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Quintus Septimius Florens Tertullianus
De la pudicité

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XIV. -- PAUL ET L'INCESTUEUX DE CORINTHE

[1] Voilà écartées les objections qui étaient intervenues. Je reviens à la seconde épître aux Corinthiens, pour prouver que le mot de l'apôtre : « Qu'il suffise à cet homme de cette réprimande faite par un grand nombre », ne saurait s'appliquer au fornicateur. [2] En effet, s'il avait prononcé qu'il devait être livré à Satan pour la perdition de sa chair, il l'avait par le fait même condamné bien plutôt que réprimandé. C'est donc à un autre qu'il a voulu que suffise la réprimande, puisque, d'après sa sentence, le fornicateur avait été frappé, non d'une réprimande, mais d'une condamnation.

[3] Je te prie d'examiner s'il est fait allusion dans la première épître à d'autres délinquants qui, par leur mauvaise conduite, aient centriste l'apôtre et aient été contristés par lui, et qui aient reçu des réprimandes, comme le dit la seconde épître ; et si parmi eux il en est un qui dans cette seconde épître ait pu obtenir son pardon. [4] Remarquons que toute la première épître est écrite, pour ainsi dire, non pas avec de l'encre, mais avec du fiel ; elle est courroucée, indignée, dédaigneuse, menaçante, haineuse, et elle s'en prend pour chaque crime particulier à ceux qui en étaient devenus comme les adjudicataires. [5] Ils avaient poussé à bout les schismes, les rivalités, les dissensions, la présomption, l'orgueil et les disputes ; il fallait leur faire sentir le poids du ressentiment, les réprimer par le blâme, les mettre au point par la hauteur, les réintégrer dans la voie par la sévérité. Et quel aiguillon d'humiliation son ressentiment leur faisait sentir! [6] « Je rends grâce à Dieu de ce que je n'ai baptisé aucun de vous, sauf Crispus et Gaius, afin que nul ne puisse dire qu'il a été baptisé en mon nom. Je n'ai rien voulu savoir parmi vous autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. [7] Il me semble que Dieu nous a choisis, nous les derniers des apôtres, comme condamnés aux bêtes, puisque nous avons été donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes et que nous sommes devenus les ordures de ce monde, les balayures de tous. » Ou encore : « Ne suis-je pas libre ? ne suis-je pas apôtre ? n'ai-je pas vu le Christ Jésus notre Seigneur ?» [8] Mais avec quelle hauteur est-il amené à dire : « Pour moi, je me mets fort peu en peine d'être jugé par vous ou par un tribunal humain ; je ne me juge même pas moi-même. » Et : « Personne ne réduira ma gloire à néant. Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges ? » [9] Quelle libre franchise dans ses reproches, quelle pointe dégainée fait sentir son glaive spirituel ! « Déjà vous êtes riches, déjà vous êtes rassasiés, déjà vous régnez. » Et: « Si quelqu'un se persuade savoir quelque chose, il ne sait pas encore comment il doit savoir ». [10] N'est-ce pas ici un vrai soufflet qu'il applique : « Qui est-ce qui te met à part des autres ? Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? Pourquoi t'en glorifies-tu comme si tu ne l'avais pas reçu ? » Et ceux-ci ne les frappe-t-il pas aussi au visage ? [11] « Certains maintenant encore mangent, quoique le sachant, la viande des idoles. Mais en péchant de la sorte, en ébranlant les faibles consciences de leurs frères, c'est contre le Christ qu'ils pèchent. » Et il ajoute en citant des noms : « N'avons-nous pas le droit de manger et de boire ? et de mener avec nous des femmes, de même que les autres apôtres et les frères du Seigneur et Céphas ? » Et : « Si d'autres arrivent à vous dominer pourquoi pas nous plutôt ? » [12] De même, il perce ceux-ci individuellement de son style : « C'est pourquoi que celui qui croit être debout veille à ne pas choir. » Et : « Si quelqu'un paraît aimer à contester, pour nous, ce n'est point dans nos habitudes ni dans celles de l'Eglise du Seigneur. » [13] La conclusion menaçante par laquelle il achève : « Si quelqu'un n'aime point le Seigneur Jésus qu'il soit anathème », en transperce un encore.

Mais je préfère m'en tenir aux passages où l'apôtre s'emporte le plus, où le fornicateur lui-même crée aux autres des difficultés. [14] « Quelques-uns s'enorgueillissent comme si je ne devais plus venir vous voir. Mais je viendrai bientôt si le Seigneur le permet, et je saurai non point ce que disent ces gens plein d'eux-mêmes, mais ce qu'ils valent. Car ce n'est pas dans les paroles que consiste le royaume de Dieu, mais dans les actes. Que voulez-vous ? que je vienne à vous avec la verge ou avec un esprit de mansuétude? » [15] Qu'y avait-il donc ? « Il n'est bruit parmi vous que de fornication et d'une fornication telle qu'on n'en voit point de pareille chez les gentils. C'est au point que quelqu'un vit avec la femme de son père. Et vous, vous êtes gonflés d'orgueil ? et vous ne gémissez pas plutôt pour que soit exclus d'au milieu de vous celui qui a commis un tel forfait ?» [16] Pour qui devaient-ils pleurer ? pour un mort, sans doute. Devant qui devaient-ils pleurer ? devant le Seigneur, sans doute. Comment devait-il être ôté d'au milieu d'eux? Il ne s'agissait pas ici de le mettre hors de l'Église (car on n'eût pas demandé à Dieu ce qui était l'office du chef de la communauté) : mais il fallait que par la mort, non pas seulement commune à tous, mais propre à cette chair qui était déjà cadavre sujet à la corruption, charogne irrémédiablement malpropre, il fût plus complètement exclus de l'Eglise. [17] Et c'est pourquoi l'apôtre, afin de l'en retrancher comme il pouvait l'être provisoirement, prononça qu'il fallait le livrer à Satan pour la perdition de sa chair. Par là même une chair ainsi abandonnée au démon était maudite; elle était destituée du sacrement de la bénédiction et ne devait jamais rentrer dans le camp de l'Église.

[18] Nous voyons donc ici que la se vérité de l'apôtre s'est partagée entre un orgueilleux et un incestueux; contre le premier il s'est armé de la verge, et contre le second de la sentence, la verge qui menace, la sentence qui exécute ; l'une qui jetait seulement des éclairs et avec laquelle il gourmandait, l'autre qui faisait éclater la foudre et par laquelle il condamnait. [19] Il est dès lors certain qu'il y en eut un qui trembla sous la menace de la verge, et qu'il y en eut un autre qui fut condamné et périt sous le châtiment infligé. Aussitôt le premier revint, redoutant le coup ; l'autre s'en alla, purgeant son châtiment.

[20] Lorsque l'apôtre écrit de nouveau aux Corinthiens, il formule un pardon, mais on ne sait au bénéfice de qui, car il n'indique ni la personne ni la cause. Mettons les faits en regard du sens général. [21] Si l'on nous dit : c'est l'incestueux, il faudra que ce soit aussi l'orgueilleux. La chose va de soi, étant donné que l'orgueilleux n'a été que réprimandé tandis que l'incestueux a été condamné. L'orgueilleux reçoit son pardon, après avoir été gourmande ; mais il ne semble pas que l'incestueux reçoive le sien, puisqu'il a été condammé. [22] Si l'apôtre lui pardonne parce qu'il craint qu'un excès de chagrin ne le consume, celui qu'il avait gourmande était menacé, lui aussi, d'être consumé, étant tout accablé des menaces reçues et tout triste des reproches essuyés. Mais celui que sa faute et la sentence de Paul avaient condamné était déjà considéré comme consumé. Il n'avait plus à gémir, mais à expier ce sur quoi il aurait gémir avant de l'expier. [23] S'il recevait son pardon pour que nous ne fussions pas frustrés par Satan, l'apôtre ne pouvait prévenir ce dommage que dans ce qui n'avait pas encore péri. On ne prend pas de précaution pour ce qui n'est déjà plus, mais pour ce qui est encore. [24] Le condamné, au contraire, tombé au pouvoir de Satan, était déjà perdu pour l'Église au moment où il avait accompli un tel forfait, à plus forte raison lorsqu'il était rejeté de son sein. Comment l'Église aurait-elle pu craindre la perte d'un homme qui, lui ayant été arraché, était déjà perdu pour elle, et qu'elle - ne pouvait garder une fois condamné ? [25] Enfin sur quoi un juge doit-il faire porter son indulgence ? sur ce qu'il a réglé par sentence formelle ou sur ce qu'il a suspendu par sentence interlocutoire ? surtout quand ce juge n'a pas l'habitude de réédifier ce qu'il a détruit, afin d'éviter tout soupçon de prévarication.

[26] Dis-moi, si la première épître n'avait pas con-tristé tant de gens, si elle n'avait gourmande personne, terrifié personne, si elle n'avait frappé que l'incestueux seul, si elle n'avait effrayé personne à son sujet, si elle n'avait consterné nul orgueilleux, ne serait-il pas pour toi meilleur de conjecturer et plus juste de soutenir qu'il y avait alors parmi les Corinthiens un tout autre personnage, qui, impliqué dans la même affaire, fut gourmande, terrorisé, malade de chagrin, et qui ensuite, en raison de la médiocre gravité de sa faute, reçut son pardon : plutôt que de supposer que ce pardon ait été accordé à un fornicateur incestueux ? [27] Tu aurais dûlire, sinon dans l'épître, du moins dans le caractère de l'apôtre, ce qui y est écrit par son honneur plus clairement encore que par sa plume ; et alors tu n'aurais pas supposé chez Paul, l'apôtre du Christ, le docteur des nations dans la foi et dans la vérité, le vase d'élection, le fondateurdes Églises, le censeur des mœurs, une telle inconstance qu'il aurait condamné à la légère celui qu'il devait bientôt absoudre, ou qu'il aurait absous à la légère celui qu'il aurait sérieusement condamné, quand bien même c'eût été pour une seule fornication, pour une impudi-cité ordinaire (à plus forte raison pour une union incestueuse, pour une luxure impie, pour une passion parricide qu'il ne veut même pas comparer à celle des païens de peur qu'on ne la mette au compte de la coutume); pour un crime qu'il avait jugé de loin, de peur que le coupable ne bénéficiât du délai et qu'il avait condamné en invoquant la vertu du Seigneur, de peur que la sentence ne parût celle d'un homme. [28] Il s'est donc joué et de son esprit et de l'ange de l'Eglise et de la vertu du Seigneur, s'il a révoqué l'arrêt porté d'après leur conseil.




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