut donné » (Rm 5, 5). Saint Augustin s'interroge : « Est-ce l'amour qui fait observer les commandements, ou bien est-ce l'observance des commandements qui fait naître l'amour ? » Et il répond : « Mais qui doute que l'amour précède l'observance ? De fait, celui qui n'aime pas n'a pas de raison d'observer les commandements » . L'amour et la vie selon l'Evangile ne peuvent pas être envisagés avant tout sous la forme du précepte, car ce qu'ils requièrent va au-delà des forces humaines. Ils ne peuvent être vécus que comme le fruit d'un don de Dieu qui guérit et transforme le cœur de l'homme par la grâce : « Car la Loi fut donnée par Moïse ; la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ » (Jn 1, 17). De ce fait, la promesse de la vie éternelle est liée au don de la grâce, et le don de l'Esprit que nous avons reçu constitue déjà « les arrhes de notre héritage » (Ep 1, 14). Ce lien inséparable entre la grâce du Seigneur et la liberté de l'homme, entre le don et le devoir, a été exprimé en termes simples et profonds par saint Augustin qui prie ainsi : « Da quod iubes et iube quod vis » (donne ce que tu commandes et commande ce que tu veux) . Le don ne diminue pas mais renforce l'exigence morale de l'amour : « Or voici son commandement : croire au nom de son Fils Jésus Christ et nous aimer les uns les autres comme il nous en a donné le commandement » (1 Jn 3, 23). On ne peut « demeurer » dans l'amour qu'à condition d'observer les commandements, comme l'affirme Jésus : « Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour » (Jn 15, 10). En résumant ce qui est au cœur du message moral de Jésus et de la prédication des Apôtres, et en reprenant dans une admirable synthèse la grande tradition des Pères d'Orient et d'Occident — de saint Augustin en particulier —, saint Thomas a pu écrire que la Loi nouvelle est la grâce de l'Esprit Saint donné par la foi au Christ . Les commandements extérieurs, dont l'Evangile parle aussi, prédisposent à cette grâce ou en déploient les effets dans la vie. De fait, la Loi nouvelle ne se contente pas de dire ce qui doit se faire, mais elle donne aussi la force de « faire la vérité » (cf. Jn 3, 21). Dans le même sens, saint Jean Chrysostome a fait observer que la Loi nouvelle fut promulguée précisément quand l'Esprit Saint est venu du ciel le jour de la Pentecôte et que les Apôtres « ne descendirent pas de la montagne en portant, comme Moïse, des tables de pierre dans leurs mains, mais qu'ils s'en retournaient en portant l'Esprit Saint dans leurs cœurs, devenus par sa grâce une loi vivante et un livre vivant » . « Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu'à la fin du monde » (Mt 28, 20) Données par Dieu dans l'Ancienne Alliance et parvenues à leur perfection dans la Nouvelle et Eternelle Alliance, en la personne même du Fils de Dieu fait homme, les prescriptions morales doivent être fidèlement conservées et actualisées en permanence dans les différentes cultures tout au long de l'histoire. La charge de leur interprétation a été confiée par Jésus aux Apôtres et à leurs successeurs, assistés spécialement par l'Esprit de vérité : « Qui vous écoute m'écoute » (Lc 10, 16). Avec la lumière et avec la force de l'Esprit, les Apôtres ont accompli la mission de prêcher l'Evangile et de montrer la « voie » du Seigneur (cf. Ac 18, 25), en enseignant avant tout à suivre et à imiter le Christ : « Pour moi, vivre, c'est le Christ » (Ph 1, 21). Aucune déchirure ne doit briser l'harmonie entre la foi et la vie : l'unité de l'Eglise est blessée non seulement par les chrétiens qui refusent ou déforment la vérité de la foi, mais encore par ceux qui méconnaissent les obligations morales auxquelles l'Evangile les appelle (cf. 1 Co 5, 9-13). Avec fermeté, les Apôtres ont refusé toute dissociation entre l'engagement intérieur et les gestes qui l'expriment et le confirment (cf. 1 Jn 2, 3-6). Et depuis les temps apostoliques, les Pasteurs de l'Eglise ont dénoncé clairement les manières d'agir de ceux qui étaient des fauteurs de division par leurs enseignements et par leurs comportements . A l'intérieur de la Tradition, avec l'assistance de l'Esprit Saint, se développe l'interprétation authentique de la Loi du Seigneur. L'Esprit, qui est à l'origine de la Révélation, des commandements et des enseignements de Jésus, veille à ce qu'ils soient gardés saintement, exposés fidèlement et appliqués correctement dans tous les temps et dans toutes les situations. Une telle « actualisation » des commandements est le signe et le résultat d'une profonde intelligence de la Révélation et d'une bonne compréhension, à la lumière de la foi, des nouvelles situations historiques et culturelles. Cependant, elle ne peut que confirmer la validité permanente de la Révélation et s'inscrire dans le sillage de l'interprétation qu'en donne la grande Tradition de l'Eglise par son enseignement et par sa vie, Tradition dont témoignent la doctrine des Pères, la vie des saints, la liturgie de l'Eglise et l'enseignement du Magistère. En particulier, comme l'affirme le Concile, « la charge d'interpréter de façon authentique la parole de Dieu, écrite ou transmise, a été confiée au seul Magistère vivant de l'Eglise dont l'autorité s'exerce au nom de Jésus Christ » . Ainsi l'Eglise, dans sa vie et dans son enseignement, se présente comme « colonne et support de la vérité » (1 Tm 3, 15), et aussi de la vérité dans l'agir moral. En effet, « il appartient à l'Eglise d'annoncer en tout temps et en tout lieu les principes de la morale, même en ce qui concerne l'ordre social, ainsi que de porter un jugement sur toute réalité humaine, dans la mesure où l'exigent les droits fondamentaux de la personne humaine ou le salut des âmes » . Précisément sur les questions qui font l'objet aujourd'hui du débat moral et autour desquelles se sont développées de nouvelles tendances et de nouvelles théories, le Magistère, dans la fidélité à Jésus Christ et dans la continuité de la Tradition de l'Eglise, estime qu'il est de son devoir urgent de proposer son discernement et son enseignement, afin d'aider l'homme sur le chemin vers la vérité et vers la liberté.
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