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Maurice Maeterlinck Ariane et Barbe-Bleue IntraText CT - Lecture du Texte |
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Acte III
La même salle qu'au premier acte. Les pierreries éparses scintillent encore dans les niches d emarbre et surles d alles. Entre les colonnes de parphyre, des caffres auverts débardent de vêtements précieux. Il fait nuit dehars mais sous les lustres allumés, Sélysette, Mélisande Ygraine, Bellangère et Alladine, debout devant de grands miroirs, achèvent de nouer leur chevelure, d'aduster les plis de leurs robes étincelantes, de se parer de fleurs et de bijoux, tandis qu'Ariane, allant de l'uneàl'autre, les aide et les conseille. Les fenêtres son'ouvertes. Nous n'avons pu sortir du château enchanté. Il est si beau que je l'aurais pleuré... Qu'en dis tu, Ariane ?- C'était étrange. Les ponts se relevaient d'eux mêmes et l'eau montait dans les fossés dès qu'on s'en approchait... Mais qu'importe â présentpuisqu'on ne le voit plus... Il est parti. Embrassant Ariane. Et nous serons heureuses tant que tu seras parmi nous. Où est il allé ? Je I'ignore comme vous. Il est parti, troublé peut être déconcerté sans doute, pour la première fois... Où bien la colère des paysans l'inquiétait. Il a senti la haine déborderde toutes parts, et qui sait s'il n'est pas allé chercher du secours, des soldats et des gardes, pour châtier les rebelles et revenir en maitre... A moins que sa conscience ou quelque autre force n'ait parlé... Tu ne t'en iras pas ? Comment veux tu que je m'en aille puisque les fossés sont pleins d'eau les ponts levés, les murs infranchissables et les portes fermées? On ne voit personne qui les garde; et pourtant le château n'cst pas abandonné. On observe tous nos p.~s' il doit avoir donné des ordresmystérieux.Maistoutautourdesmurslespaysans se cachent et je sens qu'ils veillent sur nous. En attendant, mes sœurs, I'événement s'apprête; nous allonsêtrelibres,etilfautêtrebelles.S'approchantde Mélisande. Est ce ainsi que tu t'y prépares, Mélisande ?-Ta chevelure est le plus beau miracle que j'aie vue, elle éclairait là bas l'ombre du souterrain et souriait encore dans la nuit d'un tombeau et tu te plais à en éteindre chaque flamme !... Attends c'est encore moi qui vais délivrer la lumière. Elle arrache le vaile, dénoue les tresses et toute la chevelure de Mélisande s'étale brusquement et resplendit sur ses epaules. se retaurnant paur contempler Mélisande. Oh ! d'où cela vient il ? Cela vient d'elle même et se cachait en elle.-Mais toi même, qu'as tu fait? Où caches tu tes bras divins ? Mais ici, dans mes manches d'orfroi... Je ne les vois plus... Je lesadmirais toutàl'heure,tandis que tu nouais ta chevelure... Je me retourne et ne retrouve que leur ombre. Et voilà deux rayons de bonheur que je délivre encore !... Oh! mes pauvres bras nus... Ils vont trembler de froid... Mais non, puisqu'ils sont adorables... Allant à Bellangere. Où es tu,
Bellangère ? essayant defxer desf eurs dans sa chevelure. Ils attendent que ces fleurs veuillent bien s'incliner. Tu es belle et les fieurs ne t'obéissent pas ? A Alladine gui se pare de voiles et d écharpes aux couleurs un peu vives. Et toi, mon Alladine, que fais tu loin de nous ? se retournant el éclatant de rire. Où donc a t elle pris ces fiammes inconnues ? Sans doute en son Cle de feu... Mais, vois tu, Alladine, ici sous nos nuages, les rayons sont moins vifs, les fleurs moins éclatantes, et les oiseaux plus ternes... Or, il faut que les femmes suivent toujours l'avis des oiseaux et des fleurs qui traduisent pour elles les conseilsdu soleil... Enlevons cette écharpe et cevoile trop ardent. C'e st juste . Elle fouille parmi les pierres précieuses. Que faites vous des mille pierreries qui brillent à vos pieds ? Ont~elles éte crcées pour mourir sur les dalles ou pour se rallumer à la chaleur des seins, des bras, des chevelures ? Elle ramasse à pleines mains les plerres précieuses qu elle distNbue à ses compagnes. Voici des perles pour Ygraine, pour Mélisande des saphirs et des rubis pour Sélysette... Voilà qui m'émerveille et qui me rend heureuse!... C'est la vie qui revient puisque la volonté de plaire ressuscite. Aimez vous ce collier d'opales et d'améthystes ? Je mettrais ces op.des l~armi ta chevelure... Ces boucles sont trop sages. Et puis ce manteau froid surces tièdesépaules... Voilà deux sour ces de douceur qui se perdaient dans les ténèbres... Vraiment, mes jeunes sœurs, je ne m'étonne plus s'il ne vous aimait pas autant qu'il eût fallu et s'il voulait cent femmes . Il n`avait que vos ombres... Entre par une porte laterale, la Noumce, hagarde, échevelee. LA NOURRICE Il revient ! Il est là! Mouvement d'effroi des femmes. Qui te l'a dit ? LA NOURRICE Un des gardes. Il vous a vue. Il vous admire. Mais je n'ai vu personne... LA NOURRICE Ils se cachaient. Ils suivaienttous nos gestes... C'estle plus jeune qui a parlé. Il m'a dit que te maitre revient... Il fait le tour des murs. Les paysans le savent. Ils sont armés... Ils se révoltent... Tout le village est caché dans les haies... Ils l'attendent... Montant par l'escalier latéral à l'une desienêtres du fond. Je vois des torches dans les bois!... Les femmes affolées jettent un cri de terreur et courent autour de la salle pour chercher une issue. montant également aux fenêtres. C'est son carrosse, son carrosse de noce ! lls'arrête !... Toutes s'élancent aux fenétres, se pressent dans le balcon intérteur, et regardent dans la nuit. C'est lui! Je le reconnais... Il descend... Il fait des gestes de colère... Il est entouré de ses nègres... Ils ont des épées nues qui brillent au clair de la lune ! Ariane !... Ariane !... J'ai peur!... LA NOURRICE Voilà les paysans qui sortent des fossés... Ily en a !...Il y en a! lls ont des fourches et des faux!... Rumeurs, cris, tumulte, bruits d'armes au dehors, dans le lointain. Ils se battent!... LA NOURRICE Oh ! les paysans sont terribles!... Tout le village est là !.. Ils ont d'énormes faux!... Les nègres l'abandonnent! Voyez, voyez, ils fuient! lls se cachent dans les bois. Lui aussi prend lafuite... Il court, ils'approche del'enceinte... LA NOURRICE LA NOURRICE On vient à son secours... Ils courent à sa rencontre... Les gardes ont ouvert la porte de l'enceinte... Un, deux, trois, quatre, six, septMais ils ne sont que sept! LA NOURRICE Les paysans les enveloppentIl y en a des centaines ! Que font ils ?... LA NOURRICE Je vois les paysans qui dansent autour d'un homme... Les autres sont tombés... C'est lui; j'ai vu son manteau bleull est couché sur l'herbe… LA NOURRICE Ils se taisent... Ils le relèvent... Est il blessé ? Il chancelle... J'ai vu le sang... Il saigne... Ariane !... Viens, ne regarde pas... cache ta tête dans mes bras... LA NOURRICE lls apportent des cordesIl se débatIls lui lient les bras et les Jambes. Où vont ils ? Ils le portent... Ils dansent en chantant... LA NOURRICE Ils s'en viennent vers nous... Les voilà sur le pont... La porte est grande ouverte... Ils s'arrêtent...Oh! ils vont le jeter dans le fossé... et les autres femmes, affolées, criant et s'agitant désespérément aux fenetres. Non ! non !... Pas cela!... Ne le tuez pas !.. Pas cela !... Ne le tuez pas !...Pas cela!...Non! non! Ausecours!... Ne le tuez pas !... Ne le tuez pas!... LA NOURRICE Ils n'entendent pas et les autres les poussent! Il est sauve! Cris de la foule qui a vu les femmes aux fenétres: "Ouvrez! Ouvrez !" LA NOURRICE Ils vont entrer… Ils sont devant les portes de la cour. LA FOULE Ouvrez lui la
porte LA NOURRICE et les autres femmes, parlant à la foule. Nous ne pouvons pas... Elle est fermée. Ecoutez... Ils la brisent... Elle cède... Ils entrent tous... Ils montent le perron... Prenons garde, ils sont ivres... Je vais ouvrir la porte de la salle... LES FEMMES Non, non !... Ariane! Non!... Ils sont ivres... Prenez garde, ils approchent!... Ne craignez rien, ne vous avancez pas, j'irai seule... Les cinq
femmes descendebt l'escalier qui conduit aux fenêrtres, reculent vers le fond
de la salle et s'y tiennent étroitement groupées dans l'aattitude de l;attente
terrifiée. Ariane, suivie de la Nourrice, se dirige vers la porte qu'elle ouvre
à deux battants. On entend un bruit de foule qui monte l'escalier extérieur,
des hurlements, des chants, des rires, dans la clarté rouge des torches. ôtant son bonnet et le roulant d'un airgéné. Madame ?... On peut entrer ?... DEUXIÈME PAYSAN Nous vous apportons l'assassin. Il ne vous fera plus grand mal. DEUXIÈME PAYSAN N'ayez pas peur, ses bras sont bien liés. Où faut il qu'on le porte ? Par ici, sur ce banc. Là, voilà. Il ne bougera plus. Vengez vous comme vous voudrez. Avez vous ce qu'il faut pour le tuer ? Oui, oui; soyez sans crainte... Ce n'est pas nécessaire; nous en viendrons à bout... Surtout, prenez
bien garde qu'il ne s'échappe... DEUXIÈME PAYSAN Et moi, voyez mon bras... Vous etes des héros; vous êtes nos sauveurs... Laissez nous un moment; nous nous vengerons bien... Laissez nous; il est tard; vous reviendrez... Retournez au village; et soignez vos blessures... Madame, je ne sais pas, mais il faudrait vous dire... Vrai, vous étiez trop belle... Ce n'était pas possible... Adicu, adieu; vous nous avez sauvées... Elle se retoure et voit les femmes à genoux au fond dela salle. Vous etiez à genoux !... S'approchant de Barbe Bleue. Etes vous blessé ?... Oui, le sang coule ici... Une blessureaucou...Cen'estrien,laplaien'estpasprofonde. Une au bras... Les blessures au bras ne sont jamais bien graves... Ah! celle ci!... Le sang ruisselle encore... La main est transpercée... Il faut la panser tout d'abord.... Pendant qu'Ariane parle ainsi, lesiemmes se sont rapprochées, une à une, sans rien dire, et, penchérs au agenauillees, entourent Barbe Bleue. Il a ouvert les yeux... Qu'il est pâle !...Il doit avoir souffert… Oh! ces paysans sont horribles!... Apportez nous de l'eau pour laver ses blessures. LA NOURRICE Oui, je vais en chercher... Avez vous des linges très doux ?... Il étouffe, voulez vous que je lui soutienne la tête ? Alladine l'aide en effet à soulever la tête de Barbe Bleue, à qui elle donne un sanglatant un baiser furtif sur le front. Alladine, que fais-tu? Doucement, doucement, tu rouvrirais ses plaies... Oh ! son front est brûlant!... Regardez comme il souffre ;... il n'est plus siterrible... Avez vous un peu d'eau ?Son visage est couvert de poussière et de sang… Ce sont ces liens qui l'étouffentIls ont serré les cordes à broyer un rocher… Avez vous une dague ? Avez vous une dague ? LA NOURRICE Il y en avait deux sur cette table... Voici la plus aiguë... Vous allez ?... Oui. LA NOURRICE Mais il n'est pas... Voyez, il nous regarde... Soulevez bien la corde que je ne le blesse point... Elle coupe un à un les liens qui enserrent Barbe Bleue. Quand elle amve à ceux qui lui maintiennent les bras derrière le dos, la Noumce lui saisit les mains pour l'arrêter. LA NOURRICE Attendez qu'il parle... Nous ne savons pas encore si... Avez vous un autre poignard ? La lame s'est brisée... ces cordes sont très dures... Voici l'autre... Merci. Elle tranche les derniers liens. Un silence durant lequel on en tend les respirations anxieuses. Quand Barbe-Bleue se sent libre il se d resse lentement sur son scant étire ses bras engourdis remue les mains regard e attentivement chaque jemme en silence puis apercoit Ariane et se tourne vers elle. s'approchani de lui. Elle lui tend la main. Barbe Bleue fait un mouvement instinctif pour la retenir. Elle se dégage doucement et se dirige vers la porte precédée de la Nourrice. s'élancant apres elle et l'arretant. Ariane !... Ariane !... Où vas tu ?... Loin d'ici ;...là bas, où l'on m'attend encore... M'accompagnes tu, Sélysette ? Quand reviens tu ? Je ne reviendrai pas... Ariane!... M'accompagnes tu, Melisande ?... Mélsande regarde tour à tour Barbe Bleue et Ariane et ne répond point. Vois, la porte est ouverte et la campagne est bleue... Ne viens tu pas, Ygraine ? La lune et les étoiles éclairent toutes les routes. La forêt et la mer nous appellent de loin et l'aurore se penche aux voûtes de l'azur, pour nous montrer un monde inondé d'espérance... Venez vous, Bellangère ?... Non. Je m'en irai seule, Alladine ?… A ces mots, Alladine court à Ariane, se jette dans ses bras et, parmi des sanglots convulsifs, la tient longuement et fiévreusement enlacée. l'embrasse à son tour et se dégageant doucement tout en larmes. Reste aussi, Alladine... Adieu, soyez heureuses... Elle
s'élaigne, suivie de la Nourrice. |
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