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Louis Gallet
La Princesse jaune

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Scène 5. Kornélis, Léna

 

(Son regard ne quitte plus l'image de Ming,
tandis que peu à peu il s'éloigne d'elle.
Il arrive ainsi jusqu'à son fauteuil, où il s'assied lentement.
Bientôt sa tête se renverse sur le dossier et ses bras se détendent.
Il murmure quelques syllabes entrecoupées,
et enfin reste comme extasié.
Léna entre, arrange sa selle à peindre sans rien dire
et cherche ses couleurs.
Elle aperçoit Kornélis, toujours immobile dans le fauteuil.)
 
(Léna interroge son cousin, mais celui-ci,
perdu dans son rêve, n'entend rien. Vexée,
Léna s'assied et commence à peindre.)

 
KORNELIS
 
(halluciné)

Ah! quel nuage d'or s'ouvre devant mes yeux!
Quelle immensité rayonnante s'étend sous le ciel lumineux!
Au loin, vers les horizons bleus,
S'ébauchent les palais d'une ville flottante!...
 
 
(Il s'est levé et fait quelques pas.)

 
LENA
 
(avec affectation, sans quitter son travail)

Je n'irai plus à la danse,
Avril en vain recommence;
Laissez-moi, beaux fiancés,
Tous mes printemps sont passés
Car mes yeux se sont lassés
A pleurer mon espérance.
Avril en vain recommence:
Laissez-moi, beaux fiancés.
 
KORNELIS
Je te salue, ô pays japonais!
 
(Pendant ce qui précède, le décor s'est modifé peu à peu,
suivant les indications de Kornelis,
et se transforme complètement, de façon à représenter
un intérieur et un paysage japonais.)

C'est la réalité!... Par la fenêtre ouverte,
Voici la foule des marchands,
Voici les pagodes, les champs,
Les maisons et la plaine verte
D'où s'exhale vers moi, par la brise porté
Le fin parfum du thé!
Voici le toit de joncs et la muraille peinte,
Les tentures de soie aux riantes couleurs,
Et les monstres d'airain qui défendent l'enceinte
Des jardins tout en fleurs.
Rien, si ce n'est l'idole que j'appelle,
Ne manque ici!
Ma vision charmante, où donc est-elle?
 
 
(A ce moment, ses yeux s'arrêtent sur Léna,
dont le costume s'est aussi transformé,
et qui parait vêtue en Japonaise,
dans la même pose et avec les mêmes habits
que ceux de Ming.
A la place de l'image attachée à la muraille,
on en voit une autre qui représente
une Hollandaise habillée comme Léna,
dans la première partie de son rôle.)

 
KORNELIS
Dieux! la voici!
Je n'ose plus lui parler... Qu'elle est belle!
 
LENA
 
(se retournant à ce cri)

Qu'as-tu donc, Kornélis?
 
KORNELIS
 
(suppliant)

Oh! reste, reste ainsi!
Ne me demande pas encore
Ah! je rêve sans doute!
Pourquoi je viens, ce que je veux,
Et laisse s'enivrer mes yeux
De ta beauté, trésor que ta jeune âme ignore!
 
LENA
 
(se levant tout émue)

Kornélis!
 
(à part)

Il sait donc le secret de mes voeux!
 
(haut)

Que veux-tu dire?
 
KORNELIS
 
(follement)

Je t'adore!
Ah! ne refuse pas de croire à mes serments.
 
LENA
 
(à part)

Quelle subite ardeur l'entraîne
 
(haut, avec un peu de colère)

Non, tu mens!
 
KORNELIS
Mais, je te jure!…
 
LENA
 
(d'un
air de pitié moqueuse)
Une trop longue veille
Sans doute, a troublé tes esprits.
 
KORNELIS
Ton coeur sommeille:
Je veux le réveiller
Ne m'as-tu pas compris?
 
LENA
Reviens à toi!
 
KORNELIS
Quoi, tu me fuis, coquette,
Et tu doutes de moi!
Rassure ton âme inquiète.
Ah! pour te conquérir, il n'est rien qui m'arrête,
Et je ne vivrais pas si ce n'était pour toi!
 
LENA
Ah! je rêve sans doute!
Il me parle d'amour!
 
KORNELIS
Quoi! tu me fuis, coquette...
 
LENA
Ah! je rêve sans doute!
Il me parle d'amour!
 
KORNELIS
Et tu doutes de moi!
Ah! pour te conquérir, il n'est rien qui m'arrête,
Et je ne vivrais pas si ce n'était pour toi!
 
LENA
Ah! je rêve sans doute
Il me parle d'amour!
Et mon coeur frémissant l'écoute,
Et j'ai peur de comprendre enfin, et je redoute
L'espoir léger qui peut s'envoler sans retour.
 
(se reprenant)

Non! vainement tu parles de tendresse;
Je le sais trop, va, ta seule maîtresse
Est celle dont l'image est là!
 
KORNELIS
 
(sans voir l'image)

Cette image! Oh! je la déteste.
Je parle, tu m'entends, que m'importe le reste!
Je n'aime que toi!
 
LENA
 
(avec insistance)

Mais regarde-la!
 
KORNELIS
 
(tendrement)

A quoi bon? Ecoute
L'amoureuse chanson que tu connais sans doute,
Et que d'une timide voix,
En t'invoquant tout bas, je murmure parfois:
"Sur l'eau claire et sans ride
Glisse mon bateau;
Il a le hasard pour guide;
Moi, je regarde dans l'eau.
Au-dessus du flot tranquille
Est le grand ciel argenté
Où, dans sa sérénité,
La lune plane immobile
Le ciel est dans l'onde encor,
Et quand un nuage passe
Sur le front de l'astre d'or,
Je le vois dans les flots comme dans une glace
Et je crois que mon bateau
Glisse sur le ciel et non pas sur l'eau!
C'est ainsi que ton image,
Ô beauté pure, à qui mon amour appartient,
Comme le ciel et l'astre, et le nuage,
Se reflète en mon coeur, humble miroir du tien!"
 
LENA
Je ne comprends rien à ta poésie!
Pourquoi ne pas parler comme nous parlons tous?
 
KORNELIS
Chère enfant, toi que j'ai choisie,
Tends-moi la main… Viens, aimons-nous!
 
LENA
 
(s'éloignant)

Tu vas trop vite
 
KORNELIS
Un mot de grâce!
 
LENA
Que puis-je te répondre?
 
KORNELIS
Ah! si ton coeur m'entend,
S'il a de mon amour conservé quelque trace,
Ne me repousse pas
 
LENA
 
(naïvement)

Je t'aime… Es-tu content?
 
KORNELIS
Elle m'aime! Ô douce parole!
Ah! quand de ta lèvre s'envole
Ce mot si longtemps espéré,
Tu ne peux refuser à ma tendresse un gage.
 
LENA
Un gage?
Emue et tremblante,
 
KORNELIS
Un seul baiser!
 
LENA
Non pas!
 
(Elle s'enfuit.)

 
KORNELIS
 
(chancelant)

Je le prendrai.
 
LENA
Jamais!
 
KORNELIS
Ingrate!
 
LENA
Adieu ! Quand tu seras plus sage,
Peut-être je te reviendrai.
 
KORNELIS
 
(lui barrant le passage)

La lutte serait vaine,
Tu ne partira pas!
 
LENA
Ah! laisse-moi!…
 
(à part)

J'ai peur!
 
KORNELIS
Mon âme est pleine
D'un fol amour que tu partageras!
 
LENA
De grâce!
 
KORNELIS
 
(avec éclat)

Non! tu resteras!
 
LENA
 
(tremblante et indécise)

Kornélis!
 
KORNELIS
Je le veux!
 
LENA
 
(se dirigeant vers la porte)

Si je pouvais m'enfuir!
 
KORNELIS
 
(la ramenant en scène)

Je t'ai prise enfin!
 
LENA
Ah!
 
 
(Elle veut se dégager de l'étreinte de Kornélis
qui l'entraîne malgré sa résistance.)

 
KORNELIS
Indocile amante,
Tu m'obéiras!
Je te sens, tremblante,
Frémir dans mes bras.
Captive charmante,
Ne t'envole pas!
 
LENA
 
(luttant et suppliant)

Prière impuissante!
Vains efforts, hélas!
Sa voix m'épouvante;
Mais je ne veux pas,
Rester dans ses bras!
 
 
(Léna parvient à s'enfuir et disparaît avant
que Kornélis ait pu essayer de la suivre.)

 
KORNELIS
 
(la poursuivant)

Elle est partie! Hélas! où donc est-elle?
Elle s'en va, la cruelle,
Inexorable au cri de mon amour!
Ô Ming! je te veux, je t'appelle;
Ne t'envole pas sans retour.
 
(Avec égarement, tandis que les objets
qui l'environnent reprennent leur forme première.)

Non! tout pâlit, tout s'éteint. La nuit sombre
Me gagne. Mes regards vont se noyant dans l'ombre.
Où suis-je?Au loin se meurt, en de vagues accents,
Le bruit des gongs retentissants.
Ah! j'expire!
 
 
(Il tombe dans un fauteuil et y reste comme foudroyé.)

 
 
(Léna, revient et constate que Kornélis est calmé.
A sa grande surprise, elle lui répète les paroles
de la chanson dédiée à la princesse Ming.
Ce mystère expliqué, il comprend qu'il n'a pas quitté sa maison.
Quant à l'estampe, elle lui parait moins belle qu'auparavant:
il manque aux yeux de la princesse la lumière
que leur avait prêtée le regard de Léna. La réalité a vaincu le rêve:
Kornélis déclare enfin son amour pour sa cousine.)

 
KORNELIS
Ce doux mot qu'ignorant de moi-même
Je n'avais pas compris!
Tes lèvres, à mon coeur, pour toujours l'ont appris.
Si tu m'as pardonné, redis le-moi; je t'aime!
 
LENA
 
(riant)

Ah! ah! Quelle ardeur nouvelle!
L'amour dont ton coeur est plein
Tourne, tourne, comme l'aile
D'un moulin!
 
KORNELIS
Je me réveille d'un songe.
Hélas! Pourquoi
Rire de moi?
Léna!... mon seul amour.
 
LENA
Mensonge!
 
(moqueuse)

Vous étiez épris
D'un trésor sans prix.
Ming était l'idole choisie!
Elle vous déplaît,
C'est bien: mais, quelle est
Maintenant votre fantaisie?
Allez-vous, jaloux,
D'un amour étrange,
Demander au Gange
S'il n'a pas pour vous,
Riante chimère,
Quelque bayadère
Aux regards plus doux?
Allez-vous encore
Chercher aux pays
Que le soleil dore
De blanches houris
Ou choisir pour reine
Une Ethiopienne
Dont le regard luit
Sous un front d'ébène
Aux cheveux de laine
Plus noirs que la nuit?
J'attends qu'il vous plaise
De vous déclarer,
Et si mon avis peut vous éclairer,
Daignez croire, cousin, que j'en serai bien aise.
 
 
(Elle lui fait une grande révérence ironique
et se dispose à sortir.)

 
KORNELIS
 
(la retenant)

Méchante enfant!
 
LENA
 
(rieuse)

Non!
 
KORNELIS
C'est toi que j'aime!
 
LENA
Le Japon est charmant!
 
KORNELIS
Au diable le Japon!
 
(avec entrain)

Viens, je veux m'enivrer de joie et de tendresse.
Je veux retrouver ma jeunesse!
Qu'on est heureux d'aimer et que le ciel est bon!
 
(bruit d'instruments au dehors)
Entends cette musique au loin! C'est la kermesse!
Allons danser, veux-tu?
 
LENA
 
(à part)

Je voudrais dire non!
 
KORNELIS
Viens! viens! n'écoute pas ta mauvaise pensée,
Ne retarde pas mon bonheur,
Léna, ma fiancée,
Ma seule idole, viens!
 
LENA
 
(après un mouvement d'hésitation)

Ah! je n'ai pas de coeur!
 
 
(Elle reste confuse devant Kornélis
qui l'attire dans ses bras.)

 
KORNELIS
Félicités promises
A nos âmes éprises,
Votre jour est venu!
L'amour chasse le doute
Et nous montre la route
Du paradis perdu!
L'aube en mon coeur se lève
Et dissipe le rêve
Qui l'avait égaré.
Réalité charmante,
Va, ne crains plus qu'il mente
A ce qu'il t'a juré! etc.
 
LENA
Félicités promises
A nos âmes éprises,
Votre jour est venu!
L'amour chasse le doute
Et nous montre la route
Du paradis perdu!
L'aube en son coeur se lève
Et dissipe le rêve
Qui l'avait égaré.
Réalité charmante
Je ne crains plus qu'il mente
A ce qu'il m'a juré! etc.
 

 




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