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Ioannes Paulus PP. II
Veritatis splendor

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  • CHAPITRE II - «NE VOUS MODELEZ SUR LE MONDE PRÉSENT» (Rm 12, 2) - L'Eglise et le discernementsur certaines tendances de la théologie morale actuelle
    • I. La liberté et la loi
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I. La liberté et la loi

« De l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas » (Gn 2, 17)

35. Nous lisons dans le livre de la Genèse : « Le Seigneur Dieu fit à l'homme ce commandement : " Tu peux manger de tous les arbres du jardin. Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort " » (Gn 2, 16-17).

Par cette image, la Révélation enseigne que le pouvoir de décider du bien et du mal n'appartient pas à l'homme, mais à Dieu seul. Assurément, l'homme est libre du fait qu'il peut comprendre et recevoir les commandements de Dieu. Et il jouit d'une liberté très considérable, puisqu'il peut manger « de tous les arbres du jardin ». Mais cette liberté n'est pas illimitée : elle doit s'arrêter devant « l'arbre de la connaissance du bien et du mal », car elle est appelée à accepter la loi morale que Dieu donne à l'homme. En réalité, c'est dans cette acceptation que la liberté humaine trouve sa réalisation plénière et véritable. Dieu qui seul est bon connaît parfaitement ce qui est bon pour l'homme en vertu de son amour même, il le lui propose dans les commandements.

La Loi de Dieu n'atténue donc pas la liberté de l'homme et encore moins ne l'élimine ; au contraire, elle la protège et la promeut. Allant pourtant dans un sens bien différent, certaines tendances de la culture actuelle ont suscité de nombreux courants dans l'éthique qui placent au centre de leur réflexion un prétendu conflit entre la liberté et la loi. C'est le cas des doctrines qui attribuent aux individus ou aux groupes sociaux la faculté de déterminer le bien et le mal : la liberté humaine pourrait « créer les valeurs » et jouirait d'une primauté sur la vérité, au point que la vérité elle-même serait considérée comme une création de la liberté. Cette dernière revendiquerait donc une telle autonomie morale que cela signifierait pratiquement son absolue souveraineté.

36. La requête moderne d'autonomie n'a pas manqué d'exercer aussi son influence dans le domaine de la théologie morale catholique. Si celle-ci n'a évidemment jamais entendu opposer la liberté humaine à la Loi divine, ni remettre en question l'existence du fondement religieux ultime des normes morales, elle a cependant été amenée à repenser entièrement le rôle de la raison et de la foi dans la détermination des normes morales qui se rapportent à des comportements précis « dans le monde », c'est-à-dire envers soi-même, envers les autres et envers le monde des choses.

Il faut reconnaître que, à l'origine de cet effort pour renouveler la réflexion, on trouve certaines requêtes positives qui, d'ailleurs, appartiennent dans une large mesure à la meilleure tradition de la pensée catholique. A l'invitation du Concile Vatican II , on a désiré favoriser le dialogue avec la culture moderne, en mettant en lumière le caractère rationnel — et donc universellement intelligible et communicable — des normes morales appartenant au domaine de la loi morale naturelle . En outre, on a voulu insister sur le caractère intérieur des exigences éthiques qui en découlent et qui ne s'imposent à la volonté comme une obligation qu'en vertu de leur reconnaissance préalable par la raison humaine et, concrètement, par la conscience personnelle.

Mais, en oubliant la dépendance de la raison humaine par rapport à la Sagesse divine et, dans l'état actuel de la nature déchue, la nécessité et surtout la réalité effective de la Révélation divine pour pouvoir connaître les vérités morales même d'ordre naturel , certains en sont arrivés à faire la théorie de la souveraineté totale de la raison dans le domaine des normes morales portant sur la conduite droite de la vie dans ce monde : ces normes constitueraient le domaine d'une morale purement « humaine », c'est-à-dire qu'elles seraient l'expression d'une loi que l'homme se donne à lui-même de manière autonome et qui a sa source exclusivement dans la raison humaine. Dieu ne pourrait aucunement être considéré comme l'auteur de cette loi, si ce n'est dans la mesure où la raison humaine exerce sa fonction de régulation autonome en vertu de la délégation originelle et complète que Dieu a donnée à l'homme. Or ces façons de penser ont amené, à l'encontre de la Sainte Ecriture et de la doctrine constante de l'Eglise, à nier que la loi morale naturelle ait Dieu pour auteur et que l'homme, par sa raison, participe de la Loi éternelle qu'il ne lui appartient pas d'établir.

37. Cependant, désirant maintenir la vie morale dans un contexte chrétien, certains théologiens moralistes ont introduit une nette distinction, contraire à la doctrine catholique , entre un ordre éthique, qui n'aurait qu'une origine humaine et une valeur seulement terrestre, et un ordre du salut, pour lequel n'auraient d'importance que certaines intentions et certaines attitudes intérieures envers Dieu et le prochain. En conséquence, on en est venu à nier l'existence, dans la Révélation divine, d'un contenu moral spécifique et déterminé, de validité universelle et permanente : la Parole de Dieu se limiterait à proposer une exhortation, une parénèse générale, que la raison autonome aurait seule ensuite le devoir de préciser par des déterminations normatives véritablement « objectives », c'est-à-dire appropriées à la situation historique concrète. Naturellement, une telle conception de l'autonomie entraîne aussi la négation de la compétence doctrinale spécifique de l'Eglise et de son Magistère sur les normes morales précises concernant ce qu'on appelle le « bien humain » : elles n'appartiendraient pas au contenu propre de la Révélation et ne seraient pas en elles-mêmes importantes pour le salut.

On ne peut pas ne pas voir qu'une telle interprétation de l'autonomie de la raison humaine comporte des thèses incompatibles avec la doctrine catholique.

Dans ce contexte, il est absolument nécessaire de clarifier, à la lumière de la Parole de Dieu et de la Tradition vivante de l'Eglise, les notions fondamentales de liberté humaine et de loi morale, de même que les rapports profonds qui les lient étroitement. C'est seulement ainsi que l'on pourra répondre aux requêtes légitimes de la rationalité humaine, en intégrant les éléments valables de certains courants de la théologie morale actuelle, sans porter atteinte au patrimoine moral de l'Eglise par des thèses résultant d'un conception erronée de l'autonomie.

Dieu a voulu laisser l'homme « à son conseil » (Si 15, 14)

38. Reprenant les paroles du Siracide, le Concile Vatican II explique ainsi la « vraie liberté » qui est en l'homme « un signe privilégié de l'image divine » : « Dieu a voulu " laisser 4 à son conseil " pour qu'il puisse de lui-même chercher son Créateur et, en adhérant librement à lui, s'achever ainsi dans une bienheureuse plénitude » . Ces paroles montrent à quelle admirable profondeur de participation à la seigneurie divine l'homme a été appelé : elles montrent que le pouvoir de l'homme s'exerce, en un sens, sur l'homme lui-même. C'est là un aspect constamment souligné dans la réflexion théologique sur la liberté humaine, comprise comme une forme de royauté. Grégoire de Nysse écrit, par exemple, que l'âme manifeste son caractère royal « par son autonomie et son indépendance et par ce fait que, dans sa conduite, elle est maîtresse de son propre vouloir. De qui ceci est-il le propre, sinon d'un roi ? 5 Ainsi la nature humaine, créée pour dominer le monde, à cause de sa ressemblance avec le Roi universel, a été faite comme une image vivante qui participe à l'archétype par la dignité et par le nom » .

La maîtrise du monde constitue déjà pour l'homme un devoir important et une grande responsabilité qui engage sa liberté dans l'obéissance au Créateur : « Emplissez la terre et soumettez-la » (Gn 1, 28). De ce point de vue, à l'individu humain, de même qu'à la communauté humaine, appartient une juste autonomie, à laquelle la constitution conciliaire Gaudium et spes accorde une attention particulière : il s'agit de l'autonomie des réalités terrestres qui signifie « que les choses créées et les sociétés elles-mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser » .

39. Ce n'est pas seulement le monde, mais aussi l'homme lui-même qui a été confié à ses propres soins et à sa propre responsabilité. Dieu l'a « laissé à son conseil » (Si 15, 14), afin qu'il cherche son Créateur et qu'il parvienne librement à la perfection. Y parvenir signifie construire personnellement en soi cette perfection. En effet, de même que l'homme façonne le monde par son intelligence et par sa volonté en le maîtrisant, de même l'homme confirme, développe et consolide en lui-même sa ressemblance avec Dieu en accomplissant des actes moralement bons.

Toutefois, le Concile demande d'être attentif à une fausse conception de l'autonomie des réalités terrestres, celle qui consiste à considérer que « les choses créées ne dépendent pas de Dieu et que l'homme peut en disposer sans référence au Créateur » . En ce qui concerne l'homme, cette conception de l'autonomie produit des effets particulièrement dommageables, car elle finit par avoir un sens athée : « La créature sans Créateur s'évanouit 6. Et même, l'oubli de Dieu rend opaque la créature elle-même » .

40. L'enseignement du Concile souligne, d'un côté, le rôle rempli par la raison humaine pour la détermination et pour l'application de la loi morale : la vie morale suppose de la part de la personne créativité et ingéniosité, car elle est source et cause de ses actes délibérés. D'un autre côté, la raison puise sa part de vérité et son autorité dans la Loi éternelle qui n'est autre que la Sagesse divine elle-même . A la base de la vie morale, il y a donc le principe d'une « juste autonomie » de l'homme, sujet personnel de ses actes. La loi morale vient de Dieu et trouve toujours en lui sa source : à cause de la raison naturelle qui découle de la Sagesse divine, elle est, en même temps, la loi propre de l'homme. En effet, la loi naturelle, comme on l'a vu, « n'est rien d'autre que la lumière de l'intelligence mise en nous par Dieu. Grâce à elle, nous savons ce que nous devons faire et ce que nous devons éviter. Cette lumière et cette loi, Dieu les a données par la création » . La juste autonomie de la raison pratique signifie que l'homme possède en lui-même sa loi, reçue du Créateur. Toutefois, l'autonomie de la raison ne peut pas signifier la création des valeurs et des normes morales par la raison elle-même . Si cette autonomie impliquait la négation de la participation de la raison pratique à la sagesse du Créateur et divin Législateur, ou bien si elle suggérait une liberté créatrice des normes morales en fonction des contingences historiques ou de la diversité des sociétés et des cultures, une telle prétention d'autonomie contredirait l'enseignement de l'Eglise sur la vérité de l'homme . Ce serait la mort de la liberté véritable : « Mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu ne mangeras pas, car le jour où tu en mangeras, tu deviendras passible de mort » (Gn 2, 17).

41. L'autonomie morale authentique de l'homme ne signifie nullement qu'il refuse, mais bien qu'il accueille la loi morale, le commandement de Dieu : « Le Seigneur Dieu fit à l'homme ce commandement... » (Gn 2, 16). La liberté de l'homme et la Loi de Dieu se rejoignent et sont appelées à s'interpénétrer, c'est-à-dire qu'il s'agit de l'obéissance libre de l'homme à Dieu et de la bienveillance gratuite de Dieu envers l'homme. Par conséquent, l'obéissance à Dieu n'est pas, comme le croient certains, une hétéronomie, comme si la vie morale était soumise à la volonté d'une toute-puissance absolue, extérieure à l'homme et contraire à l'affirmation de sa liberté. En réalité, si l'hétéronomie de la morale signifiait la négation de l'autodétermination de l'homme ou l'imposition de normes extérieures à son bien, elle serait en contradiction avec la révélation de l'Alliance et de l'Incarnation rédemptrice. Cette hétéronomie ne serait qu'une forme d'aliénation, contraire à la Sagesse divine et à la dignité de la personne humaine.

Certains parlent, à juste titre, de théonomie, ou dethéonomie participée, parce que l'obéissance libre de l'homme à la Loi de Dieu implique effectivement la participation de la raison et de la volonté humaines à la sagesse et à la providence de Dieu. En défendant à l'homme de manger « de l'arbre de la connaissance du bien et du mal » (Gn 2, 17), Dieu affirme qu'à l'origine l'homme ne possède pas en propre cette « connaissance », mais qu'il y participe seulement par la lumière de la raison naturelle et de la révélation divine qui lui manifestent les exigences et les appels de la Sagesse éternelle. On doit donc dire que la loi est une expression de la Sagesse divine : en s'y soumettant, la liberté se soumet à la vérité de la création. C'est pourquoi il convient de reconnaître dans la liberté de la personne humaine l'image et la proximité de Dieu qui est présent en tous (cf. Ep 4, 6) ; de même, il faut confesser la majesté du Dieu de l'univers et vénérer la sainteté de la Loi de Dieu infiniment transcendante. Deus semper maior .

Heureux l'homme qui se plaît dans la Loi du Seigneur (cf. Ps 1, 1-2)

42. La liberté de l'homme, formée sur le modèle de celle de Dieu, n'est pas supprimée par son obéissance à la Loi divine, mais elle ne demeure dans la vérité et elle n'est conforme à la dignité de l'homme que par cette obéissance, comme l'écrit clairement le Concile : « La dignité de l'homme exige de lui qu'il agisse selon un choix conscient et libre, mû et déterminé par une conviction personnelle et non sous le seul effet de poussées instinctives ou d'une contrainte extérieure. L'homme parvient à cette dignité lorsque, se délivrant de toute servitude des passions, par le choix libre du bien, il marche vers sa destinée et prend soin de s'en procurer réellement les moyens par son ingéniosité » .

En tendant vers Dieu, vers Celui qui « seul est le Bon », l'homme doit accomplir le bien et éviter le mal librement. Mais, pour cela, l'homme doit pouvoir distinguer le bien du mal. Et cela s'effectue surtout grâce à la lumière de la raison naturelle, reflet en l'homme de la splendeur du visage de Dieu. Dans ce sens, saint Thomas écrit en commentant un verset du Psaume 4 : « Quand le Psaume disait : " Offrez des sacrifices de justice " (Ps 4, 6), il ajoutait comme pour ceux qui demandaient quelles sont ces œuvres de justice : " Beaucoup disent : Qui nous montrera le bien ? " et il leur donnait cette réponse : " Seigneur, nous avons la lumière de ta face imprimée en nous ", c'est-à-dire que la lumière de notre raison naturelle, nous faisant discerner ce qui est bien et ce qui est mal — ce qui relève de la loi naturelle —, n'est autre qu'une impression en nous de la lumière divine » . On voit là pourquoi cette loi est appelée loi naturelle : elle est appelée ainsi non pas par rapport à la nature des êtres irrationnels, mais parce que la raison qui la promulgue est précisément celle de la nature humaine .

43. Le Concile Vatican II rappelle que « la norme suprême de la vie humaine est la Loi divine elle-même, éternelle, objective et universelle, par laquelle Dieu, dans son dessein de sagesse et d'amour, règle, dirige et gouverne le monde entier, ainsi que les voies de la communauté humaine. De cette Loi qui est sienne, Dieu rend l'homme participant de telle sorte que, par une heureuse disposition de la providence divine, celui-ci puisse toujours davantage accéder à l'immuable vérité » .

Le Concile renvoie à la doctrine classique sur la Loi éternelle de Dieu. Saint Augustin la définit comme « la raison ou la volonté de Dieu qui permet de garder l'ordre naturel et interdit de le troubler » ; Saint Thomas l'identifie avec « la raison de la sagesse divine qui meut toute chose à la fin requise » . Et la sagesse de Dieu est providence, amour qui veille. C'est donc Dieu lui-même qui aime et qui veille, dans le sens le plus littéral et fondamental, sur toute la création (cf. Sg 7, 22 ; 8, 11). Dieu prend soin des hommes autrement que des êtres non personnels : non pas « de l'extérieur » par les lois de la nature physique, mais « de l'intérieur » par la raison qui, du fait qu'elle connaît la Loi éternelle de Dieu par une lumière naturelle, est en mesure de montrer à l'homme la juste direction de son agir libre . De cette manière, Dieu appelle l'homme à participer à sa providence, voulant, par l'homme lui-même, c'est-à-dire par son action raisonnable et responsable, conduire le monde, non seulement le monde de la nature, mais encore celui des personnes humaines. La loi naturelle se situe dans ce contexte, en tant qu'expression humaine de la Loi éternelle de Dieu : « Parmi tous les êtres — écrit saint Thomas —, la créature raisonnable est soumise à la providence divine d'une manière plus excellente par le fait qu'elle participe elle-même de cette providence en pourvoyant à soi-même et aux autres. En cette créature, il y a donc une participation de la raison éternelle selon laquelle elle possède une inclination naturelle au mode d'agir et à la fin qui sont requis. C'est cette participation de la Loi éternelle qui, dans la créature raisonnable, est appelée loi naturelle » .

44. L'Eglise s'est souvent référée à la doctrine thomiste de la loi naturelle, l'intégrant dans son enseignement moral. Mon vénéré prédécesseur Léon XIII a ainsi souligné la soumission essentielle de la raison et de la loi humaine à la Sagesse de Dieu et à sa Loi. Après avoir dit que « la loi naturelle est écrite et gravée dans le cœur de chaque homme, car elle est la raison même de l'homme lui ordonnant de bien faire et lui interdisant de pécher », Léon XIII renvoie à la « raison plus haute » du Législateur divin : « Mais cette prescription de la raison humaine ne pourrait avoir force de loi, si elle n'était l'organe et l'interprète d'une raison plus haute, à laquelle notre esprit et notre liberté doivent obéissance ». En effet, l'autorité de la loi réside dans son pouvoir d'imposer des devoirs, de conférer des droits et de sanctionner certains comportements : « Or tout cela ne pourrait exister dans l'homme, s'il se donnait à lui-même en législateur suprême la règle de ses propres actes ». Et il conclut : « Il s'ensuit que la loi naturelle est la Loi éternelle elle-même, inscrite dans les êtres doués de raison et les inclinant à l'acte et à la fin qui leur sont propres ; et elle n'est que la raison éternelle du Dieu créateur et modérateur du monde » .

L'homme peut reconnaître le bien et le mal grâce au discernement du bien et du mal que lui-même opère par sa raison, en particulier par sa raison éclairée par la Révélation divine et par la foi, en vertu de la Loi que Dieu a donnée au peuple élu, à commencer par les commandements du Sinaï. Israël a été appelé à recevoir et à vivre la Loi de Dieu comme don spécial et signe de l'élection et de l'Alliance divines, et en même temps comme attestation de la bénédiction de Dieu. Moïse pouvait ainsi s'adresser aux fils d'Israël et leur demander : « Quelle est la grande nation dont les dieux se fassent aussi proches que le Seigneur notre Dieu l'est pour nous chaque fois que nous l'invoquons ? Et quelle est la grande nation dont les lois et coutumes soient aussi justes que toute cette Loi que je vous prescris aujourd'hui ? » (Dt 4, 7-8). C'est dans les Psaumes que nous trouvons l'expression de la louange, de la gratitude et de la vénération que le peuple élu est appelé à nourrir envers la Loi de Dieu, en même temps que l'exhortation à la connaître, à la méditer et à la mettre en œuvre dans la vie : « Heureux l'homme qui ne suit pas le conseil des impies, ni dans la voie des égarés ne s'arrête, ni au siège des rieurs ne s'assied, mais se plaît dans la Loi du Seigneur, mais murmure sa Loi jour et nuit ! » (Ps 1, 1-2). « La Loi du Seigneur est parfaite, réconfort pour l'âme ; le témoignage du Seigneur est véridique, sagesse du simple. Les préceptes du Seigneur sont droits, joie pour le cœur ; le commandement du Seigneur est limpide, lumière des yeux » (Ps 1918, 8-9).

45. L'Eglise accueille avec reconnaissance tout le dépôt de la Révélation et le conserve avec amour ; elle le considère avec un respect religieux quand elle remplit sa mission d'interpréter la Loi de Dieu de manière authentique à la lumière de l'Evangile. En outre, l'Eglise reçoit comme un don la Loi nouvelle qui est l'« accomplissement » de la Loi de Dieu en Jésus Christ et dans son Esprit : c'est une loi « intérieure » (cf. Jr 31, 31-33), « écrite non avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur les cœurs » (2 Co 3, 3) ; une loi de perfection et de liberté (cf. 2 Co 3, 17) ; c'est « la Loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus » (Rm 8, 2). Saint Thomas écrit au sujet de cette loi : « On peut dire que c'est une loi 1 dans un premier sens : la loi de l'esprit est l'Esprit Saint 2 qui, habitant dans l'âme, non seulement enseigne ce qu'il faut faire en éclairant l'intelligence sur les actes à accomplir, mais encore incline à agir avec rectitude 3 Dans un deuxième sens, la loi de l'esprit peut se dire de l'effet propre de l'Esprit Saint, c'est-à-dire la foi opérant par la charité (Ga 5, 6) et qui, par là, instruit intérieurement sur les choses à faire 4 et dispose l'affection à agir » .

Même si, dans la réflexion théologique et morale, on a pris l'habitude de distinguer la Loi de Dieu positive et révélée de la loi naturelle, et, dans l'économie du salut, la loi « ancienne » de la loi « nouvelle », on ne peut oublier que ces distinctions utiles et d'autres encore se réfèrent toujours à la Loi dont l'auteur est le Dieu unique lui-même et dont le destinataire est l'homme. Les différentes manières dont Dieu veille sur le monde et sur l'homme dans l'histoire non seulement ne s'excluent pas, mais, au contraire, se renforcent l'une l'autre et s'interpénètrent. Toutes proviennent du dessein éternel de sagesse et d'amour par lequel Dieu prédestine les hommes « à reproduire l'image de son Fils » (Rm 8, 29) et elles le manifestent. Ce dessein ne comporte aucune menace pour la liberté authentique de l'homme ; au contraire, l'accueil de ce dessein est l'unique voie pour affirmer la liberté.

« Ils montrent la réalité de la Loi inscrite en leur cœur » (Rm 2, 15).

46. Le prétendu conflit entre la liberté et la loi se présente à nouveau aujourd'hui avec une intensité particulière en ce qui concerne la loi naturelle, spécialement au sujet de la nature. En réalité, les débats sur la nature et la liberté ont toujours accompagné l'histoire de la réflexion morale, prenant un tour aigu au temps de la Renaissance et de la Réforme, comme on peut le remarquer dans les enseignements du Concile de Trente . L'époque contemporaine est marquée par une tension analogue, bien que dans un sens différent : le goût de l'observation empirique, les processus de l'objectivité scientifique, le progrès technique, certaines formes de libéralisme ont amené à opposer les deux termes, comme si la dialectique — sinon même le conflit — entre la liberté et la nature était une caractéristique qui structure l'histoire humaine. En d'autres temps, il semblait que la « nature » soumettait totalement l'homme à ses dynamismes et même à ses déterminismes. Aujourd'hui encore, les coordonnées spatio-temporelles du monde sensible, les constantes physico-chimiques, les dynamismes corporels, les pulsions psychiques, les conditionnements sociaux, apparaissent à beaucoup de gens comme les seuls facteurs réellement décisifs des réalités humaines. Dans ce contexte, les faits de nature morale eux-mêmes sont souvent considérés, au mépris de leur spécificité, comme s'il s'agissait de données statistiquement saisissables, de comportements observables ou explicables par les seules données des mécanismes psychologiques et sociaux. C'est ainsi que certains spécialistes de l'éthique, appelés par profession à examiner les faits et gestes de l'homme, peuvent avoir la tentation de mesurer l'objet de leur savoir, ou même leurs prescriptions, à partir d'un tableau statistique des comportements humains concrets et des valeurs admises par la majorité.

D'autres moralistes, inversement, soucieux d'éduquer aux valeurs, restent sensibles au prestige de la liberté, mais la conçoivent souvent en opposition, ou en conflit, avec la nature matérielle et biologique à laquelle elle devrait progressivement s'imposer. A ce propos, diverses conceptions se rejoignent dans le même oubli de la qualité de créature de la nature et dans la méconnaissance de son intégralité. Pour certains, la nature se trouve réduite à n'être qu'un matériau de l'agir humain et de son pouvoir : elle devrait être profondément transformée ou même dépassée par la liberté, parce qu'elle serait pour celle-ci une limite et une négation.Pour d'autres, les valeurs économiques, sociales, culturelles et même morales ne se constituent que dans la promotion sans limites du pouvoir de l'homme ou de sa liberté : la nature ne désignerait alors que tout ce qui, en l'homme et dans le monde, se trouve hors du champ de la liberté. Cette nature comprendrait en premier lieu le corps humain, sa constitution et ses dynamismes : à ce donné physique s'opposerait ce qui est « construit », c'est-à-dire la « culture », en tant qu'œuvre et produit de la liberté. La nature humaine, ainsi comprise, pourrait être réduite à n'être qu'un matériau biologique ou social toujours disponible. Cela signifie, en dernier ressort, que la liberté se définirait par elle-même et serait créatrice d'elle-même et de ses valeurs. C'est ainsi qu'à la limite l'homme n'aurait même pas de nature et qu'il serait à lui-même son propre projet d'existence. L'homme ne serait rien d'autre que sa liberté !

47. C'est dans ce contexte que sont apparues les objections du physicisme et du naturalisme contre la conception traditionnelle de la loi naturelle : cette dernière présenterait comme lois morales celles qui ne seraient en elles-mêmes que des lois biologiques. On aurait ainsi attribué trop superficiellement à certains comportements humains un caractère permanent et immuable et, à partir de là, on aurait prétendu formuler des normes morales universellement valables. Selon certains théologiens, une telle « argumentation biologiste ou naturaliste » serait même présente dans certains documents du Magistère de l'Eglise, spécialement dans ceux qui abordent le domaine de l'éthique sexuelle et matrimoniale. Ce serait en se fondant sur une conception naturaliste de l'acte sexuel qu'auraient été condamnés comme moralement inadmissibles la contraception, la stérilisation directe, l'auto-érotisme, les rapports pré-matrimoniaux, les relations homosexuelles, de même que la fécondation artificielle. Or, selon l'avis de ces théologiens, l'évaluation moralement négative de ces actes ne prendrait pas convenablement en considération le caractère rationnel et libre de l'homme, ni le conditionnement culturel de toute norme morale. Ils disent que l'homme, comme être rationnel, non seulement peut, mais même doit déterminer librement le sens de ses comportements. Cette « détermination du sens » devra tenir compte, évidemment, des multiples limites de l'être humain qui est dans une condition corporelle et historique. Elle devra également tenir compte des modèles de comportement et du sens qu'ils prennent dans une culture particulière. Surtout, elle devra respecter le commandement fondamental de l'amour de Dieu et du prochain. Mais Dieu — affirment-ils ensuite — a créé l'homme comme être rationnel et libre, il l'a laissé « à son conseil » et attend de lui qu'il façonne lui-même rationnellement sa vie. L'amour du prochain signifierait avant tout ou exclusivement le respect pour la libre détermination de lui-même. Les mécanismes du comportement propres à l'homme, mais aussi ce qu'on appelle ses « inclinations naturelles », fonderaient tout au plus — disent-ils — une orientation générale du comportement droit, mais ils ne pourraient pas déterminer la valeur morale des actes humains singuliers, si complexes en fonction des situations.

48. Face à cette interprétation, il convient de considérer avec attention le rapport exact qui existe entre la liberté et la nature humaine et, en particulier, la place du corps humain du point de vue de la loi naturelle.

Une liberté qui prétend être absolue finit par traiter le corps humain comme un donné brut, dépourvu de signification et de valeur morales tant que la liberté ne l'a pas saisi dans son projet. En conséquence, la nature humaine et le corps apparaissent comme des présupposés ou des préliminaires, matériellement nécessaires au choix de la liberté, mais extrinsèques à la personne, au sujet et à l'acte humain. Leurs dynamismes ne pourraient pas constituer des points de référence pour le choix moral, parce que la finalité de ces inclinations ne serait autre que des biens « physiques », que certains appellent « pré-moraux ». Les prendre comme référence, pour y chercher des indications rationnelles dans l'ordre de la moralité, cela devrait être considéré comme du physicisme ou du biologisme. Dans ce contexte, la tension entre la liberté et une nature conçue dans un sens réducteur se traduit par une division à l'intérieur de l'homme lui-même.

Cette théorie morale n'est pas conforme à la vérité sur l'homme et sur sa liberté. Elle contredit les enseignements de l'Eglise sur l'unité de l'être humain dont l'âme rationnelle est per se et essentialiter la forme du corps . L'âme spirituelle et immortelle est le principe d'unité de l'être humain, elle est ce pour quoi il existe comme un tout — corpore et anima unus — en tant que personne. Ces définitions ne montrent pas seulement que même le corps, auquel est promise la résurrection, aura part à la gloire ; elles rappellent également le lien de la raison et de la volonté libre avec toutes les facultés corporelles et sensibles. La personne, comprenant son corps, est entièrement confiée à elle-même, et c'est dans l'unité de l'âme et du corps qu'elle est le sujet de ses actes moraux. Grâce à la lumière de la raison et au soutien de la vertu, la personne découvre en son corps les signes annonciateurs, l'expression et la promesse du don de soi, en conformité avec le sage dessein du Créateur. C'est à la lumière de la dignité de la personne humaine, qui doit être affirmée pour elle-même, que la raison saisit la valeur morale spécifique de certains biens auxquels la personne est naturellement portée. Et, puisque la personne humaine n'est pas réductible à une liberté qui se projette elle-même, mais qu'elle comporte une structure spirituelle et corporelle déterminée, l'exigence morale première d'aimer et de respecter la personne comme une fin et jamais comme un simple moyen implique aussi intrinsèquement le respect de certains biens fondamentaux, hors duquel on tombe dans le relativisme et dans l'arbitraire.

49. Une doctrine qui dissocie l'acte moral des dimensions corporelles de son exercice est contraire aux enseignements de la Sainte Ecriture et de la Tradition : une telle doctrine fait revivre, sous des formes nouvelles, certaines erreurs anciennes que l'Eglise a toujours combattues, car elles réduisent la personne humaine à une liberté « spirituelle » purement formelle. Cette réduction méconnaît la signification morale du corps et des comportements qui s'y rattachent (cf. 1 Co 6, 19). L'Apôtre Paul déclare que n'hériteront du Royaume de Dieu « ni impudiques, ni idolâtres, ni adultères, ni dépravés, ni gens de mœurs infâmes, ni voleurs, ni cupides, pas plus qu'ivrognes, insulteurs ou rapaces » (1 Co 6, 9-10). Cette condamnation, formellement exprimée par le Concile de Trente met au nombre des « péchés mortels », ou des « pratiques infâmes », certains comportements spécifiques dont l'acceptation volontaire empêche les croyants d'avoir part à l'héritage promis. En effet, le corps et l'âme sont indissociables : dans la personne, dans l'agent volontaire et dans l'acte délibéré, ils demeurent ou se perdent ensemble.

50. On peut alors comprendre le vrai sens de la loi naturelle : elle se réfère à la nature propre et originale de l'homme, à la « nature de la personne humaine » , qui est la personne elle-même dans l'unité de l'âme et du corps, dans l'unité de ses inclinations d'ordre spirituel ou biologique et de tous les autres caractères spécifiques nécessaires à la poursuite de sa fin. « La loi morale naturelle exprime et prescrit les finalités, les droits et les devoirs qui se fondent sur la nature corporelle et spirituelle de la personne humaine. Aussi ne peut-elle pas être conçue comme normativité simplement biologique, mais elle doit être définie comme l'ordre rationnel selon lequel l'homme est appelé par le Créateur à diriger et à régler sa vie et ses actes, et, en particulier, à user et à disposer de son propre corps » . Par exemple, l'origine et le fondement du devoir de respecter absolument la vie humaine doivent être cherchés dans la dignité propre à la personne et non pas seulement dans l'inclination naturelle à conserver sa vie physique. Ainsi la vie humaine, tout en étant un bien fondamental de l'homme, acquiert une signification morale par rapport au bien de la personne, qui doit toujours être reconnue pour elle-même : s'il est toujours moralement illicite de tuer un être humain innocent, il peut être licite et louable de donner sa vie (cf. Jn 15, 13) par amour du prochain ou pour rendre témoignage à la vérité, et cela peut même être un devoir. En réalité, ce n'est qu'en référence à la personne humaine dans sa « totalité unifiée », c'est-à-dire « une âme qui s'exprime dans un corps et un corps animé par un esprit immortel » , que l'on peut déchiffrer le sens spécifiquement humain du corps. En effet, les inclinations naturelles ne prennent une qualité morale qu'en tant qu'elles se rapportent à la personne humaine et à sa réalisation authentique qui, d'autre part, ne peut jamais exister que dans la nature humaine. L'Eglise sert l'homme en refusant les manipulations affectant la corporéité, qui en altèrent la signification humaine, et elle lui montre la voie de l'amour véritable, sur laquelle seule il peut trouver le vrai Dieu.

La loi naturelle ainsi comprise ne laisse pas place à la séparation entre la liberté et la nature. En effet, celles-ci sont harmonieusement liées entre elles et intimement alliées l'une avec l'autre.

« Mais dès l'origine il n'en fut pas ainsi » (Mt 19, 8)

51. Le prétendu conflit entre la liberté et la nature retentit aussi sur l'interprétation de certains aspects spécifiques de la loi naturelle, surtout de son universalité et de son immutabilité. « Où donc ces règles sont-elles écrites — se demandait saint Augustin —, 1 sinon dans le livre de la lumière qu'on appelle vérité ? C'est là qu'est inscrite toute loi juste, et de là qu'elle passe dans le cœur de l'homme qui fait œuvre de justice, non par mode de déplacement mais, pour ainsi dire, d'impression, comme l'effigie du sceau va se déposer sur la cire sans quitter le sceau » .

C'est précisément grâce à cette « vérité » que la loi naturelle suppose l'universalité. En tant qu'inscrite dans la nature raisonnable de la personne, elle s'impose à tout être doué de raison et vivant dans l'histoire. Pour se perfectionner dans son ordre, la personne doit faire le bien et éviter le mal, veiller à la transmission et à la préservation de la vie, affiner et développer les richesses du monde sensible, cultiver la vie sociale, chercher la vérité, pratiquer le bien, contempler la beauté .

La coupure faite par certains entre la liberté des individus et la nature commune à tous, ainsi qu'il ressort de certaines théories philosophiques qui ont une grande influence dans la culture contemporaine, obscurcit la perception de l'universalité de la loi morale par la raison. Mais, du fait qu'elle exprime la dignité de la personne humaine et établit le fondement de ses droits et de ses devoirs primordiaux, la loi naturelle est universelle dans ses prescriptions et son autorité s'étend à tous les hommes. Cette universalité ne laisse pas de côté la singularité des êtres humains, et elle ne s'oppose pas à l'unicité et au caractère irremplaçable de chaque personne ; au contraire, elle inclut à leur source tous ses actes libres qui doivent attester l'universalité du bien authentique. En se soumettant à la loi commune, nos actes construisent la vraie communion des personnes et, avec la grâce de Dieu, mettent en pratique la charité, « en laquelle se noue la perfection » (Col 3, 14). Au contraire, quand ils méconnaissent ou seulement ignorent la loi, de manière responsable ou non, nos actes blessent la communion des personnes, au préjudice de tous.

52. Il est juste et bon, toujours et pour tous, de servir Dieu, de lui rendre le culte requis et d'honorer nos parents en vérité. Ces préceptes positifs, qui prescrivent d'accomplir certaines actions et de cultiver certaines attitudes, obligent universellement et ils sont immuables ; ils réunissent dans le même bien commun tous les hommes de toutes les époques de l'histoire, créés pour « la même vocation et la même destinée divine » . Ces lois universelles et permanentes correspondent à ce que connaît la raison pratique et elles sont appliquées dans les actes particuliers par le jugement de la conscience. Le sujet qui agit assimile personnellement la vérité contenue dans la loi : il s'approprie et fait sienne cette vérité de son être par ses actes et par les vertus correspondantes. Les préceptes négatifs de la loi naturelle sont universellement valables : ils obligent tous et chacun, toujours et en toute circonstance. En effet, ils interdisent une action déterminée semper et pro semper, sans exception, parce que le choix d'un tel comportement n'est en aucun cas compatible avec la bonté de la volonté de la personne qui agit, avec sa vocation à la vie avec Dieu et à la communion avec le prochain. Il est défendu à tous et toujours de transgresser des préceptes qui interdisent, à tous et à tout prix, d'offenser en quiconque et, avant tout, en soi-même la dignité personnelle commune à tous.

D'autre part, le fait que seuls les commandements négatifs obligent toujours et en toutes circonstances ne veut pas dire que les prohibitions soient plus importantes dans la vie morale que le devoir de faire le bien, exprimé par les comportements positifs. La raison en est plutôt la suivante : le commandement de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain ne comporte dans sa dynamique positive aucune limite supérieure, mais il a une limite inférieure en dessous de laquelle il est violé. En outre, ce que l'on doit faire dans une situation déterminée dépend des circonstances, qui ne sont pas toutes prévisibles à l'avance ; au contraire, il y a des comportements qui ne peuvent jamais, et dans aucune situation, être la réponse juste, c'est-à-dire conforme à la dignité de la personne. Enfin, il est toujours possible que l'homme, sous la contrainte ou en d'autres circonstances, soit empêché d'accomplir certaines bonnes actions ; mais il ne peut jamais être empêché de ne pas faire certaines actions, surtout s'il est prêt à mourir plutôt que de faire le mal.

L'Eglise a toujours enseigné que l'on ne doit jamais choisir des comportements prohibés par les commandements moraux, exprimés sous forme négative par l'Ancien et le Nouveau Testament. Comme on l'a vu, Jésus lui-même redit qu'on ne peut déroger à ces interdictions : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements 1. " Tu ne tueras pas, tu ne commettras pas d'adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage " » (Mt 19, 17-18).

53. L'homme contemporain se montre très sensible à l'historicité et à la culture, et cela amène certains à douter de l'immutabilité de la loi naturelle elle-même et donc de l'existence de « normes objectives de la moralité » valables pour tous les hommes actuellement et à l'avenir, comme elles l'étaient déjà dans le passé : est-il possible d'affirmer que sont universellement valables pour tous et permanentes certaines déterminations rationnelles établies dans le passé, alors qu'on ignorait le progrès que l'humanité devait faire par la suite ?

On ne peut nier que l'homme se situe toujours dans une culture particulière, mais on ne peut nier non plus que l'homme ne se définit pas tout entier par cette culture. Du reste, le progrès même des cultures montre qu'il existe en l'homme quelque chose qui transcende les cultures. Ce « quelque chose » est précisément la nature de l'homme : cette nature est la mesure de la culture et la condition pour que l'homme ne soit prisonnier d'aucune de ses cultures, mais pour qu'il affirme sa dignité personnelle dans une vie conforme à la vérité profonde de son être. Si l'on remettait en question les éléments structurels permanents de l'homme, qui sont également liés à sa dimension corporelle même, non seulement on irait contre l'expérience commune, mais on rendrait incompréhensible la référence que Jésus a faite à « l'origine », justement lorsque le contexte social et culturel du temps avait altéré le sens originel et le rôle de certaines normes morales (cf. Mt 19, 1-9). Dans ce sens, l'Eglise « affirme que, sous tous les changements, bien des choses demeurent qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier, aujourd'hui et à jamais » . C'est lui le « Principe » qui, ayant assumé la nature humaine, l'éclaire définitivement dans ses éléments constitutifs et dans le dynamisme de son amour envers Dieu et envers le prochain .

Il convient assurément de rechercher et de trouver la formulation la plus appropriée des normes morales universelles et permanentes selon les contextes culturels divers, plus à même d'en exprimer constamment l'actualité historique, d'en faire comprendre et d'en interpréter authentiquement la vérité. Cette vérité de la loi morale — de même que celle du « dépôt de la foi » — se déploie à travers les siècles : les normes qui l'expriment restent valables dans leur substance, mais elles doivent être précisées et déterminées « eodem sensu eademque sententia » selon les circonstances historiques par le Magistère de l'Eglise, dont la décision est précédée et accompagnée par l'effort de lecture et de formulation fourni par la raison des croyants et par la réflexion théologique .




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