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Pierre Corneille
L'illusion comique

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  • ACTE III
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SCÈNE V

CLINDOR.
Le souverain poltron, à qui pour faire peur
Il ne faut qu'une feuille, une ombre, une vapeur !
Un vieillard le maltraite, il fuit pour une fille,
Et tremble à tous moments de crainte qu'on l'étrille.
Lyse, que ton abord doit être dangereux !
Il donne l'épouvante à ce coeur généreux,
Cet unique vaillant, la fleur des capitaines,
Qui dompte autant de rois qu'il captive de reines !

LYSE.
Mon visage est ainsi malheureux en attraits :
D'autres charment de loin, le mien fait peur de près.

CLINDOR.
S'il fait peur à des fous, il charme les plus sages :
Il n'est pas quantité de semblables visages.
Si l'on brûle pour toi, ce n'est pas sans sujet ;
Je ne connus jamais un si gentil objet ;
L'esprit beau, prompt, accort, l'humeur un peu railleuse,
L'embonpoint ravissant, la taille avantageuse,
Les yeux doux, le teint vif, et les traits délicats :
Qui serait le brutal qui ne t'aimerait pas ?

LYSE.
De grâce, et depuis quand me trouvez-vous si belle ?
Voyez bien, je suis Lyse, et non pas Isabelle.

CLINDOR.
Vous partagez vous deux mes inclinations :
J'adore sa fortune, et tes perfections.

LYSE.
Vous en embrassez trop, c'est assez pour vous d'une,
Et mes perfections cèdent à sa fortune.

CLINDOR.
Quelque effort que je fasse à lui donner ma foi,
Penses-tu qu'en effet je l'aime plus que toi ?
L'amour et l'hyménée ont diverse méthode :
L'un court au plus aimable, et l'autre au plus commode.
Je suis dans la misère, et tu n'as point de bien :
Un rien s'ajuste mal avec un autre rien ;
Et malgré les douceurs que l'amour y déploie,
Deux malheureux ensemble ont toujours courte joie.
Ainsi j'aspire ailleurs, pour vaincre mon malheur ;
Mais je ne puis te voir sans un peu de douleur,
Sans qu'un soupir échappe à ce coeur, qui murmure
De ce qu'à mes désirs ma raison fait d'injure.
A tes moindres coups d'oeil je me laisse charmer.
Ah ! que je t'aimerais, s'il ne fallait qu'aimer,
Et que tu me plairais, s'il ne fallait que plaire !

LYSE.
Que vous auriez d'esprit si vous saviez vous taire,
Ou remettre du moins en quelque autre saison
A montrer tant d'amour avec tant de raison !
Le grand trésor pour moi qu'un amoureux si sage,
Qui par compassion n'ose me rendre hommage,
Et porte ses désirs à des partis meilleurs,
De peur de m'accabler sous nos communs malheurs !
Je n'oublierai jamais de si rares mérites :
Allez continuer cependant vos visites.

LINDOR.
Que j'aurais avec toi l'esprit bien plus content !

LYSE.
Ma maîtresse là-haut est seule, et vous attend.

CLINDOR.
Tu me chasses ainsi !

LYSE.
Non, mais je vous envoie
Aux lieux où vous aurez une plus longue joie.

CLINDOR.
Que même tes dédains me semblent gracieux !

LYSE.
Ah ! Que vous prodiguez un temps si précieux !
Allez.

CLINDOR.
Souviens-toi donc que si j'en aime une autre...

LYSE.
C'est de peur d'ajouter ma misère à la vôtre :
Je vous l'ai déjà dit, je ne l'oublierai pas.

CLINDOR.
Adieu : ta raillerie a pour moi tant d'appas,
Que mon coeur à tes yeux de plus en plus s'engage,
Et je t'aimerais trop à tarder davantage.




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