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Gustave Charpentier
Louise

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  • QUATRIÈME
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ACTE QUATRIÈME

 

Même décor qu'au premier acte. La maison et la terrasse de Julien ont disparu et l'on voit, au loin, Paris. Neuf heures du soir. En été.

Scène I. Le Père, La Mère, puis Louise

 

Le père est assis près de la table. La mère, dans la cuisine, fait la lessive. A travers la porte vitrée, on aperçoit Louise dans sa chambre; elle travaille près de la fenêtre ouverte. La mère paraît à la porte de la cuisine et s'avance; elle pose près du père un bol de tisane, l'invite timidement à boire; puis va vers la fenêtre qu'elle ouvre. Celui-ci les yeux fixés sur Louise ne semble pas le voir.

La Mère [cherchant à l'égayer; doucement]
Tu devrais te rapprocher de la fenêtre... il y fait si bon depuis que les démolisseurs ont balayé le vieux faubourg... et ouvert à Paris le chemin de notre chambre.
Ah! on respire maintenant!
[cherchant à intéresser le père, immobile et sombre]
Vois la belle trouée d'air, de lumière et de vie!

Le Père [après un silence, bas, suivant des pensées]
Oui, une fameuse trouée...
[hochant la tête]
où sont disparues bien des choses...

La Mère [entre les dents]
Bien des gens!

Le Père [lointain]
Et du bonheur!

La mère revient lentement vers la table. Elle s'assied en face du Père; lui tend le bol l'invitant à boire; il obéit.

La Mère [affectueusement]
Tu as peut-être eu tort de travailler aujourd'hui...

Le Père [déclamé, avec rondeur]
Après vingt jours de paresse, j'ai dû faire un effort pour m'y remettre: mais maintenant, c'est fini et je suis d'aplomb...
Le coffre est encore solide et peut lutter longtemps!
La fatigue me fait du bien... et j'ai pris l'habitude du chagrin...
La mère fait un geste de pitié et de tendresse.
Les pauvres gens peuvent-ils être heureux?
A qui le bon Dieu donnerait-il son ciel s'il n'y avait sur la terre que des gens heureux?
[plus énergique]
Bête de somme que je suis, que tous nous sommes, sous le joug pesant de la Fatalité!
Tristes serfs d'une besogne qui ne cesse jamais!
Piteux jouets aux mains de l'injustice dans un monde où tout n'est que misère et déception!... où choses et gens sont nos ennemis; où les enfants même, dans l'égoïsme de l'amour, nous martyrisent, et nous disent:
[âprement]
``Vous avez assez vécu! place! place! nous n'avons plus besoin de vous! nous ne voulons plus de maîtres!''
[regardant Louise douloureusement]
Et, si l'on veut lutter contre leur folie, ces êtres d'orgueil, narguant notre tendresse, ajoutent leur haine à toutes nos détresses, et, silencieux, implacables, impatients, ils attendent que la mort les délivre
[avec grandeur]
de ceux qui voudraient mourir pour eux!!

Louise se lève lentement, s'accoude au mur, puis ouvre la fenêtre de sa chambre et regarde mélancoliquement dans la nuit. Le père la suit des yeux.
{Dans les théâtres ou la disposition de la scène ne permet pas que la geste de Louise soit vu par tous les spectateurs, elle sortira de sa chambre et ira s'accouder au balcon. Plus tard, lorsque la Mère l'appellera, elle ira directement du balcon à la cuisine.}

Le Père [regardant Louise, avec un sentiment différent de ce qui précède; sans tristesse ni rancune, tels doivent s'évoquer ces souvenirs heureux]
Voir naître une enfant, la fleurir de caresses, guider ses premiers pas, sourire à son premier sourire!
La mère s'avance, s'arrête, et regarde tristement le père. Louise pleure; le père la contemple avec une émotion croissante.
Les fatigues, les tourments, rien ne coûte: c'est pour elle, qu'elle soit toujours plus belle...
La mère s'avance encore, s'arrête à quelques pas du père.
L'enfant grandit, c'est maintenant une jolie demoiselle vers laquelle s'empressent les gallants!
Louise ferme sa fenêtre et se rassied.
Tout en elle est ravissant; ils sont fiers les vieux parents, car la fille de leur sang est pour tous un modèle d'honneur et de sagesse.
Il se lève, la mère s'éloigne.
Puis, un jour, un inconnu qui passe d'un regard enjoleur séduit la pure fille,
[s'animant] et chasse le passé de son coeur; s'empare de sa pensée et détruit à jamais notre bonheur.
Ah! soit maudit le voleur d'amour! qui de notre fille fit pour nous une étrangere; le ravisseur dont le caprice d'un jour nous causa tant de larmes et changea le foyer de calme et de joie en enfer de discorde et de haine!
Silence

La Mère [de la cuisine]
Louise!
Elle s'approche de la porte.
[grave] Louise!

Louise
Quoi?

La Mère
Viens m'aider!

Louise se lève, range son ouvrage, éteint sa lampe, puis ouvre la porte; le père se tourne vers elle, lui tends les bras; elle passe sans le voir, se dirige vers la cuisine et disparaît.

[Les deux femmes dans la cuisine, à la cantonade]

La Mère
Auras-tu bientôt fini de bouder? tu n'as donc pas pitié de ton père?
[le père écoute avidement]
Tu supposes peut-être qu'on va te laisser retourner chez ton amoureux?

Louise [vivement]
Vous l'aviez promis!

La Mère
Tu sais bien qu' c'est impossible, on n'peut pas te laisser r'commencer un' vie pareille; tu la connais maintenant la vie de bohème, tu sais ce que c'est: de la misère en chansons!
Louise s'éloigne au fond de la cuisine.
voyons, sois raisonnable...
Sa mère la suit.
sois bonne pour nous:
[émue] ton pauvre père souffre tant!
Mimique expressive du père: il se lève et s'approche de la cuisine où les deux femmes continuent la discussion à voix basse.

Louise [dont la voix s'élève; éclatant]
L'amour libre!

La Mère [moqueuse]
L'amour libre! l'amour libre! en prônant aujourd'hui ce qu'il appelle l'amour libre, il n'a qu'un but: esquiver le mariage!...
[marmottant, entre ses dents]
l'amour libre!... en voilà une histoire!
[elle rit railleusement]
ah! ah! ah! ah! ah!
ah! ah! ah! ah!
Lentement, le père va se rasseoir.

Louise
Rira bien qui rira la dernière!

La Mère
C'est c'que nous verrons... en attendant, va dormir, c'est l'heure; et n'oublie pas de dire bonsoir à ton père.

Louise paraît à la porte; elle s'avance lentement, s'arrêtant par instants, et se dirige vers le père, qui la sent venir avec émotion.

Scène II. Les Mêmes

 

Louise
Bonsoir, père.

Elle lui présente son front. Le père la saisit avec violence, la serre contre lui et l'embrasse longuement. Sans lui rendre son baiser, Louise se dégage et s'éloigne froidement. Le père tend vers elle ses bras, puis s'élance.

Le Père
Louise!
[suppliant] Louise!
Il l'attire à lui, et la ramène près de la table.
[brusque]
Regarde-moi!
[tendre]
Ne suis-je plus ton père? N'es-tu plus l'enfant
[doux] qu'autrefois j'ai bercée dans mes bras?
[avec passion] N'es-tu plus la fille de mon sang?
Il l'assied sur ses genoux et la berce comme un enfant.
Reste... repose-toi... comme jadis toute petite...
Louise cherche à s'évader.
[la retenant]

Reste... ah! souviens-toi des beaux jours d'autrefois!
Louise essaie doucement de se dégager.
Pourquoi veux-tu partir? est-il donc pour toi un refuge sur la terre plus doux que le coeur de ton père?
[la berçant]

``L'enfant dormira bientôt...
L'enfant dormira bientôt...''

[la cajolant]
comme autrefois, endors-toi!
[s'efforçant de sourire]

``Si la p'tite enfant est sage,
elle aura un' belle image...
do-do,
l'enfant do.''

Louise lève la tête.

Louise [comme en rêvant]
L'enfant serait sage, tout à fait sage, si son père voulait lui faire moins de peine et comprendre que la douleur est mauvaise conseillère...

Le Père
Pourquoi parler de peine et parler de douleur...
[avec reproche] quand un père, une mère t'aiment et ne vivent que pour ton bonheur?

Louise [avec amertume]
Mon bonheur?...
[avec feu]
Vous n'avez qu'un signe à faire
Elle interroge avidement le Père.
[avec détresse] pour que revienne le bonheur.
[il détourne la tête; gentiment enfantin, mais toujours triste]
La belle image que l'enfant désire,
[à son tour elle cajole le Père]
la grâce qu'elle vous demande,
[plus déclamé, s'animant peu à peu]
c'est de n'être plus, comme un oiseau mis en cage,
[elle se lève]
privée de liberté... et emprisonnée par votre aveugle tendresse qui s'imagine que je puisse être heureuse à vivre ainsi qu'une captive dans l'âge où, sans la liberté, la vie
[rageuse] est pire que la mort!

La mère sort de la cuisine et s'approche.

Le Père
Si tu veux être libre, laisse là ton rêve de folie?...

Louise [à part; rêveuse]
Mon rêve de folie!...
[au père; ardente]
Vous voulez que j'abandonne tout espoir,
[triste] et que je mente à mes serments...
[regardant la mère; provocante]
comme vous mentîtes
[avec feu] à vos promesses!
La m*ère fait un pas vers Louise comme pour la frapper. Le père l'arrête de la main.

La Mère
Insolente!

Louise [imitant sa mère]
``Oh! elle sera libre maintenant: ce que nous demandons c'est l'avoir un peu,
[avec une sensibilité feinte]
car nous l'aimons depuis plus longtemps que vous; elle nous aimait avant de vous connaître.''
[se tournant vers sa mère]
Vous nous reconnaissiez alors le droit de nous aimer et de nous le dire!

La Mère [outrée]
Nous vous reconnaissions le droit de vous marier, pas autre chose! Tant pis pour toi
[sarcastique]
si ton galant, satisfait, réclame maintenant
[emphatique, ironiquement]
l'amour libre...
[brutale]
tu n'as que c'que tu mérites!

Louise [indignée]
Comment!... comment!...
[à la mère]
tu oses le nier!... n'est-il pas vrai que tu m'avais promis de me laisser libre?
La Mère va répondre, mais le Père se lève, il fixe gravement Louise.

Le Père
La liberté que tu demandes, c'est la liberté de courir les rues...
[sombre] la liberté de nous déshonorer!
Louise fait le geste d'aller vers sa chambre. Le père l'arrête au passage. Il prend Louise dans ses bras.
[avec détresse]
Louise! ô mon enfant! Qui m'aurait dit qu'un jour tu renierais ma tendresse, et que, loin de moi, tu demanderais à vivre,
ô Louise! reviens à toi,..
Il la reprend et l'assied sur ses genoux.
comme autrefois, dans mes bras, ah!
N'est-ce plus mon enfant, ma Louise chérie, que je presse en mes bras tremblants?
Il l'interroge ardemment. Louise, songeuse, semble ne pas le voir.

Louise [hochant la tête avec amertume, un peu récitante]
Les parents voudraient qu'on restât le marmot dont la pensée sommeille à l'ombre de leur volonté.

Le Père
Les misères, les tourments, tout s'oublie auprès d'elle, elle est si bonne, si aimante, si belle!

Louise [avec mélancholie, sans regarder son père]
Pourquoi serais-je belle, si ce n'est pour être aimée!
Elle s'échappe des bras du père.

Le Père[la suivant]
Ah! n'est-ce pas t'aimer que te donner notre vie?..

Louise
Vous prenez la mienne!..

Le Père
N'est-ce pas t'aimer que t'avoir pardonné?..




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