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Quintus Septimius Florens Tertullianus De la pudicité IntraText CT - Lecture du Texte |
[1] La plupart des interprètes de paraboles sont dupes de la même illusion qui se produit communément quand on veut rehausser un vêtement de l'éclat de la pourpre. On pense avoir parfaitement harmonisé les nuances des couleurs, on croit avoir assorti avec art leurs combinaisons : mais aussitôt qu'on examine l'ensemble et qu'on le développe à la lumière, la disparité des couleurs apparaît et toute l'erreur se dissipe. [2] Ils opèrent dans la même obscurité ceux qui, à propos de la parabole des deux fils, s'emparent de l'accord momentané qu'offre la couleur des figures et se soustraient à la vraie lumière de la comparaison que recouvre le sujet de cette parabole.
[3] Parées deux fils, ils entendent les deux peuples : l'aîné symboliserait le peuple juif, le plus jeune le peuple chrétien. Mais ils ne peuvent établir ensuite que le chrétien pécheur représenté par le plus jeune doive obtenir son pardon, s'ils ne réussissent à montrer dans l'aîné le peuple juif. [4] Si donc je prouve l'illégitimité de la comparaison entre l'aîné et le peuple juif, la conséquence sera que ce n'est point le chrétien que représente le plus jeune. En effet, bien que le juif soit appelé fils, et fils aîné, parce qu'il fut le premier dans l'adoption ; bien qu'il jalouse la réconciliation du chrétien avec Dieu le Père (ce dont nos adversaires tirent grand avantage), il n'en est pas moins vrai qu'un juif n'a pu dire au Père : « Voici combien d'années que je te sers sans avoir jamais transgressé tes ordres ? » [5] Quand le juif a-t-il donc cessé de transgresser la loi, lui qui avait des oreilles pour ne pas entendre, qui haïssait celui qui le réprimandait aux portes et qui méprisait Ja parole sainte? Et cette parole du père n'a pu davantage être adressée au Juif : « Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est mien est tien. » [6] Car les Juifs sont appelés enfants apostats, qui avaient été engendrés et élevés pour de hautes destinées, mais qui n'ont pas tenu compte du Seigneur, qui ont abandonné le Seigneur et ont provoqué la colère du Saint d'Israël. [7] Certes nous conviendrons que fout avait été donné au Juif; mais le bienfait de sa condition lui a été arraché de la bouche, à plus forte raison la terre de la promesse paternelle. Et c'est pourquoi à l'heure qu'il est, tout comme le plus jeune fils, le juif, après avoir dissipé les biens de Dieu dans des pays étrangers, est réduit à mendier, et sert sous ses maîtres, c'est-à-dire sous les maîtres de ce monde.
[8] Donc que les chrétiens cherchent pour eux un autre frère ; le juif ne peut convenir à l'esprit de la parabole. Il leur eût été bien plus commode d'établir une équivalence entre le chrétien et l'aîné, entre le juif et le cadet, par rapport à la foi, si l'ordre de succession des deux peuples, établi dès le sein de Rébecca, permettait cette transposition, et si, au surplus, la conclusion finale ne s'y opposait. [9] Il conviendrait en effet au chrétien de se réjouir du rétablissement du Juif, et non de s'en attrister, puisque toute notre espérance a été liée en quelque sorte à l'attente d'Israël. Ainsi certaines circonstances cadrent bien ; d'autres au contraire, pour quiconque réfléchit, détruisent l'analogie des symboles.
[10] D'ailleurs toutes les circonstances y fussent-elles reflétées comme en un miroir, il resterait à se garer du grand danger des interprétations, qui est de détourner la justesse des comparaisons dans une direction autre que ne le veut la matière de chaque parabole. [11] Souvenons-nous que, quand les histrions accommodent des gestes allégoriques aux parties chantées, ils expriment des choses très différentes de la fable, de la scène, du personnage présent, et pourtant parfaitement cohérentes entre elles. Mais qu'importé ce talent qui nous est si étranger : nous n'avons rien à voir avec Andromaque ! [12] C'est ainsi que les hérétiques tirent ces mêmes paraboles du côté qu'ils veulent et non du côté qu'ils devraient. Ils les abîment à merveille. Comment cela, à merveille ? Oui, parce que, dès l'origine, ils ont conformé la matière même de leurs doctrines aux circonstances particulières indiquées dans les paraboles. Délivrés de la règle de foi, il leur a été loisible de rechercher et de combiner des traits analogues en apparence à ceux des paraboles.