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Blaise Pascal Discours sur les passions de l'amour IntraText CT - Lecture du Texte |
CHAPITRE VII
L'on a ôté mal à propos le nom de raison à l'amour, et on les a opposés sans un bon fondement, car l'amour et la raison n'est qu'une même chose. C'est une précipitation de pensées qui se porte d'un côté sans bien examiner tout, mais c'est toujours une raison, et l'on ne doit et on ne peut pas souhaiter que ce soit autrement, car nous serions des machines très-désagréables. N'excluons donc point la raison de l'amour, puisqu'elle en est inséparable. Les poëtes n'ont donc pas eu raison de nous dépeindre l'amour comme un aveugle ; il faut lui ôter son bandeau, et lui rendre désormais la jouissance de ses yeux.
Les âmes propres à l'amour demandent une vie d'action qui éclate en événemens nouveaux. Comme le dedans est mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C'est de là que ceux de la cour son mieux reçus dans l'amour que ceux de la ville, parce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une vie dont l'uniformité n'a rien qui frappe : la vie de tempête surprend, frappe et pénètre. Il semble que l'on ait toute une autre âme quand on aime que quand on n'aime pas ; on s'élève par cette passion, et on devient toute grandeur ; il faut donc que le reste ait proportion, autrement cela ne convient pas, et partant cela est désagréable.
L'agréable et le beau n'est que la même chose, tout le monde en a l'idée. C'est d'une beauté morale que j'entends parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions du dehors. L'on a bien une règle pour devenir agréable ; cependant la disposition du corps y est nécessaire ; mais elle ne se peut acquérir.
Les hommes ont pris plaisir à se former une idée de l'agréable si élevée, que personne n'y peut atteindre. Jugeons-en mieux, et disons que ce n'est que le naturel, avec une facilité et une vivacité d'esprit qui surprennent. Dans l'amour ces deux qualités sont nécessaires : il ne faut rien de force, et cependant il ne faut rien de lenteur. L'habitude donne le reste.
Le respect et l'amour doivent être si bien proportionnés qu'ils se soutiennent sans que ce respect étouffe l'amour.
Les grandes âmes ne sont pas celles qui aiment le plus souvent ; c'est d'un amour violent que je parle : il faut une inondation de passion pour les ébranler et pour les remplir. Mais quand elles commencent à aimer elles aiment beaucoup mieux.
L'on dit qu'il y a des nations plus amoureuses les unes que les autres ; ce n'est pas bien parler, ou du moins cela n'est pas vrai en tout sens.
L'amour ne consistant que dans un attachement de pensée, il est certain qu'il doit être le même par toute la terre. Il est vrai que, se déterminant autre part que dans la pensée, le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n'est que dans le corps.