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Louis Gallet L'Attaque du Moulin IntraText CT - Lecture du Texte |
Le moulin va du côté des près
et des champs.
Vieille bâtisse très pittoresque,
percée de fenêtres irrégulières,
couvertes de plantes grimpantes.
On voit la grande roue,
au repos dans l'eau claire de la Morelle.
Une planche est jetée en travers du ruisseau.
Il y a là, voisin de cette passerelle,
un grand saule près duquel sera,
au lever du rideau, la sentinelle ennemie,
debout, appuyée sur son fusil.)
UNE SENTINELLE INVISIBLE
(au loin, appelant du coté de la Morelle.)
Oh!
LA SENTINELLE EN SCÈNE
(lui répondant)
Oh!
UNE SENTINELLE INVISIBLE
(au loin, répondant du coté de la campagne)
Oh!
LA SENNTINELLE EN SCÈNE
Mon cœur expire et moi j'éxiste.
Mon pauvre cœur est toujours fatigué.
L'amour qui part le laisse triste,
L'amour qui vient ne le rend pas plus gai.
Le joie est courte et le deuil est immense.
Je n'attends rien du douteux avenir.
Ah! que plutôt jamais rien ne commence,
Puisque, un jour, tout doit forcément finir.
GENEVIEVE et LES JEUNES FILLES
(au fond)
Courage! Le travail avance!
Allons! Allons!
Tout est engerbé, tout lié!
C'est des chaumes sanglants que renaît l'espérance.
La terre encor nous a donné du blé!
(Marcelline est venue en
scène.
Elle contemple longuement la Sentinelle immobile.)
MARCELLINE
Là! Debout sous le saule,
Ce soldat ennemi!..
Qu'il est fier, jeune et beau!
A sa robuste épaule,
Son lourd fusil n'est qu'un léger roseau.
Il ressemble à mon Jean!
Et, comme lui, sans doute,
Il se bat bien et va, qui sait? Pauvre étranger,
Sans larmes je n'y puis songer,
Loin des siens tomber mort, sur quelque route,
Dans quelque coin.
Le triste sort, hélas!
(s'approchant)
Soldat, de quel pays êtes-vous?
LA SENTINELLE
(avec un grand geste mélancolique)
De là-bas!
De l'autre côté du grand fleuve!
MARCELLINE
Vous avez encor votre mère?
LA SENTINELLE
Oui, veuve,
Et très vieille, et très seule, au village
(avec un soupir)
Ah! c'est loin!
MARCELINE
(avec pitié)
La pauvre femme!
Dieu, si bon, en prenne soin!
LA SENTINELLE
Il est aussi, là-bas, une fille aux mains blanches,
Blonde, avec de grands yeux, bleus comme des pervenches,
Que j'aime bien, qui m'aime bien!
MARCELINE
(Elle s'approche, et il s'oublie
à la regarder, très intéressé)
Et, pouvez-vous me dire
Pourquoi vous vous battez?
LA SENTINELLE
Pourquoi?
En sait-on rien!
MARCELINE
Vous êtes venu pour tout tuer, tout détruire
Chez nous…
LA SENTINELLE
Je ne sais pas pourquoi je suis venu.
Je sais que je voudrais retourner vers ma mère,
Vers mon amie!
(Se reprenant tout à coup)
Eh! Mais, au large, arrière!
Vous me faites causer…
Arrière!
MARCELLINE
(á elle-même, le contemplant encore)
Ah! le cher inconnu.
Quelle joie il me donne et quelle peine amère!
C'est bien vrai qu'il ressemble à Jean.
Il a sa voix.
Mon pauvre fils! Je l'entends, je le vois!
Adieu, soldat, que Dieu te sauve de la guerre