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Quintus Septimius Florens Tertullianus De la pudicité IntraText CT - Lecture du Texte |
IX. -- VRAIE MÉTHODE D'EXÉGÈSE
[1] Mais nous autres qui n'imaginons pas notre fond doctrinal d'après les paraboles, mais qui interprétons les paraboles d'après notre fond doctrinal, nous ne prenons pas tant de peine pour torturer dans nos expositions chaque mot; il nous suffît d'éviter toute contradiction. [2] Pourquoi cent brebis ? et pourquoi dix drachmes? Que signifie ce balai ? C'est qu'il était nécessaire à qui voulait exprimer la grande joie que cause à Dieu le salut d'un seul pécheur de déterminer une certaine quantité numérique dont il montrerait qu'une unité s'était perdue ; il était nécessaire, vu l'attitude de la femme en train de chercher la drachme dans sa maison, qu'elle s'aidât d'un balai et d'une lampe. [3] Les investigations de cette sorte rendent certaines choses suspectes, et par la subtilité d'interprétations trop sollicitées détournent ordinairement du vrai. Il y a des circonstances qui sont mises là tout bonnement pour former la stucture, la composition, la trame de la parabole, et pour aboutir au but que l'exemple doit atteindre.
[4] L'histoire des deux fils tend évidemmentà la même conclusion que celle de la drachme et de labrebis. Ils sont là pour la même raison que les récits auxquels ils se rattachent : à savoir, les Pharisiens qui murmurent parce que le Seigneur fréquente les païens. [5] Si quelqu'un doute que les publicains aient été des païens, danslaJudée déjà conquise par le bras de Pompée et de Lucullus, qu'il lise le Deutéronome : « Il n'y aura point d'impôt dépendant des fils d'Israël. » [6] Le nom des publicains n'eût pas été si odieux au Seigneur s'il n'avait été le nom d'étrangers qui exigeaient des péages pour l'air même, la terre et la mer. En associant les pécheurs aux publicains, il ne prouve pas par le fait même qu'ils fussent juifs, quoique quelques-uns aient pu l'être. [7] Mais, dans l'ensemble des infidèles, il a posé une distinction en établissant que les uns étaient pécheurs du fait de leur profession, c'est-à-dire les publicains ; les autres du fait de leur nature, c'est-à-dire les non-publicains. D'ailleurs on ne l'eût pas critiqué pour s'être assis à la table des Juifs, mais il le fut pour avoir fréquenté les païens avec lesquels la discipline judaïque défend de manger.
[8] Maintenant en ce qui concerne l'enfant prodigue, il faut d'abord considérer ce qui est le plus utile ; car, on ne peut admettre l'équivalence des exemples, quelque rapport qu'ils aient avec le symbole, si elle est tout-à-fait nuisible au salut [cf. Introduction]. Or toute l'économie du salut qui est placée dans la ferme continuité de la discipline, nous voyons que l'interprétation admise par nos adversaires la bouleverse. [9] Car s'il est chrétien, celui qui, après avoir reçu de Dieu son père son patrimoine (c'est-à-dire le trésordu baptême, de l'Esprit Saint, et par conséquent de l'espérance éternelle), part bien loin de son père et le dissipe dans une vie païenne ; qui, perdant tout bon sens, se fait l'esclave d'un maître du siècle (de qui, sinon du diable ?) et reçoit de lui la tâche de nourrir les pourceaux, c'est-à-dire de prendre soin des esprits immondes ; puis revient à la raison et retourne chez son père : à ce prix ce ne seraient pas seulement les adultères et les fornicateurs, mais les idolâtres, les blasphémateurs, et ceux qui nient le Christ et toutes les catégories d'apostats qui satisferaient à la justice du Père grâce à cette parabole. Et en vérité c'est alors toute la substance de la religion qui est anéantie. [10] Qui, en effet, craindra de prodiguer ce qu'il pourra récupérer ensuite ? Qui aura souci de conserver à jamais ce qu'il ne pourra perdre à jamais ? La sécurité du délit attise l'envie de le commettre. [11] Ainsi l'apostat recouvrera son premier vêtement, livrée de l'Esprit-Saint, et l'anneauqui est le signe du baptême ; de nouveau, pour lui le Christ sera immolé ; il s'assiéra de nouveau sur le lit dont ceux qui ne sont pas vêtus comme il convient sont arrachés par les bourreaux pour être jétés dehors dans les ténèbres, non sans avoir été dépouillés ! Voilà déjà un pas de fait, si l'histoire du fils prodigue ne peut s'appliquer au chrétien.
[12] Si l'image du fils ne s'applique aussi qu'imparfaitement au juif, il faudra orienter tout simplement notre interprétation dans le sens de l'intention divine. Le Seigneur était venu pour sauver ce qui était perdu ; le médecin est plus nécessaire aux malades qu'aux gens bien portants. [13] Ce rôle, il le figurait dans les paraboles et l'annonçait dans ses discours. Quel est l'homme qui périt; qui est de santé chancelante, sinon celui qui ne connaît pas Dieu ? Qui est sain et bien portant, sinon celui qui connaît Dieu ? Ces deux aspects naturellement solidaires seront aussi figurés dans la parabole. [14] Voyez si le païen a conservé le bien-fonds de sa naissance en Dieu le Père, de la sagesse, de la connaissance naturelle de Dieu. L'apôtre observe que le monde n'a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu par le moyen de la sagesse, qu'il avait pourtant reçue de Dieu. [15] Il la dissipa donc bien loin du Seigneur par ses désordres au milieu des erreurs, des délices et des passions du monde, où pressé par la faim de la vérité, il se livra au maître de ce siècle. Celui-ci le préposa aux soins des porcs, pour qu'il fît paître ce troupeau familier des démons. Et sans pouvoir se procurer la nourriture nécessaire à sa vie, il voyait en même temps les autres regorger du pain céleste au milieu des œuvres divines. [16] Il se souvient de Dieu son père ; il revient à lui après avoir satisfait, il recouvre son ancien vêtement, c'est-à-dire cet état qu'Adam avait perdu par sa faute ; il reçoit aussi pour la première fois cet anneau, par où, sur interrogation, il scelle le pacte de la foi, et ainsi, désormais, il se nourrit abondamment du corps du Seigneur, c'est-à-dire de l'eucharistie.
[17] Voilà quel sera le fils prodigue qui jamais auparavant ne fut probe et qui devint d'emblée un prodigue, parce qu'il ne devint pas d'emblée chrétien. C'est lui que les Pharisiens voyaient avec chagrin dans la personne des publicains et des pécheurs revenir du siècle aux embrassements paternels. [18] C'est à ce seul trait que s'applique la jalousie du frère aîné ; non que les Juifs soient innocents et soumis à Dieu, mais parce qu'ils envient aux nations leur salut, eux qui auraient toujours dû rester près du Père. [19] Et en tout cas le Juif gémit de la première vocation du chrétien, non de son second rétablissement : car la vocation est visible même pour le païen, mais la réhabilitation se passe dans les Églises ; les Juifs mêmes l'ignorent.
[20] Je pense avoir donné des interprétations mieux accommodées à la matière des paraboles, à la concordance des faits et au maintien de la discipline. Au surplus si nos adversaires veulent à tout prix que les brebis, la drachme et les débauches du fils figurent le pécheur chrétien, tout cela pour accorder la pénitence à l'adultère et à la fornication, il leur faudra ou pardonner les autres fautes également capitales ou continuera regarder comme impardonnables l'adultère et la fornication qui sont équivalents à ces fautes. [21] Mais mieux vaut ne pas étendre l'argumentation en dehors des limites du débat. Enfin, s'il était permis de transposer les paraboles en un autre sens, nous orienterions plutôt vers le martyre leur espoir ; car, seul, le martyre pourra réhabiliter le fils qui a dissipé tous ses biens, publier avec allégresse que la drachme a été retrouvée, se fût-elle égarée dans l'ordure, et ramener au troupeau sur les épaules du Seigneur lui-même, à travers les montagnes et les précipices, la brebis fugitive. [22] Mais nous préférons montrer peut-être moins de finesse en restant dans les Écritures, que d'en faire preuve à leur encontre. D'ailleurs nous devons respecter le sens du Seigneur aussi bien que sa loi. Pécher dans une interprétation n'est pas moins grave que pécher dans la pratique de la vie.