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Louis Gallet L'Attaque du Moulin IntraText CT - Lecture du Texte |
(Françoise s'est jeté dans les
bras de son père.
Dominique se place devant eux comme les protéger.
Brusquement, la porte s'ouvre.
Le Capitaine ennemi parait,
suivi de soldats, qu'il arrête sur le seuil.)
LE CAPITAINE ENNEMI
Quel est le maître ici?
MERLIER
(ferme)
Le maître,
C'est moi!
LE CAPITAINE ENNEMI
Vous ne cachez point de soldats?
LE CAPITAINE ENNEMI
Ceux qui vous défendaient se sont donc replies…
Par où sont-ils partis?
MERLIER
(avec un geste indifférent,
désignant vaguement deux points contraires.)
Par là!
Par là, peut-être…
(un peu narquois)
Il faut chercher, mon bon monsieur…
LE CAPITAINE ENNEMI
Allons, c'est bon!..
Nous camperons ici.
MERLIER
Soit! Si ca peut vous plaire.
LE CAPITAINE ENNEMI
Il nous faudra des vivres!
MERLIER
Je n'ai rien,
Mais, comme on dit, à la guerre comme à la guerre!
Et je ferai le nécessaire
Pour vous nourrir ainsi que vos soldats,
Si vous ne me bousculez pas!
(Merlier va pour sortir.
Mais l'attention da Capitaine s'est fixée
sir Françoise et sur Dominique.)
LE CAPITAINE ENNEMI
(montrant Françoise)
C'est votre fille?
LE CAPITAINE ENNEMI
Et ce jeune homme?
(Tout à coup, ayant regardé plus attentivement)
Les mains noires de poudre! Un fusil!
Eh! Comment
Se fait-il qu'il ne soit pas à son régiment?
DOMINIQUE
(simplement)
Je ne suis pas Français.
LE CAPITAINE ENNEMI
Pas français!
DOMINIQUE
On me nomme Dominique Penquer.
LE CAPITAINE ENNEMI
Et vous avez tiré?
Vous le reconnaissez!
LE CAPITAINE ENNEMI
Vous avez tiré!
C'est contraire
A toutes les lois de la guerre!
(aux soldats, restés à la porte)
Une sentinelle ici!
Une autre au bas de la fenêtre qui voici!
Vous serez fusillé!
FRANÇOISE
(terrifiée)
Mon père,
Entends-tu, fusillé!
MERLIER
(bas, à Françoise)
Laisse-moi faire.
(comme à lui même, mais haut,
regardant l'Officier)
On ne fusille pas un homme comme çà!
(bas, à Françoise)
Il faut sortir, d'abord.
(venant avec bonhomie
vers le Capitaine, impassible)
Dites moi, capitaine,
Ce matin, juste avant que le feu commençât,
Moi, j'avais terminé la moisson…
Dans la plaine,
Les blés mûrs sont couchés…
Voyez-vous la raison,
Parce que l'on se bat, de perdre la moisson?
Le bon pain du bon Dieu!
Nos femmes peuvent elles,
Je crains la pluie, aller relever les javelles?
(Silence de l'Officier)
(insistant)
Oui, n'est-ce pas?
LE CAPITAINE ENNEMI
(après réflexion)
Oui!.. comme il vous plaira!..
Mais nos vives avant une heure!
MERLIER
(rondement)
On y sera!
(bas, à Dominique)
Courage!
(bas, à Françoise)
Laissons les ensemble, et qu'ils s'expliquent!..
Viens, tout s'arrangera…
(Françoise veut se jeter
douloureusement
dans les bras de Dominique)
FRANÇOISE
(en sortant avec son père)
Mon pauvre Dominique!
LE CAPITAINE ENNEMI
(après un silence)
Allons, vous êtes étranger…
Donc…vous ne connaissez pas la forêt voisine?
DOMINIQUE
(vivement)
La Forêt par exemple!
A l'aise et sans danger,
Fermant les yeux, j'irais partout, sente ou ravine.
Jusqu'aux chemins perdus, tous me sont familiers.
(voyant que l'Officier l'écoute avec complaisance)
Mon père avait ici jadis de vastes coupes,
Et nous allions, enfants, par troupes,
Courir à travers les halliers.
(à lui-même)
L'heureux temps!.. la libre existence!
LE CAPITAINE ENNEMI
Ah! vous connaissez la forêt!
C'était, je pense,
Votre femme qui, là, tout à l'heure, pleurait?
(Les deux hommes se regardent
un instant silencieusement)
Le CAPITAINE ENNEMI
(avec intention)
A votre âge.
Quand on est plein de force et de courage,
Qu'on est joyeux, qu'on est aimé, qu'un cher espoir
Rit à votre jeunesse heureuse,
N'est-ce pas que la mort est une chose affreuse?
DOMINIQUE
(fermement)
J'ai fait selon mon cœur et selon mon devoir!
LE CAPITAINE ENNEMI
Et si je vous offrais de vivre encore!..
Si je vous faisais grâce…
Au prix…
D'un service?
LE CAPITAINE ENNEMI
Dès l'aurore,
Car, ce soir, il est trop tard, if faudrait,
Par les plus courts chemins de la forêt,
Nous conduire au plateau qui domine la plaine.
DOMINIQUE
(avec éclat)
Ça, jamais, capitaine!
LE CAPITAINE ENNEMI
Pourquoi?
DOMINIQUE
Je ne suis pas de ce pays,
Mais mon libre choix m'en a fait le fils.
Ici, celle que j'aime est née.
Ici, lorsque sa main me fut donnée,
De ce rêve accompli j'ai connu les douceurs.
Et, même pour sauver ma vie,
Ce serait la pire infamie
Que de trahir ces braves cœurs!
Non!
LE CAPITAINE ENNEMI
C'est bien réfléchi?
DOMINIQUE
Non!
LE CAPITAINE ENNEMI
Vous dites non?
DOMINIQUE
Mille
Et mille fois non!
LE CAPITAINE ENNEMI
(regardant avec un vague sentiment de pitié)
Et pourtant…
DOMINIQUE
(nettement, coupant court)
C'est inutile!
Ma vie est dans vos mains.
LE CAPITAINE ENNEMI
C'est bon.
Vous serez fusillé demain!
(Le Capitaine sort et enferme Dominique.)
(Dominique est allé lentement
vers une fenêtre
et il contemple la forêt.)
DOMINIQUE
Le jour tombe, la nuit va bercer les grands chênes.
Un large frisson passe et la forêt s'endort.
Elle exhale déjà sas lente et rude haleine.
L'odeur puissante fume au ciel de pourpre et d'or.
Adieu, forêt profonde, adieu, géante amie,
Forêt que posséda mon rêve de seize ans,
Quand j'allais, chaque soir, te surprendre, endormie,
Défaillant sous ton ombre et perdu dans les flancs.
Et si, demain, je suis fusillé dès l'aurore,
Que ce soit sous tes pins, tes frênes, tes ormeaux.
Je veux dormir en toi, je veux t'aimer encore,
Sous l'entrelacement pâmé de tes rameaux.
Et, si Françoise vient, à genoux sur tes mousses.
Pleurer, tu mêleras tes sanglots à ses pleurs.
Vox larmes, dans la nuit, me baigneront, très douces…
Adieu, Françoise!
Adieu, forêt! Chères douleurs!
(Françoise, descendant de
l'étage supérieur
par l'échelle de fer, apparaît parmi les lierres
et les rosiers qui garnissent la fenêtre.)
DOMINIQUE
Toi!
FRANÇOISE
(haletante)
Chut!.. Oui, de là-haut, sous le manteau de lierre
Et des rosiers, par l'échelle de fer,
J'ai pu furtivement descendre.
(Il veut parler, Elle l'arrête)
Attends!.. mon père
A vainement tenté tout ce qui s'est offert.
L'officier le rudoie et ne veut rien entendre…
Il n'est, pour ton salut, plus qu'un moyen à prendre:
Il faut fuir, mais dans se moment,
Quand la nuit tombera…
Je te dirai comment.
DOMINIQUE
(avec une tendresse ardente)
Ah! qu'importe, pourvu que nous soyons ensemble;
Que mon cœur batte sur ton cœur!
Heureuse est, malgré tout, l'heure qui nous rassemble,
Dans ce coin d'ombre et de douceur!
N'écoutons que nos voix, ne pensons qu'à nous mêmes!
Aime-moi… aime-moi toujours!
DOMINIQUE
Te le rappelles-tu?
Combien de fois, la nuit,
Sous la lune aux caresses douces,
Je mêlai ma chanson au bruit
Du flot qui court, là, dans les mousses!
FRANÇOISE
Moi, j'accourais à ta chanson,
Et, d'un grand air d'indifférence.
A la porte de la maison,
Je venais m'asseoir en silence.
Que tu me semblais fort et beau,
Si grand, là-bas, au bord de l'eau,
Que ton front touchait les étoiles!
DOMINIQUE
Du soir tombant qui t'entourait,
De loin je dégageais les voiles,
Pour emporter, sous les étoiles,
Ton image dans ma forêt!
FRANÇOISE
Oui, tu n'osais, fier et sauvage,
Croire que je t'accueillerais…
DOMINIQUE
Et qu'un jour, je contemplerais
Comme mon bien ton frais visage!
FRANÇOISE
Ah! que j'ai lutté pour t'avoir!
Mais tous à la fin m'ont suivie.
DOMINIQUE
Il m'avait suffi de te voir
Pour te donner toute ma vie!
FRANÇOISE & DOMINIQUE
Mon Dominique [Françoise], maintenant,
Puis la joie est dans notre âme,
Nous vivrons, ne nous souvenant
Que de l'heure où tu fus ma femme.
DOMINIQUE
Et le vieux moulin chantera
De gai travail et de tendresse.
FRANÇOISE & DOMINIQUE
Et notre amour y fleurira
Au soleil de notre jeunesse!
VOIX DES SOLDATS ENNEMIS
(au dehors)
A la soupe! Dépêchons-nous!
FRANÇOISE
(terrifiée)
Mon Dieu!
VOIX DES SOLDATS ENNEMIS
A la soupe! Dépêchons-nous!
FRANÇOISE
Quelle chûte profonde!
LA VOIX DE CAPITAINE ENNEMI
(se perdant peu à peu)
Changez les sentinelles!
Garde à vous!
FRANÇOISE
Nous avions oublié le monde!
DOMINIQUE
Ah! notre pauvre amour!
FRANÇOISE
Non! Je veux espérer!
DOMINIQUE
Nous étions fous.
Que le sort s'accomplisse!
Du péril où je suis, rein ne peut me tirer.
FRANÇOISE
Ecoute, l'instant est propice…
Dominique, if faut fuir.
Là, l'échelle de fer
Descend jusqu'au ruisseau.
Déjà, le ciel moins clair
Te favorise.
DOMINIQUE
Non! Si je vous abandonne,
Que deviendrez-vous tous?
FRANÇAISE
Mais, prisonnier, tu ne peux rien pour nous!
Et puis, ils te tueront, j'en suis sûre!
Ah! pardonne
Mes larmes, je ne vis plus que pour notre amour!
Si tu meurs, je meurs à mon tour…
Le moindre retard te serait funeste,
Et tu dois m'obéir, si tu m'aimes.
DOMINIQUE
Je reste!
Je veux vivre où tu vis, ou mourir!
FRANÇAISE
Toi sauvé.
Avant ce soir, je t'aurai retrouvé!
Tous deux, dans la forêt profonde,
Nous irons à travers les taillis frissonnants,
Nous aimer en paix, loin du monde,
Gardés pas tes amis, les chênes de cent ans!
DOMINIQUE
(vainent)
Eh bien… j'obéirai…
Mais… cette sentinelle.
Près du ruisseau… comment nous débarrasser d'elle?
LA VOIX DE LA SENTINELLE
(au dehors)
Mon cœur expire et moi j'existe,
Mon pauvre cœur est toujours fatigué,
LA VOIX DE LA SENTINELLE
L'amour qui part le laisse triste,
L'amour qui vient ne le rend pas plus gai,
Le joie est courte et le deuil est immense,
Je n'attends rien du douteux avenir.
DOMINIQUE
Ah! quel chant doux et navré!
LA VOIX DE LA SENTINELLE
Ah! que plutôt jamais rien ne commence,
Puisque, un jour tout doit forcément finir.
FRANÇOISE
(regardant)
La sentinelles est seule…
Nos femmes, là tout près, mettent les blés en meule…
Je vais les retrouver.
Dès que tu me verras,
Descends!…
Nous, alors, tandis que tu descendras,
Nous parlerons à ce soldat, pour le distraire.
FRANÇOISE
(prenant le couteau qu'elle a gardé et le lui donnant)
Eh bien, tiens! Tu le feras taire!
LA VOIX DE LA SENTINELLE
Mon cœur expire et moi j'existe,
Mon pauvre cœur est toujours fatigué,
(Françoise disparaît par la
fenêtre.
Dominique reste seul, le couteau à la main.)