Au lever du rideau, Louise va
à la porte d'entrée où elle écoute, craintive, puis elle revient près du
balcon, regarde d'abord derrière les rideaux, ouvre la fenêtre et se montre à
Julien.
Julien [debout sur la
terrasse]
O coeur ami! O coeur promis! hélas si loin, si près!
Toi! mon idole, ma joie, mon regret!
Le jour s'envole... Ah! ta parole va-t-elle apprendre à mon amour que ton coeur
prend plaisir à guetter mon bonjour?..
Louise
Vous avez tardé à m'envoyer votre bonjour quotidien; je ne l'espérais plus!...
Elle va écouter vers la porte d'entrée, puis revient.
Je vous en remercie et vous envoie le mien du fond de mon cceur!
Elle lui envoie un baiser.
Julien
Tu m'as dit dans ta dernière lettre: ``Prenez patience, l'heure est prochaine;
écrivez encore à mon père; s'il refuse irrévocablement, je promets de fuir avec
vous.''
Louise [agitée, triste]
Je suis une folle de vous avoir dit cela! Que puis-je faire? je vous aime tant
et j'aime tant mes parents! Si je les écoute, c'est la mort de mon coeur: si je
vous suis, Julien, quel chagrin pour les miens.
Julien [doucement]
Âme craintive, et toujours flottante... En songeant trop à leur bonheur, ne fais-tu
pas notre malheur!
Louise [avec coquetterie,
ironique]
Malheur réparable!
Julien [avec chaleur]
Irréparable!
Louise
Légère déception!
Julien
Infinie souffrance!
Louise
Vous m'oublierez!
Julien
Ah! tais-toi! tes froides railleries me font trop de peine!
Louise [souriante sans
presser]
On ne peut pas plaisenter avec vous...
[malicieuse] Vous ne seriez pas le premier à perdre vite la mémoire...
[mutine] puis, vous parlez d'amour: et semble-t-il, vous m'adorez;
[avec pétulance] m'avez-vous jamais dit comment naquit cette tendresse?
[coquette] serais-je indiscrète en vous demandant d'en parler
maintenant?
Voyons, racontez, et dépêchez-vous: maman va bientôt rentrer.
Julien [étonné]
Que voulez-vous dire?
Louise
Contez-moi comment vous m'avez aimée? avez-vous compris?
Julien [ souriant]
Prêtez l'oreille:
Depuis longtemps j'habitais cette chambre, sans me douter, hélas! que j'avais
pour voisine une enfant aux grands yeux, une vierge des cieux, que des parents
sévères gardaient comme une prisonnière.
Louise
La recluse attendait qu'un beau chevalier, comme dans les livres, vînt enfin la
délivrer.
Julien
Comment l'aurai-je appris? Je dissertais le jour dans quelque brasserie... et
la nuit venue je rimais des folies pour la lointaine Ophélie qu'évoquait mon
désir; tandis que là, près de moi, sommeillait l'avenir!
Louise
La recluse songeait au prince Charmant qui réveilla la Belle au Coeur Dormant!
Comment aurait-elle su que son Chevalier habitait au premier sous le ciel, et
que de sa fenêtre il pouvait surprendre les secrets de... mon coeur?
Julien [s'animant]
Mais un soir, dans l'escalier sombre, où je dégringolais comme d'habitude en
chantant...
[Louise va écouter à la porte, puis revient]
Je vis passer près de moi, ô surprise! deux ombres inconnues dont la seconde,
toute jolie, de forme fêle, idéale, dans l'ombre grise laissa comme un sillage
lumineux et parfumé!
Le lendemain, c'était le jour de Pâques;, de grand matin je guettais votre
fenêtre...
Quelle musique dira l'émerveillement de mes yeux quand tu vins à paraître, dans
le soleil, souriante...
Une madone de Vinci ne sourit pas ainsi, non! non! ces sourires mutins ne
fleurissent qu'à Paris!
Je regardai longuement et mon destin m'apparut, lié pour jamais à ton image...
Tout autour de moi s'agitait la
Ville immense! tout fêtait l'heureux jour! tout clamait:
Espérance! Et mon coeur chantait les matines d'amour!
La porte d'entrée s'ouvre, la
mère paraît. Elle reste sur le seuil, près de la porte refermée, écoute, puis
s'avance vers la fenêtre.
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