Pieces détachées extraites du portefeuille
de l'auteur
LE BEL ALCADE.
Il me disait, le
bel Alcade:
« Tant que pendra
sur la cascade
Le saule aux
rameaux chevelus,
Tu seras, vierge
qui console,
Et mon étoile et
ma boussole. »
Pourquoi pend
donc encor le saule,
Et pourquoi ne
m'aime-t-il plus?
Romance
espagnole.
C'est pour te
suivre, ô bel Alcade, que je me suis exilée de la
terre des
parfums, où gémissent de mon absence mes compagnes dans la
prairie, mes
colombes dans le feuillage des palmiers.
Ma mère, ô bel
Alcade, tendit de sa couche de douleurs la main
vers moi; cette
main retomba glacée, et je ne m'arrêtai pas au seuil
pour pleurer ma
mère qui n'était plus.
Je n'ai point pleuré,
ô bel Alcade, lorsque le soir, seule avec
toi et notre
barque errant loin du bord, les brises embaumées de ma
patrie
traversaient les flots pour venir me trouver.
J'étais,
disais-tu alors dans tes ravissements, ô bel Alcade,
j'étais plus
charmante que la lune, sultane de sérail aux mille lampes
d'argent.
Tu m'aimais, ô
bel Alcade, et j'étais fière et heureuse: depuis
que tu me
repousses je ne suis plus qu'un humble pécheresse qui
confesse en
pleurant la faute qu'elle a commise.
Quand donc, ô bel
Alcade, sera-t-elle écoulée, ma source de
larmes amères?
Quand l'eau de la fontaine du roi Alphonse ne sera plus
vomie par la
gueule des lions.
L'ANGE ET LA FÉE.
Une fée est
cachée en tout ce que tu vois.
VICTOR HUGO.
Une fée parfume
la nuit mon sommeil fantastique des plus
fraîches, des
plus tendres haleines de juillet, - cette même bonne fée
qui replante en
son chemin le bâton du vieil aveugle égaré, et qui
essuie les
larmes, guérit la douleur de la petite glaneuse dont une
épine a blessé le
pied nu.
La voici, me
berçant comme un héritier de l'épée ou de la
harpe, et
écartant de ma couche avec une plume de paon les esprits qui
me dérobaient mon
âme pour la noyer dans un rayon de la lune ou dans
une goutte de
rosée.
La voici, me racontant
quelqu'une de ses histoires des vallées
et des montagnes,
soit les amours mélancoliques des fleurs du
cimetière, soit
les joyeux pèlerinages des oiseaux à
Notre-Dame-des-Cornouillers.
*
**
Mais tandis
qu'elle me veillait endormi, un ange, qui
descendait les
ailes frémissantes, du temps étoilé, posa un pied sur la
rampe du gothique
balcon, et heurta de sa palme d'argent aux vitraux
peints de la
haute fenêtre.
Un séraphin, une
fée, qui s'étaient enamourés naguère l'un de
l'autre au chevet
d'une jeune mourante, qu'elle avait douée à sa
naissance de
toutes les grâces des vierges, et qu'il porta expirée dans
les délices du
Paradis!
La main qui
berçait mes rêves s'était retirée avec mes rêves
eux-mêmes.
J'ouvris les yeux. Ma chambre aussi profonde que déserte
s'éclairait
silencieusement des nébulosités de la lune; et le matin, il
ne me reste plus
des affections de la bonne fée que cette quenouille:
encore ne suis-je
pas sûr qu'elle ne soit pas de mon aïeule.
LA PLUIE.
Pauvre oiseau que
le ciel bénit!
Il écoute les
vents bruire,
Chante, et voit
des gouttes d'eau luire
Comme des perles
dans son nid!
VICTOR HUGO.
Et cependant que
ruisselle la pluie, les petits charbonniers de
la Forêt-Noire
entendent, de leur lit de fougère parfumée, hurler au
dehors la bise
comme un loup.
Ils plaignent la
biche fugitive que relancent les fanfares de
l'orage, et
l'écureuil tapi au creux d'un chêne, qui s'épouvante de
l'éclair comme de
la lampe du chasseur des mines.
Ils plaignent la famille
des oiseaux, la bergeronnette qui n'a
que son aile pour
abriter sa couvée, et le rouge-gorge dont la rose,
ses amours,
s'effeuille au vent.
Ils plaignent
jusqu'au vers luisant qu'une goutte de pluie
précipite dans
des océans d'un rameau de mousse.
Ils plaignent le
pèlerin attardé qui rencontre le roi Pialus et
la reine
Wilberta, car c'est l'heure où le roi mène boire son palefroi
de vapeurs au
Rhin.
Mais ils
plaignent surtout les enfants fourvoyés qui se seraient
engagés dans
l'étroit sentier frayé par une troupe de voleurs, ou qui
se dirigeraient
vers la lumière lointaine de l'ogresse.
Et le lendemain,
au point du jours, les petits charbonniers
trouvèrent leur
cabane de ramée, d'où ils pipaient les grives, couchée
sur le gazon et
leurs gluaux noyés dans la fontaine.
LES DEUX ANGES.
Ces deux êtres
qu'ici, la nuit, un saint mystère...
VICTOR HUGO.
« Planons, lui disais-je, sur les bois que
parfument les roses;
jouons-nous dans
la lumière et l'azur des cieux, oiseaux de l'air, et
accompagnons le
printemps voyageur. »
La mort me la
ravit échevelée et livrée au sommeil d'un
évanouissement,
tandis que, retombé dans la vie, je tendais en vain les
bras à l'ange qui
s'envolait.
Oh! si la mort
eût tinté sur notre couche les noces du
cercueil, cette
soeur des anges m'eût fait monter aux cieux avec elle,
ou je l'eusse
entraînée avec moi aux enfers!
Délirantes joies
du départ pour l'ineffable bonheur de deux
âmes qui,
heureuses et s'oubliant partout où elles ne sont plus
ensemble, ne
songent plus au retour.
Mystérieux voyage
de deux anges qu'on eût vus, au point du
jour, traverser
les espaces et recevoir sur leurs blanches ailes la
fraîche rosée du
matin!
Et dans le
vallon, triste de notre absence, notre couche fût
demeurée vide au
mois des fleurs, nid abandonné dans le feuillage.
LE SOIR SUR L'EAU.
Bords où Venise
est reine de la mer.
ANDRÉ CHÉNIER.
La noire gondole
se glissait le long des palais de marbre,
comme un bravo
qui court à quelque aventure de nuit, un stylet et une
lanterne sous sa
cape,
Un cavalier et
une dame y causaient d'amour: - « Les orangers
si parfumés, et
vous si indifférente! Ah! signora, vous êtes une statue
dans un jardin!
- Ce baiser
est-il d'une statue, mon Georgio? pourquoi
boudez-vous? -
Vous m'aimez donc? - Il n'est pas au ciel une étoile qui
ne le sache, et
tu ne le sais pas?
- Quel est ce
bruit? - Rien, sans doute le clapotement des
flots qui monte
et descend une marche des escaliers de la Giudecca.
- Au secours! au
secours! - Ah! mère du sauveur, quelqu'un qui
se noie! -
Écartez-vous; il est confessé », dit un moine qui parut sur
la terrasse.
Et la noire
gondole força de rames, se glissant le long des
palais de marbre
comme un bravo qui revient de quelque aventure de
nuit, un stylet
et une lanterne sous sa cape.
MADAME DE MONTBAZON.
Mme de Montbazon
était une fort
belle créature
qui mourut d'amour, cela
pris à la lettre,
l'autre siècle, pour
le chevalier de
la Rüe qui ne l'aimait
point.
Mémoires de
SAINT-SIMON.
La suivante
rangea sur la table un vase de fleurs et les
flambeaux de
cire, dont les reflets moiraient de rouge et de jaune les
rideaux de soie
bleue au chevet du lit de la malade.
« Crois-tu,
Mariette, qu'il viendra? - Oh! dormez, dormez un
peu, Madame! -
Oui, je dormirai bientôt pour rêver à lui toute
l'éternité. »
On entendit
quelqu'un monter l'escalier. « Ah! si c'était lui!
» murmura la
mourante, en souriant, le papillon des tombeaux déjà sur
les lèvres.
C'était un petit
page qui apportait de la part de la reine, à
Madame la
duchesse, des confitures, des biscuits et des élixirs sur un
plateau d'argent.
« Ah! il ne vient
pas, dit-elle d'une voix défaillante, il ne
viendra pas!
Mariette, donne-moi une de ces fleurs que je la respire et
la baise pour
l'amour de lui! »
Alors Madame de
Montbazon, fermant les yeux, demeura immobile.
Elle était morte
d'amour, rendant son âme dans le parfum d'une
jacinthe.
L'AIR MAGIQUE DE JEHAN DE
VITTEAUX.
C'est sans doute
un des
coqueluchiers des
cornards d'Évreux, ou
un de la
confrérie des Enfants
Sans-Souci de la ville
de Paris, ou
bien un ménétrier
qui chante la langue
d'oc.
FERDINAND LANGLE.
- Fabel de
la Dame de la
belle sagesse.
La feuillée verte
et touffue: un clerc du gai savoir qui voyage
avec sa gourde et
son rebec, et un chevalier armé d'une énorme épée à
couper en deux la
tour de Montlhéry.
LE CHEVALIER: - «
Halte-là! ta gargoulette, vassal; j'ai trois
grains de sable
dans le gosier.
LE MUSICIEN: - À
votre plaisir, mais n'y buvez qu'un petit
coup, d'autant
que le vin est cher cette année.
LE CHEVALIER (faisant
la grimace après avoir tout bu): - Il
est aigre ton
vin; tu mériterais, vassal, que je te brisasse ta gourde
sur les oreilles.
»
Le clerc du gai
savoir approcha, sans mot dire, l'archet de son
rebec et joua
l'air magique de Jehan de Vitteaux.
Cet air eût délié
les jambes d'un paralytique. Or voilà que le
chevalier dansait
sur la pelouse, son épée appuyée contre l'épaule
comme un
hallebardier qui va-t-en guerre.
« Merci!
nécromant » cria-t-il bientôt, hors d'haleine. Et il
giguait toujours.
« Oui-dà! payez-moi
d'abord mon vin, ricana le musicien. Vos
agneaux d'or,
s'il vous plaît, ou je vous mène, ainsi dansant, par les
vallées et les
bourgs, au pas d'arme de Marsannay!
- « Tiens », -
dit le chevalier, après avoir fouillé son
escarcelle, et détachant
son cheval dont les rênes étaient passées au
rameau d'un chène
- « tiens! et que m'étrangle le diable si je bois
jamais à la
calebasse d'un vilain! »
LA NUIT D'APRES UNE BATAILLE
Et les corbeaux
vont commencer.
VICTOR HUGO.
I
Une sentinelle,
le mousquet au bras et enveloppée dans son
manteau, se
promène le long du rempart. Elle se penche entre les noirs
créneaux de
moment en moment, et observe d'un oeil attentif l'ennemi
dans son camp.
II
Il allume les
feux au bord des fossés pleins d'eau; le ciel est
noir; la forêt
est pleine de bruits; le vent chasse la fumée vers le
fleuve et se
plaint en murmurant dans les plis des étendards.
III
Aucune trompette
ne trouble l'écho; aucun chant de guerre n'est
répété autour de
la pierre du foyer; des lampes sont allumées dans les
tentes au chevet
des capitaines morts l'épée à la main.
IV
Mais voici que la
pluie ruisselle sur les pavillons; le vent
qui glace la
sentinelle engourdie, les hurlements des loups qui
s'emparent du
champ de bataille, tout annonce ce qui se passe d'étrange
sur la terre et
dans le ciel.
V
Toi qui reposes
paisiblement au lit de la tente, souviens-toi
toujours qu'il ne
s'en est fallu peut-être aujourd'hui que d'un pouce
de lame pour
percer ton coeur.
VI
Tes compagnons d'armes,
tombés avec courage au premier rang,
ont acheté de
leur vie la gloire et le salut de ceux qui bientôt les
auront oubliés.
VII
Une sanglante
bataille a été livrée; perdue ou gagnée, tout
sommeille
maintenant; mais combien de braves ne s'éveilleront plus ou
ne se
réveilleront demain que dans le ciel!
LA CITADELLE DE WOLGAST.
- Où allez-vous?
qui êtes-vous?
- Je suis porteur
d'une lettre
pour le lord
général.
Woodstock. -
WALTER SCOTT.
Comme elle est
calme et majestueuse la citadelle blanche, sur
l'Oder, tandis
que de toutes les embrasures les canons aboient contre
la ville et le
camp, et les couleuvrines dardent en sifflant leurs
langues sur les
eaux couleur de cuivre.
Les soldats du
roi de Prusse sont maîtres de Wolgast, de ses
faubourgs et de
l'une et de l'autre rive du fleuve; mais l'aigle à deux
têtes de
l'empereur d'Allemagne berce encore ses ailerons dans les plis
du drapeau de la
citadelle.
Tout à coup, avec
la nuit, la citadelle éteint ses soixante
bouches à feu. Des
torches s'allument dans les casemates, courent sur
les bastions,
illuminent les tours et les eaux, et une trompette gémit
dans les créneaux
comme la trompette du jugement.
Cependant la
poterne de fer s'ouvre, un soldat s'élance dans
une barque et
rame vers le camp; il aborde: « Le capitaine Beaudoin,
dit-il, a été
tué; nous demandons qu'on nous permette d'envoyer son
corps à sa femme
qui habite Oderberg sur la frontière; lorsqu'il y aura
trois jours que
le corps voguera sur l'eau, nous signerons la
capitulation. »
Le lendemain, à
midi, sortit de la triple enceinte de pieux qui
hérisse la
citadelle une barque, longue comme un cercueil, que la ville
et la citadelle
saluèrent de sept coups de canon.
Les cloches de la
ville étaient en branle, on était accouru à
ce triste
spectacle de tous les villages voisins, et les ailes des
moulins à vent
demeuraient immobiles sur les collines qui bordent
l'Oder.
LE CHEVAL MORT.
Le fossoyeur: -
Je vous vendrai
de l'os pour
fabriquer des boutons.
Le pialey: - Je
vous vendrai de
l'os pour garnir
le manche de vos
poignards.
La Boutique de
l'Armurier.
La voirie! et à
gauche, sous un gazon de trèfle et de luzerne,
les sépultures
d'un cimetière; à droite, un gibet suspendu qui demande
aux passants
l'aumône comme un manchot.
*
**
Celui-là, tué
d'hier, les loups lui on déchiqueté la chair sur
le col en si
longues aiguillettes qu'on le dirait paré encore pour la
cavalcade d'une
touffe de rubans rouges.
Chaque nuit, dès
que la lumière blémira le ciel, cette carcasse
s'envolera, enfourchée
par une sorcière qui l'éperonnera de l'os pointu
de son talon, la
bise soufflant dans l'orgue de ses flancs caverneux.
Et s'il était à
cette heure taciturne un oeil sans sommeil,
ouvert dans
quelque fosse du champ de repos, il se fermerait soudain,
de peur de voir
un spectre dans les étoiles.
Déjà la lune
elle-même, clignant un oeil, ne luit plus de
l'autre que pour
éclairer comme une chandelle flottante ce chien,
maigre vagabond,
qui lape l'eau d'un étang.
LE GIBET.
Que vois-je
remuer autour de ce gibet?
FAUST.
Ah! ce que
j'entends, serait-ce la bise nocturne qui glapit, ou
le pendu qui
pousse un soupir sur la fourche patibulaire?
Serait-ce quelque
grillon qui chante tapi dans la mousse et le
lierre stérile
dont par pitié se chausse le bois?
Serait-ce quelque
mouche en chasse sonnant du cor autour de ces
oreilles sourdes
à la fanfare des hallalis?
Serait-ce quelque
escarbot qui cueille en son vol inégal un
cheveu sanglant à
son crâne chauve?
Ou bien serait-ce
quelque araignée qui brode une demi-aune de
mousseline pour
cravate à ce col étranglé?
C'est la cloche
qui tinte aux murs d'une ville, sous l'horizon,
et la carcasse
d'un pendu que rougit le soleil couchant.
SCARBO.
Il regarda sous
le lit, dans la
cheminée, dans le
bahut; - personne. Il
ne put comprendre
par où il s'était
introduit, par où
il s'était évadé.
HOFFMANN. -
Contes nocturnes.
Oh! que de fois
je l'ai entendu et vu, Scarbo, lorsqu'à minuit
la lune brille
dans le ciel comme un écu d'argent sur une bannière
d'azur semée
d'abeilles d'or!
Que de fois j'ai
entendu bourdonner son rire dans l'ombre de
mon alcôve, et
grincer son ongle sur la soie des courtines de mon lit!
Que de fois je
l'ai vu descendre du plancher, pirouetter sur un
pied et rouler
par la chambre comme le fuseau tombé de la quenouille
d'une sorcière.
Le croyais-je
alors évanoui? le nain grandissait entre la lune
et moi, comme le
clocher d'une cathédrale gothique, un grelot d'or en
branle à son
bonnet pointu!
Mais bientôt son
corps bleuissait, diaphane comme la cire d'une
bougie, son
visage blémissait comme la cire d'un lumignon, - et soudain
il s'éteignait.
À M. DAVID, STATUAIRE.
Le talent rampe
et meurt s'il
n'a des ailes
d'or.
GILBERT.
Non, Dieu, éclair
qui flamboie dans le triangle symbolique,
n'est point le
chiffre tracé sur les lèvres de la sagesse humaine!
Non, l'amour,
sentiment naïf et chaste qui se voile de pudeur
et de fierté au
sanctuaire du coeur, n'est point cette tendresse
cavalière qui
répand les larmes de la coquetterie par les yeux du
masque de l'innocence!
Non, la gloire,
noblesse dont les armoiries ne se vendirent
jamais, n'est pas
la savonnette à vilain qui s'achète, au prix du
tarif, dans la
boutique d'un journaliste!
Et j'ai prié, et
j'ai aimé, et j'ai chanté, poète pauvre et
souffrant! Et c'est
en vain que mon coeur déborde de foi, d'amour et de
génie!
C'est que je
naquis aiglon avorté! L'oeuf de mes destinées, que
n'ont point couvé
les chaudes ailes de la prospérité, est aussi creux,
aussi vide que la
noix dorée de l'Égyptien.
Ah! l'homme, dis-le-moi,
si tu le sais, l'homme, frêle jouet,
gambadant
suspendu aux fils des passions, ne serait-il qu'un pantin
qu'use la vie et
que brise la mort?
FIN
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