ACTE II
SCÈNE PREMIÈRE
DON
ARIAS, LE COMTE
LE COMTE
Je l'avoue entre nous, mon sang un peu trop chaud
S'est trop ému d'un mot, et l'a porté trop haut ;
Mais puisque c'en est fait, le coup est sans remède.
DON
ARIAS
Qu'aux volontés du roi ce grand courage cède :
Il y prend grande part, et son coeur irrité
Agira contre vous de pleine autorité.
Aussi vous n'avez point de valable défense.
Le rang de l'offensé, la grandeur de l'offense,
Demandent des devoirs et des submissions
Qui passent le commun des satisfactions.
LE
COMTE
Le roi peut, à son gré, disposer de ma vie.
DON
ARIAS
De trop d'emportement votre faute est suivie.
Le roi vous aime encore ; apaisez son courroux.
Il a dit : « Je le veux » ; désobéirez-vous ?
LE
COMTE
Monsieur, pour conserver tout ce que j'ai d'estime,
Désobéir un peu n'est un si grand crime ;
Et quelque grand qu'il soit, mes services présents
Pour le faire abolir sont plus que suffisants.
DON
ARIAS
Quoi qu'on fasse d'illustre et de considérable,
Jamais à son sujet un roi n'est redevable.
Vous vous flattez beaucoup, et vous devez savoir
Que qui sert bien son roi ne fait que son devoir.
Vous vous perdrez, monsieur, sur cette confiance.
LE
COMTE
Je ne vous en croirai qu'après l'expérience.
DON
ARIAS
Vous devez redouter la puissance d'un roi.
LE
COMTE
Un jour seul ne perd pas un homme tel que moi.
Que toute sa grandeur s'arme pour mon supplice,
Tout l'État périra, s'il faut que je périsse.
DON
ARIAS
Quoi ! Vous craignez si peu le pouvoir souverain ...
LE
COMTE
D'un sceptre qui sans moi tomberait de sa main.
Il a trop d'intérêt lui-même en ma personne,
Et ma tête en tombant ferait choir sa couronne.
DON
ARIAS
Souffrez que la raison remette vos esprits.
Prenez un bon conseil.
LE
COMTE
Le conseil en est pris.
DON
ARIAS
Qui lui dirai-je enfin ? Je lui dois rendre compte.
LE
COMTE
Que je ne puis du tout consentir à ma honte.
DON
ARIAS
Mais songez que les rois veulent être absolus.
LE
COMTE
Le sort en est jeté, monsieur, n'en parlons plus.
DON
ARIAS
Adieu donc, puisqu'en vain je tâche à vous résoudre ;
Avec tous vos lauriers, craignez encor le foudre.
LE
COMTE
Je l'attendrai sans peur.
DON
ARIAS
Mais non sans effet.
LE
COMTE
Nous verrons donc par là don Diègue satisfait.
(Il
est seul.)
Qui
ne craint point la mort ne craint point les menaces.
J'ai le coeur au-dessus des plus fières disgrâces ;
Et l'on peut me réduire à vivre sans bonheur,
Mais non pas me résoudre à vivre sans honneur.
|