Index | Mots: Alphabétique - Fréquence - Inversions - Longueur - Statistiques | Aide | Bibliothèque IntraText |
Quintus Septimius Florens Tertullianus De la pudicité IntraText CT - Lecture du Texte |
I. -- ÉDIT DE L'ÉVÊQUE DES ÉVÊQUES -- CONTRE LES PSYCHIQUES
[1] La pudicité, fleur des mœurs, honneur des corps, parure des sexes, intégrité du sang, garantie de la race, fondement de la sainteté, signe pour tous d'une âme saine, bien que rare, bien que malaisément parfaite et perpétuelle à grand peine, peut, en une certaine mesure, vivre dans le siècle, si la nature y prépare, si la discipline y persuade, si la sévérité y oblige ; puisque tout bien de l'âme vient de la naissance, de l'éducation ou de la contrainte. [2] Mais le mal l'emporte (c'est là le signe caractéristique des temps ultimes) : le bien ne peut plus naître, tellement les semences sont corrompues ; il ne peut plus se développer par l'éducation, tellement les études sont abandonnées, ni par la contrainte, tellement les lois sont désarmées. [3] En un mot, la vertu dont nous commençons à parler est devenue si surannée que ce n'est pas de renoncer aux passions, mais de les modérer, qui s'appelle communément pudicité, et celui-là paraît suffisamment chaste qui n'est point trop chaste. [4] Au reste, que la pudicité mondaine se débrouille avec le monde lui-même, s'il est vrai qu'elle naissait avec ses dispositions naturelles, se formait à ses études, et était contrainte au même esclavage que lui. Eût-elle subsisté, elle n'en eût été que plus piteuse, étant inféconde puisque ce qu'elle faisait ne valait rien aux yeux de Dieu. Je préfère l'absence d'un bien à un bien stérile. A quoi bon être, quand on n'est bon à rien?
[5] Mais voici que ce sont nos vertus qui maintenant s'affaissent. On jette à bas les fondements de lapudicité chrétienne, qui tire tout du ciel : sa nature par le bain de la régénération, sa discipline par le moyen de la prédication, sa sévère rigueur par les jugements extraits de l'un et l'autre Testament ; sans compter la coercition plus forte encore qu'apporté la crainte du feu éternel et l'espoir du royaume. Pour son dommage, n'aurais-je pu fermer les yeux?
[6] J'apprends qu'un édit est porté à la connaissance des fidèles, et, ma foi, un édit péremptoire. Le Souverain Pontife, autrement dit l'évêque des évêques, édicté : « Moi, je remets les péchés d'adultère et de fornication à ceux qui ont fait pénitence. » [7] O édit, sur lequel on ne pourra écrire : Pour votre bien ! Et où ce beau cadeau sera-t-il exposé aux regards ? Là, je pense, oui, là, sur la porte des lieux de débauche, au-dessous de l'enseigne des passions. Il faut promulguer une pénitence de ce genre, là où la faute elle-même doit habiter. [8] Il faut qu'on lise le pardon là où l'on entrera en se promettant ce pardon. Mais quoi, cela est lu dans l'Eglise, cela s'articule dans l'Église, et l'Église est vierge ! Loin, loin de l'épouse du Christ une telle proclamation ! Elle, la vraie, la pudique, la sainte, doit préserver son oreille même de toute souillure. [9] Elle n'a personne à qui promettre de tels pardons : et, en tous cas, elle ne les promettra pas : car le temple terrestre de Dieu a pu être appelé par le Seigneur une caverne de voleurs, mais non d'adultères et de fornicateurs.
[10] Ici encore c'est contre les psychiques que sera dirigé cet ouvrage ; contre la communauté d'idées qui précédemment m'unissait à eux. Qu'ils en profitent pour m'accuser davantage encore d'inconstance. De rompre avec un groupe n'a jamais été présomption de péché. Comme si l'on n'avait pas plus de chance de se tromper avec la foule, la vérité n'étant aimée que d'une élite ! [11] Je ne retirerai pas plus de déshonneur d'une inconstance profitable, que je ne tirerais de gloire d'une inconstance nuisible. Je n'ai pas honte de l'erreur à laquelle j'ai renoncé, parce que je suis ravi d'y avoir renoncé, parce que je me reconnais meilleur et plus chaste. Personne ne rougit de faire des progrès. [12] Même dans le Christ, la science a eu ses étapes par où l'apôtre a passé, lui aussi. « Quand j'étais petit enfant, je parlais comme un petit enfant, [je raisonnais comme un petit enfant] ; devenu homme, je me suis dépouillé de ce qui était de l'enfant. » [13] Tant il est vrai qu'il renonce à ses opinions premières, et qu'il ne commet aucune faute en devenant zélateur, non des traditions de ses pères, mais des traditions chrétiennes : n'allait-il pas jusqu'à souhaiter que fussent retranchés ceux qui conseillaient le maintien de la circoncision ?
[14] Plût au ciel qu'ils le fussent aussi, ceux qui mutilent la pure et véritable intégrité de la chair, en amputant, non pas l'épiderme superficiel, mais l'idéal intime de la pudeur même, puisqu'ils promettent le pardon aux adultères et aux fornicateurs à l'encontre de la discipline essentielle du nom chrétien. Et pourtant cette discipline, le siècle lui-même porte pour elle témoignage, à ce point que parfois il essaie de la punir chez nos femmes par des souillures charnelles plutôt que par des tourments physiques, afin de leur arracher ce qu'elles préfèrent à la vie. [15] Mais voici que cette gloire s'abolit, et cela par le fait de gens qui auraient dû se refuser d'autant plus énergiquement à accorder le pardon aux fautes de ce genre que, toutes les fois qu'ils le veulent, ils se marient, de peur d'être forcés de succomber à l'adultère et à la fornication, vu qu' « il vaut mieux se marier que de brûler ». [16] Apparemment c'est pour l'amour de la continence que l'incontinence est nécessaire, et c'est avec le feu qu'on éteint l'incendie ! Pourquoi donc, sous prétexte de pénitence, font-ils après coup un traitement de faveur à des crimes dont ils établissent d'avance le remède en permettant de se marier plusieurs fois ? [17] Les remèdes seront superflus, puisque les crimes sont pardonnes ; et les crimes continueront, si les remèdes sont superflus. Ils sont donc plaisants tour à tour avec leur sollicitude et avec leur négligence ; ils prennent à l'avance de bien inutiles précautions contre ce qu'ils pardonnent, et ils pardonnent bien sottement ce contre quoi ils se sont prémunis ; toute précaution n'est-elle pas inutile, du moment qu'on pardonne, et tout pardon n'est-il pas superflu, du moment que les précautions ont été prises ? [18] Ils se prémunissent comme s'ils ne voulaient pas souffrir pareils crimes ; mais ils pardonnent comme s'ils toléraient qu'ils fussent commis. S'ils ne voulaient pas les voir commettre, il ne fallait pas pardonner ; s'ils devaient pardonner, il ne fallait pas se prémunir là contre. [19] L'adultère et la fornication ne sont pourtant pas comptés au nombre de ces délits modiques et médiocres auxquels s'appliquent au même titre la sollicitude qui prend ses précautions et la sécurité qui pardonne. Tels qu'ils sont, ils tiennent le premier rang entre les crimes : il ne faut donc pas tout à la fois les pardonner comme s'ils étaient sans importance et s'en garer comme s'ils étaient de toute gravité.
[20] Pour nous, nous prenons de telles précautions contre les fautes capitales ou les fautes graves, qu'il n'est même plus permis, une fois chrétien, de contracter un second mariage, que seuls le contrat et la dot différencient peut-êtrede l'adultère et de la fornication. C'est pourquoi, nous autres, sans nousattendrir, nous excluons les remariés, au risque de donner mauvaise réputation au Paraclet pour la sévérité de sa discipline. [21] Sur le seuil, nous assignons la même limite aux adultères et aux fornicateurs, qui doivent répandre des larmes sans espoir de réconciliation et n'emporter de l'Église que la publication de leur déshonneur.