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Pierre Corneille
L'illusion comique

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  • ACTE IV
    • SCÈNE II
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SCÈNE II

LYSE.
Quoi ! Chacun dort, et vous êtes ici ?
Je vous jure, monsieur en est en grand souci.

ISABELLE.
Quand on n'a plus d'espoir, Lyse, on n'a plus de crainte.
Je trouve des douceurs à faire ici ma plainte :
Ici je vis Clindor pour la dernière fois ;
Ce lieu me redit mieux les accents de sa voix,
Et remet plus avant en mon âme éperdue
L'aimable souvenir d'une si chère vue.

LYSE.
Que vous prenez de peine à grossir vos ennuis !

ISABELLE.
Que veux-tu que je fasse en l'état où je suis ?

LYSE.
De deux amants parfaits dont vous étiez servie,
L'un doit mourir demain, l'autre est déjà sans vie :
Sans perdre plus de temps à soupirer pour eux,
Il en faut trouver un qui les vaille tous deux.

ISABELLE.
De quel front oses-tu me tenir ces paroles ?

LYSE.
Quel fruit espérez-vous de vos douleurs frivoles ?
Pensez-vous, pour pleurer et ternir vos appas,
Rappeler votre amant des portes du trépas ?
Songez plutôt à faire une illustre conquête ;
Je sais pour vos liens une âme toute prête,
Un homme incomparable.

ISABELLE.
Ote-toi de mes yeux.

LYSE.
Le meilleur jugement ne choisirait pas mieux.

ISABELLE.
Pour croître mes douleurs faut-il que je te voie ?

LYSE.
Et faut-il qu'à vos yeux je déguise ma joie ?

ISABELLE.
D'où te vient cette joie ainsi hors de saison ?

LYSE.
Quand je vous l'aurai dit, jugez si j'ai raison.

ISABELLE.
Ah ! Ne me conte rien.

LYSE.
Mais l'affaire vous touche.

ISABELLE.
Parle-moi de Clindor, ou n'ouvre point la bouche.

LYSE.
Ma belle humeur, qui rit au milieu des malheurs,
Fait plus en un moment qu'un siècle de vos pleurs :
Elle a sauvé Clindor.

ISABELLE.
Sauvé Clindor ?

LYSE.
Lui-même :
Jugez après cela comme quoi je vous aime.

ISABELLE.
Eh ! De grâce, où faut-il que je l'aille trouver ?

LYSE.
Je n'ai que commencé : c'est à vous d'achever.

ISABELLE.
Ah ! Lyse !

LYSE.
Tout de bon, seriez-vous pour le suivre ?

ISABELLE.
Si je suivrais celui sans qui je ne puis vivre ?
Lyse, si ton esprit ne le tire des fers,
Je l'accompagnerai jusque dans les enfers.
Va, ne demande plus si je suivrais sa fuite.

LYSE.
Puisqu'à ce beau dessein l'amour vous a réduite,
Ecoutez où j'en suis, et secondez mes coups :
Si votre amant n'échappe, il ne tiendra qu'à vous.
La prison est tout proche.

ISABELLE.
Eh bien ?

LYSE.
Ce voisinage
Au frère du concierge a fait voir mon visage ;
Et comme c'est tout un que me voir et m'aimer,
Le pauvre malheureux s'en est laissé charmer.

ISABELLE.
Je n'en avais rien su !

LYSE.
J'en avais tant de honte
Que je mourais de peur qu'on vous en fît le conte ;
Mais depuis quatre jours votre amant arrêté
A fait que l'allant voir je l'ai mieux écouté.
Des yeux et du discours flattant son espérance,
D'un mutuel amour j'ai formé l'apparence.
Quand on aime une fois, et qu'on se croit aimé,
On fait tout pour l'objet dont on est enflammé.
Par là j'ai sur son âme assuré mon empire,
Et l'ai mis en état de ne m'oser dédire.
Quand il n'a plus douté de mon affection,
J'ai fondé mes refus sur sa condition ;
Et lui, pour m'obliger, jurait de s'y déplaire,
Mais que malaisément il s'en pouvait défaire ;
Que les clefs des prisons qu'il gardait aujourd'hui
Etaient le plus grand bien de son frère et de lui.
Moi de dire soudain que sa bonne fortune
Ne lui pouvait offrir d'heure plus opportune ;
Que, pour se faire riche et pour me posséder,
Il n'avait seulement qu'à s'en accommoder ;
Qu'il tenait dans les fers un seigneur de Bretagne
Déguisé sous le nom du sieur de la Montagne ;
Qu'il fallait le sauver et le suivre chez lui ;
Qu'il nous ferait du bien et serait notre appui.
Il demeure étonné ; je le presse, il s'excuse ;
Il me parle d'amour, et moi je le refuse ;
Je le quitte en colère, il me suit tout confus,
Me fait nouvelle excuse, et moi nouveau refus.

ISABELLE.
Mais enfin ?

LYSE.
J'y retourne, et le trouve fort triste ;
Je le juge ébranlé ; je l'attaque : il résiste.
Ce matin : " En un mot, le péril est pressant,
Ai-je dit ; tu peux tout, et ton frère est absent.
 mais il faut de l'argent pour un si long voyage,
M'a-t-il dit ; il en faut pour faire l'équipage :
Ce cavalier en manque."

ISABELLE.
Ah ! Lyse, tu devais
Lui faire offre aussitôt de tout ce que j'avais :
Perles, bagues, habits.

LYSE.
J'ai bien fait davantage :
J'ai dit qu'à vos beautés ce captif rend hommage,
Que vous l'aimez de même et fuirez avec nous,
Ce mot me l'a rendu si traitable et si doux,
Que j'ai bien reconnu qu'un peu de jalousie
Touchant votre Clindor brouillait sa fantaisie,
Et que tous ces détours provenaient seulement
D'une vaine frayeur qu'il ne fût mon amant.
Il est parti soudain après votre amour sue,
A trouvé tout aisé, m'en a promis l'issue,
Et vous mande par moi qu'environ à minuit
Vous soyez toute prête à déloger sans bruit.

ISABELLE.
Que tu me rends heureuse !

LYSE.
Ajoutez-y, de grâce,
Qu'accepter un mari pour qui je suis de glace,
C'est me sacrifier à vos contentements.

ISABELLE.
Aussi...

LYSE.
Je ne veux point de vos remerciements.
Allez ployer bagage, et pour grossir la somme,
Joignez à vos bijoux les écus du bonhomme.
Je vous vends ses trésors, mais à fort bon marché ;
J'ai dérobé ses clefs depuis qu'il est couché :
Je vous les livre.

ISABELLE.
Allons y travailler ensemble.

LYSE.
Passez-vous de mon aide.

ISABELLE.
Eh quoi ! Le coeur te tremble ?

LYSE.
Non, mais c'est un secret tout propre à l'éveiller :
Nous ne nous garderions jamais de babiller.

ISABELLE.
Folle, tu ris toujours.

LYSE.
De peur d'une surprise,
Je dois attendre ici le chef de l'entreprise ;
S'il tardait à la rue, il serait reconnu ;
Nous vous irons trouver dès qu'il sera venu.
C'est là sans raillerie.

ISABELLE.
Adieu donc : je te laisse,
Et consens que tu sois aujourd'hui la maîtresse.

LYSE.
C'est du moins.

ISABELLE.
Fais bon guet.

LYSE.
Vous, faites bon butin.




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