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Ioannes Paulus PP. II Centesimus annus IntraText CT - Lecture du Texte |
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VI. L'HOMME EST LA ROUTE DE L'EGLISE Tel est le principe, et le principe unique, qui inspire la doctrine sociale de l'Eglise. Si celle-ci a progressivement élaboré cette doctrine d'une manière systématique, surtout à partir de la date que nous commémorons, c'est parce que toute la richesse doctrinale de l'Eglise a pour horizon l'homme dans sa réalité concrète de pécheur et de juste. L'encyclique Rerum novarum peut être considérée comme un apport important à l'analyse socio-économique de la fin du XIXème siècle, mais sa valeur particulière lui vient de ce qu'elle est un document du magistère qui s'inscrit bien dans la mission évangélisatrice de l'Eglise en même temps que beaucoup d'autres documents de cette nature. On en déduit que la doctrine sociale a par elle-même la valeur d'un instrument d'évangélisation : en tant que telle, à tout homme elle annonce Dieu et le mystère du salut dans le Christ, et, pour la même raison, elle révèle l'homme à lui-même. Sous cet éclairage, et seulement sous cet éclairage, elle s'occupe du reste : les droits humains de chacun et en particulier du « prolétariat », la famille et l'éducation, les devoirs de l'Etat, l'organisation de la société nationale et internationale, la vie économique, la culture, la guerre et la paix, le respect de la vie depuis le moment de la conception jusqu'à la mort. L'anthropologie chrétienne est donc en réalité un chapitre de la théologie, et, pour la même raison, la doctrine sociale de l'Eglise, en s'occupant de l'homme, en s'intéressant à lui et à sa manière de se comporter dans le monde, « appartient 3 au domaine de la théologie et spécialement de la théologie morale » . La dimension théologique apparaît donc nécessaire tant pour interpréter que pour résoudre les problèmes actuels de la convivialité humaine. Cela vaut — il convient de le noter — à la fois pour la solution « athée », qui prive l'homme de l'une de ses composantes fondamentales, la composante spirituelle, et pour les solutions inspirées par la permissivité et l'esprit de consommation, solutions qui, sous divers prétextes, cherchent à le convaincre de son indépendance par rapport à Dieu et à toute loi, l'enfermant dans un égoïsme qui finit par nuire à lui-même et à autrui. Quand elle annonce à l'homme le salut de Dieu, quand elle lui offre la vie divine et la lui communique par les sacrements, quand elle oriente sa vie par les commandements de l'amour de Dieu et du prochain, l'Eglise contribue à l'enrichissement de la dignité de l'homme. Mais, de même qu'elle ne peut jamais abandonner cette mission religieuse et transcendante en faveur de l'homme, de même, elle se rend compte que son oeuvre affronte aujourd'hui des difficultés et des obstacles particuliers. Voilà pourquoi elle se consacre avec des forces et des méthodes toujours nouvelles à l'évangélisation qui assure le développement de tout l'homme. A la veille du troisième millénaire, elle reste « le signe et la sauvegarde du caractère transcendant de la personne humaine » , comme elle a toujours essayé de l'être depuis le début de son existence, cheminant avec l'homme tout au long de son histoire. L'encyclique Rerum novarum en est une expression significative. Je voudrais en particulier qu'on la fasse connaître et qu'on l'applique dans les pays où, après l'écroulement du socialisme réel, on paraît très désorienté face à la tâche de reconstruction. De leur côté, les pays occidentaux eux-mêmes courent le risque de voir dans cet effondrement la victoire unilatérale de leur système économique et ils ne se soucient donc pas d'y apporter maintenant les corrections qu'il faudrait. Quant aux pays du Tiers-Monde, ils se trouvent plus que jamais dans la dramatique situation du sous-développement, qui s'aggrave chaque jour. Léon XIII, après avoir formulé les principes et les orientations pour une solution de la question ouvrière, a écrit ce mot d'ordre : « Que chacun se mette sans délai à la part qui lui incombe de peur qu'en différant le remède on ne rende incurable un mal déjà si grave! ». Et il ajoutait : « Quant à l'Eglise, son action ne fera jamais défaut en aucune manière » . Plus que jamais, l'Eglise sait que son message social sera rendu crédible par le témoignage des oeuvres plus encore que par sa cohérence et sa logique internes. C'est aussi de cette conviction que découle son option préférentielle pour les pauvres, qui n'est jamais exclusive ni discriminatoire à l'égard d'autres groupes. Il s'agit en effet d'une option qui ne vaut pas seulement pour la pauvreté matérielle : on sait bien que, surtout dans la société moderne, on trouve de nombreuses formes de pauvreté, économique mais aussi culturelle et religieuse. L'amour de l'Eglise pour les pauvres, qui est capital et qui fait partie de sa tradition constante, la pousse à se tourner vers le monde dans lequel, malgré le progrès technique et économique, la pauvreté menace de prendre des proportions gigantesques. Dans les pays occidentaux, il y a la pauvreté aux multiples formes des groupes marginaux, des personnes âgées et des malades, des victimes de la civilisation de consommation et, plus encore, celle d'une multitude de réfugiés et d'émigrés ; dans les pays en voie de développement, on voit poindre à l'horizon des crises qui seront dramatiques si l'on ne prend pas en temps voulu des mesures coordonnées au niveau international. La nouveauté dont on fait l'expérience à la suite du Christ doit être communiquée aux autres hommes dans la réalité concrète de leurs difficultés, de leurs luttes, de leurs problèmes et de leurs défis, afin que tout cela soit éclairé et rendu plus humain par la lumière de la foi. Celle-ci, en effet, n'aide pas seulement à trouver des solutions : elle permet aussi de supporter humainement les situations de souffrance, afin qu'en elles l'homme ne se perde pas et qu'il n'oublie pas sa dignité et sa vocation. En outre, la doctrine sociale a une importante dimension interdisciplinaire. Pour mieux incarner l'unique vérité concernant l'homme dans des contextes sociaux, économiques et politiques différents et en continuel changement, cette doctrine entre en dialogue avec les diverses disciplines qui s'occupent de l'homme, elle en assimile les apports et elle les aide à s'orienter, dans une perspective plus vaste, vers le service de la personne, connue et aimée dans la plénitude de sa vocation. A côté de la dimension interdisciplinaire, il faut rappeler aussi la dimension pratique et, en un sens, expérimentale de cette doctrine. Elle se situe à la rencontre de la vie et de la conscience chrétienne avec les situations du monde, et elle se manifeste dans les efforts accomplis par les individus, les familles, les agents culturels et sociaux, les politiciens et les hommes d'Etat pour lui donner sa forme et son application dans l'histoire. Toutefois, le Pape Léon XIII constatait avec tristesse que les idéologies de son temps, particulièrement le libéralisme et le marxisme, refusaient cette collaboration. Depuis lors, bien des choses ont changé, surtout ces dernières années. Le monde prend toujours mieux conscience aujourd'hui de ce que la solution des graves problèmes nationaux et internationaux n'est pas seulement une question de production économique ou bien d'organisation juridique ou sociale, mais qu'elle requiert des valeurs précises d'ordre éthique et religieux, ainsi qu'un changement de mentalité, de comportement et de structures. L'Eglise se sent en particulier le devoir d'y apporter sa contribution et, comme je l'ai écrit dans l'encyclique Sollicitudo rei socialis, il y a un espoir fondé que même les nombreuses personnes qui ne professent pas une religion puissent contribuer à donner à la question sociale le fondement éthique qui s'impose . Dans le même document, j'ai aussi lancé un appel aux Eglises chrétiennes et à toutes les grandes religions du monde, les invitant à donner un témoignage unanime des convictions communes sur la dignité de l'homme, créé par Dieu . Je suis convaincu, en effet, que les religions auront aujourd'hui et demain un rôle prépondérant dans la conservation de la paix et dans la construction d'une société digne de l'homme. D'autre part, il est demandé à tous les hommes de bonne volonté d'être disposés au dialogue et à la collaboration, et cela vaut en particulier pour les personnes et les groupes qui ont une responsabilité propre dans les domaines politique, économique et social, que ce soit au niveau national ou international. Cent années après la publication de Rerum novarum, l'Eglise se trouve encore face à des « choses nouvelles » et à des défis nouveaux. C'est pourquoi ce centenaire doit confirmer dans leur effort tous les hommes de bonne volonté et en particulier les croyants. La véritable et permanente « nouveauté des choses » vient en tout temps de la puissance infinie de Dieu, qui dit : « Voici, je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5). Ces paroles se réfèrent à l'accomplissement de l'histoire, quand le Christ « remettra la royauté à Dieu le Père... afin que Dieu soit tout en tous » (1 Co 15, 24.28). Mais le chrétien sait bien que la nouveauté que nous attendons dans sa plénitude au retour du Seigneur est présente depuis la création du monde, et plus exactement depuis que Dieu s'est fait homme en Jésus-Christ, et qu'avec lui et par lui il a fait une « création nouvelle » (2 Co 5, 17 ; cf. Ga 6, 15). Avant de conclure, je rends grâce encore une fois à Dieu tout-puissant qui a donné à son Eglise la lumière et la force nécessaires pour accompagner l'homme dans son cheminement terrestre vers son destin éternel. Au troisième millénaire aussi, l'Eglise continuera fidèlement à faire sienne la route de l'homme, sachant qu'elle ne marche pas toute seule mais avec le Christ, son Seigneur. C'est lui qui a fait sienne la route de l'homme et qui le conduit, même s'il ne s'en rend pas compte. Puisse Marie, Mère du Rédempteur, elle qui reste auprès du Christ dans sa marche vers les hommes et avec les hommes, et qui précède l'Eglise dans son pèlerinage de la foi, accompagner de sa maternelle intercession l'humanité vers le prochain millénaire, dans la fidélité à Celui qui « est le même hier et aujourd'hui » et qui « le sera à jamais » (cf. He 13, 8), Jésus-Christ, notre Seigneur, au nom duquel, de grand coeur, j'accorde à tous ma Bénédiction. Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 1er mai 1991 — mémoire de saint Joseph, travailleur —, en la treizième année de mon pontificat.
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