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Théodore de Banville Les Cariatides IntraText CT - Lecture du Texte |
ô seigneur ! Que fais-tu des voix et des yeux d' ombre
La nuit silencieuse avec son aile sombre
a passé devant nous.
Hier, nous étions tous réunis, jeunes hommes
aux rêves palpitants,
gais, faisant rayonner sur la route où nous sommes
sages bohémiens aux colères frivoles,
et ne disant jamais que de bonnes paroles
d' espérance ou d' amour.
Et cependant, au lieu d' échanger sans mystère
nous avions tous le front incliné vers la terre
C' est que la terre, hélas ! Cet asile et ce havre
venait, hier encor, d' engloutir un cadavre
de ceux que nous aimons ;
c' est qu' il faut ici-bas que l' heureuse promesse
n' ait pas de lendemain,
et qu' il dort maintenant, l' ami plein de jeunesse
Il dort comme autrefois, mais c' est sous une pierre
que fouleront nos pas,
et la nuit l' enveloppe, et sa jeune paupière
ne se rouvrira pas !
Et quand les fleurs de mai fleuriront sous la glace
pour une autre saison,
sur la terre foulée et sur la même place
Alors tout sera dit. Parmi les rameaux d' arbre
les regards du passant verront à peine un marbre
Alors, sans y penser davantage, la foule
suivra docilement le ruisseau qui s' écoule
Mais nous qui savons tous combien son cher sourire
et qui dans son regard avons toujours vu luire
soit que la joie à flots verse dans nos poitrines
ou que l' ennui morose et les tristes ruines
nous dirons à la mort : pourquoi donc sous ton aile
de ceux qui nous prenaient une part fraternelle
Paul qui sentait jadis de chauds baisers de flamme
n' a pour le caresser à présent, corps sans âme,
Oh ! N' éprouve-t-il pas dans un terrible songe
quand l' insecte, caché dans son orbite, ronge
Et pensant à sa vie, à l' aurore si brève
qui sur son front a lui,
nous baisserons la tête, et comme dans un rêve
nous pleurerons sur lui.
Car il était de ceux pour qui la vie est douce
et sur qui cette mer
qu' un ouragan sur nous incessamment repousse,
Eh bien ! En regardant ceux qui vivent ou meurent,
Dieu sait ceux qu' il faut plaindre, ou bien ceux qui
ou ceux qui sont partis !
Car tandis qu' ici-bas des mains impérieuses
bâillonnent tous nos chants,
et qu' il nous faut lutter contre les voix rieuses
quand nous cueillons la fleur ou l' amante profane
et lorsque sur nos coeurs la fleur rose se fane
quand versant les trésors dont notre âme est si
nous marchons, à travers une sinistre plaine,
lui que nous croyons voir, ô folle rêverie !
goûte suavement sans que rien le varie,
Les bruits que font ici les hommes et les choses
ne parviennent là-bas qu' à travers mille roses,
Lui que nous croyons voir, ô folle rêverie !
Goûte suavement sans que rien le varie,
Les bruits que font ici les hommes et les choses
ne parviennent là-bas qu' à travers mille roses,
Et l' âme délivrée, auguste soeur des vierges,
être immatériel,
vole, blanche, à travers les draps noirs et les
Car ils avaient raison, ces sages aux longs jeûnes
disaient : tout est néant, et ceux qui meurent jeunes