NOTICE
C'est
à la suite des néfastes journées de juin 1848, que troublé et navré, jusqu'au
fond de l'âme, par les orages extérieurs, je m'efforçai de retrouver dans la
solitude, sinon le calme, au moins la foi. Si je faisais profession d'être
philosophe, je pourrais croire ou prétendre que la foi aux idées entraîne le
calme de l'esprit en présence des faits désastreux de l'histoire contemporaine
; mais il n'en est point ainsi pour moi, et j'avoue humblement que la certitude
d'un avenir providentiel ne saurait fermer l'accès, dans une âme d'artiste, à
la douleur de traverser un présent obscurci et déchiré par la guerre civile.
Pour
les hommes d'action qui s'occupent personnellement du fait politique, il y a,
dans tout parti, dans toute situation, une fièvre d'espoir ou d'angoisse, une
colère ou une joie, l'enivrement du triomphe ou l'indignation de la défaite.
Mais pour le pauvre poète, comme pour la femme oisive, qui contemplent les
événements sans y trouver un intérêt direct et personnel, quel que soit le
résultat de la lutte, il y a l'horreur profonde du sang versé de part et
d'autre, et une soin de désespoir à la vue de cette haine, de ces injures, de
ces menaces, de ces calomnies qui montent vers le ciel comme un impur
holocauste, à la suite des convulsions sociales.
Dans
ces moments-là, un génie orageux et puissant comme celui du Dante, écrit avec
ses larmes, avec sa bile, avec ses nerfs, un poème terrible, un drame tout
plein de tortures et de gémissements. Il faut être trempé comme cette âme de
fer et de feu, pour arrêter son imagination sur les horreurs d'un enfer
symbolique, quand on a sous les yeux le douloureux purgatoire de la désolation
sur la terre. De nos jours, plus faible et plus sensible, l'artiste, qui n'est
que le reflet et l'écho d'une génération assez semblable à lui éprouve le
besoin impérieux de détourner la vue et de distraire l'imagination, en se
reportant vers un idéal de calme, d'innocence et de rêverie. C'est son
infirmité qui le fait agir ainsi, mais il n'en doit point rougir, car c'est
aussi son devoir. Dans les temps où le mal vient de ce que les hommes se
méconnaissent et se détestent, la mission de l'artiste est de célébrer la
douceur, la confiance, l'amitié, et de rappeler ainsi aux hommes endurcis ou
découragés, que les moeurs pures, les sentiments tendres et l'équité primitive,
sont ou peuvent être encore de ce monde. Les allusions directes aux malheurs
présents, l'appel aux passions qui fermentent, ce n'est point là le chemin du
salut : mieux vaut une douce chanson, un son de pipeau rustique, un conte pour
endormir les petits enfants sans frayeur et sans souffrance, que le spectacle
des maux réels renforcés et rembrunis encore par les couleurs de la fiction.
Prêcher
l'union quand on s'égorge, c'est crier dans le désert. Il est des temps, où les
âmes sont si agitées qu'elles sont sourdes à toute exhortation directe.
Depuis
ces journées de juin dont les événements actuels sont l'inévitable conséquence,
l'auteur du conte qu'on va lire s'est imposé la tâche d'être aimable,
dût-il en mourir de chagrin. Il a laissé railler ses bergeries, comme il
avait laissé railler tout le reste, sans s'inquiéter des arrêts de certaine
critique. Il sait qu'il a fait plaisir à ceux qui aiment cette note-là,
et que faire plaisir à ceux qui souffrent du même mal que lui, à savoir
l'horreur de la haine et des vengeances, c'est leur faire tout le bien qu'ils
peuvent accepter : bien fugitif, soulagement passager, il est vrai, mais plus
réel qu'une déclamation passionnée, et plus saisissant qu'une démonstration
classique.
GEORGE
SAND.
Nohant, 21 décembre 1851.
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