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Maurice Maeterlinck
Pelléas et Mélisande

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  • ACTE IV
    • Scène II. Entre Arkel
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Scène II. Entre Arkel

 

ARKEL

Maintenant que le père de Pelléas est sauvé et que la maladie, la vieille servante de la mort, a quitté le château, un peu de joie et un peu de soleil vont enfin rentrer dans la maison…
Il était temps! Car depuis ta venue, on n'a vu ici qu'en chuchotant autour d'une chambre fermée…
Et vraiment, j'avais pitié toi, Mélisande…
Je t'observais, tu étais là, insouciante peut-être, mais avec l'air étrange et égaré de quelqu'un qui attendrait toujours un grand malheur, au soleil, dans un beau jardin…
Je ne puis pas expliquer…mais j'étais triste de te voir ainsi, car tu es trop jeune et trop belle pour vivre déjà jour et nuit sous l'haleine de la mort…
Mais à présent tout cela va changer.
A mon âge, et c'est peut-être là le fruit le plus sûr de ma vie, à mon âge, j'ai acquis je ne sais quelle foi à la fidélité des événements, et j'ai toujours vu que tout être jeune et bea créait autour de lui des événements jeunes, beaux et heureux…
Et c'est toi, maintenant, qui vas ouvrir la port à l'ère nouvelle que j'entrevois…
Viens ici; pourquoi restes-tu là sans répondre et sans lever les yeux?
Je ne t'ai embrassée qu'une seule fois jusqu'ici, le jour de ta venue; et cependant les vieillards ont besoin quelquefois, de toucher de leurs lèvres le front d'une femme ou la joue d'un enfant, pour croire à la fraîcheur de la vie et éloigner un moment les menaces de la mort.
As-tu peur de mes vieilles lèvres?
Comme j'avais pitié de toi ces mois-ci…

MÉLISANDE

Grand-père, je n'étais pas malheureuse.

ARKEL

Laisse-moi te regarder ainsi, de tout près, un moment!…
On a tant besoin de beauté aux côtés de la mort…

(Enter Golaud.)

GOLAUD

Pelléas part ce soir.

ARKEL

Tu as du sang sur le front. Quas-tu fait?

GOLAUD

Rien, rien…
J'ai passé au travers d'une haie d'épines.

MÉLISANDE

Baissez un peu la tête, seigneur…je vais essuyer votre front…

GOLAUD

Je ne veux pas que tu me touches, entends-tu?
Va-t'en! Je ne te parle pas.
Où est mon épée?
Je venais chercher mon épée…

MÉLISANDE

Ici, sur le prie-Dieu.

GOLAUD

Apporte-la.

(à Arkel)

On vient encore de trouver un paysan mort de faim, le long de la mer.
On dirait qu'ils tiennent tous à mourir sous nos yeux.

(à Mélisande)

Eh bien, mon épée?
Pourquoi tremblez-vous ainsi?
Je ne vais pas vous tuer.
Je voulais simplement examiner la lame.
Je n'emploie pas l'épée à ces usages.
Pourquoi m'examinez-vous comme un pauvre?
Je ne viens pas vous demander l'aumône.
Vous espérez vois quelque chose dans mes yeux sans que je voie quelque chose dans les vôtres?
Croyez-vous que je sache quelque chose?
Voyez-vous ces grands yeux…
On dirait qu'ils sont fiers d'être riches…

ARKEL

Je n'y vois qu'une grande innocence…

GOLAUD

Une grande innocence!
Ils sont plus grands que l'innocence!
Ils sont plus pures que les yeux d'un agneau…
Ils donneraient à Dieu des leçons d'innocence.
Une grande innocence!
Ecoutez; j'en suis si près que le sons in fraîcheur de leurs cils quand ils clignent; et cependant, je suis moins loin des grands secrets de l'autre monde que du plus petit secret de ces yeux!…
Une grande innocence!
Plus que de l'innocence!
On dirait que les anges du ciel y célèbrent sans cesse un baptême.
Je les connais ces yeux!
Je les ai vus à l'œuvre!
Fermez-les! fermer-les! Ou je vais les fermer pour longtemps!
Ne mettez pas ainsi votre main à la gorge; je dis une chose très simple…
J'ai pas d'arrière-pensée…
Si j'avais une arrière-pensée pourquoi ne la dirais-je pas?

Ah! ah! ne tâchez pas de fuir!
Ici!
Donnez-moi cette main!
Ah! vos mains sont trop chaudes…
Allez-vous-en! Votre chair me dégoûte!
Allez-vous-en!
Il ne s'agit plus de fuir à présent!

(Il la saisit par les cheveux.)

Vous allez me suivre à genoux!
A genoux devant moi!
Ah! ah! vos longs cheveux servent en fin à quelque chose.
A droite et puis à gauche!
A gauche et puis à droite!
Absalon! Absalon!
En avant! en arrière!
Jusqu'à terre! jusqu'à terre…
Vous voyez,
vous voyez; je ris déjà comme un vieillard…
Ah! ah! ah!

ARKEL

(accourant)

Golaud!

GOLAUD

(affectant un calme soudain)

Vous ferez comme il vous plaira, voyez-vous.
Je n'attache aucune importance à cela.
Je suis trop vieux; et puis je ne suis pas un espion.
J'attendrai le hasard; et alors…
Oh! alors!
Simplement parce que c'est l'usage;
Simplement parce que c'est l'usage.

ARKEL

Qu'a-t'il donc?
Il est ivre?

MÉLISANDE

(en larmes)

Non, non, mais il ne m'aime plus…je ne suis pas heureuse…

ARKEL

Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des hommes…




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