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Théodore de Banville Les Cariatides IntraText CT - Lecture du Texte |
POEME I
c' est là qu' elle priait. Là, sur ces blanches dalles
où je foule à mes pieds des tombes féodales,
vaguement enivré de la pompe des soirs,
d' orgues, de chants divins, d' étoffes, d' encensoirs
et de beaux corps de femme à genoux sur la pierre,
je ne regardais qu' elle et sa blonde paupière,
et lorsqu' elle partit, maîtresse de mon coeur,
il me sembla d' abord que du milieu du choeur
un ange de sculpture aux formes immortelles
se levait, pâle et triste, en déployant ses ailes !
d' où vient-il, ce lointain frisson d' épithalame ?
Quels cieux ont déroulé leurs nappes de saphir ?
Quel espoir inconnu m' anime ? Quel zéphyr
a jeté dans ma vie errante un nom de femme ?
Quel oiseau près de moi chante sa folle gamme ?
Quel éblouissement s' enfuit, pour me ravir,
comme le corail rose ou la perle d' Ophir
que poursuit le plongeur bercé par une lame ?
En vain de ma pensée effarouchant l' essor,
je veux loin de vos yeux pleins d' étincelles d' or
l' entraîner, sur vos pas la rêveuse s' envole,
et, pour que mon tourment renaisse, ardent phénix,
j' emporte dans mon coeur votre chère parole,
comme un parfum subtil dans un vase d' onyx.
Et je sais bien,
que ce n' est rien !
qui sur les champs
ou l' onde triomphale
d' où le soleil
ou les roseaux,
à ses accords,
à vous, ô charmeresse
je donnerais
mes chants, mes bruits sans nombre
et mon parfum,
et tout ce qui vous fête
comme une soeur.
Mais je suis un poëte
à tous les bruits,
tout azuré,
Donc, je vous ai servie,
de vous donner ma vie,
dans un rayon
illusion ;
de vos clartés,
quand vous partez ;
et tout ce que je souffre
si loin du jour,
empli d' amour !
ô ma jeune esclave, ô ma reine,
Pourquoi, mon bel ange sans aile,
pourquoi donc êtes-vous si belle
avec vos longs cheveux tressés ?
Oh ! Quand dans nos lointaines courses,
sous l' abri des feuillages verts
nous allons cueillir près des sources
des pâquerettes et des vers,
pourquoi le ciel bleu sur nos têtes
et pourquoi la campagne en fêtes
rit-elle au souffle du zéphyr ?
Pourquoi dans la petite chambre,
lorsque tout bruit lointain se fond,
l' air est-il comme imprégné d' ambre,
l' eau pure, le divan profond ?
Enfant, sais-tu quelle puissance
et quels mots, de leur ciel immense,
nous disent la nature et l' art ?
à vous mes ruisseaux et mes prés,
à vous mon ciel bleu sur vos têtes,
L' art nous dit : à vous mes richesses,
mes bijoux faits pour les duchesses,
mes cratères aux flancs sculptés !
à vous mes splendides trophées,
mes Glucks, mes Mozarts, mes Orphées,
Eh bien ! Oui, l' art et la nature
ont dit vrai tous les deux. à nous
la source murmurante et pure
qui me voit baiser tes genoux !
à nous tout l' azur du blason,
à nous les coupes glorieuses
où l' on sent mourir la raison ;
à nous les horizons sans voiles,
à nous l' éclat bruyant du jour,
à nous les nuits pleines d' étoiles,
à nous les nuits pleines d' amour !
à nous le zéphyr dans la plaine,
et tout ce dont la vie est pleine.
Et les cieux, puisque nous aimons !
POÈME V
et sur les monts et dans la plaine
il féconde tout à la fois.
s' échappent fleuris de ses doigts,
tout s' enivre à sa coupe pleine
et chacun tressaille à sa voix.
qui se retire et fuit, tremblante,
Or, je sais des âmes plaintives
qui sont comme les sensitives
et que le bonheur fait mourir.
et quand vous priez à l' église,
jusqu' à la maison du bon Dieu.
Votre corps charmant qui se ploie
est comme un cantique de joie,
et, frémissant d' amour, envoie
son parfum de femme au saint lieu.
bien des gracieuses images,
bien des ornements d' or, ouvrages
d' un grand mosaïste inconnu ;
et fier de vous faire une chaîne,
votre chapelet noir qui traîne
aux blancheurs de votre bras nu.
Comme un troupeau leste et vorace,
on voit s' élancer sur la trace
mille amants, le coeur aux abois ;
derrière vous marche la foule,
mugissante comme la houle,
et dont le chuchotement roule
à travers les détours du bois.
Vous avez de tremblantes gazes,
à replonger dans leurs extases
et des cercles de blonds Clitandres
dont le coeur brûlant sous les cendres
vous redit en fadaises tendres
des souffrances dont vous riez.
Vous avez de blondes servantes
aux larges prunelles ardentes,
pour essuyer vos blanches mains ;
vous portez les bonheurs en gerbe,
mille fleurs s' éveillent dans l' herbe
n' a jamais connu d' autre fête
que l' azur et le lys en fleur.
Je n' ai pour trésor que ma plume
et ce coeur broyé, qui s' allume,
comme le fer rouge à l' enclume,
sous le lourd marteau du malheur.
Mon âme était comme cette onde
pleine d' amertume, qui gronde
en son délire, et dont la sonde
n' a jamais pu trouver le fond ;
comme ce flot qu' un sable aride
et qui cherche à combler le vide
Et pourtant vous, type suprême,
vous m' avez dit tout haut : je t' aime
vous m' avez couché morne et blême
dans le doux vin pour qui l' orfèvre
vous m' avez fait des nuits d' ivresse
où le plaisir, sous la caresse,
se fait bacchante et courtisane
et grince des dents, et vous mord !
Puis vous m' avez dit à l' oreille
quelque étincelante merveille
dont la mélancolie éveille
les fibres de l' être endormi ;
vous aviez la pudeur craintive
qui renferme son coeur, plaintive
Et le doute railleur m' assiège
lorsque, pris dans un divin piège,
mon cou plus pâle que la neige
est par vos bras blancs enlacé.
J' ai peur que le riant mensonge
du lac d' azur où je me plonge
ne soit l' illusion d' un songe
pour que votre belle âme reste
Parlez-moi, pour que je devine
de quel feu bout votre poitrine,
vous met pantelante à mes pieds ?
Avez-vous surpris chez les anges
le secret des strophes étranges
qu' ils murmurent, quand leurs phalanges
s' envolent dans les airs subtils ?
avec un réseau de longs cils ?
de quel astre et de quelle aurore
venez-vous, radieuse encore ?
Je ne sais ; en vain, ce trompeur,
l' espoir, me caresse et me blâme ;
je ne sais quel souffle en votre âme
ô jeune déesse, et j' ai peur.
le soleil souriait à la jeune nature,
l' hiver avait séché ses pleurs,
et la brise entr' ouvrait de son haleine pure
Le saule aux rameaux verts penchait sa rêverie
sur les flots au reflet doré ;
le ruisseau murmurant dans la verte prairie
Or, nous étions tous deux sous les tremblantes roses
qu' épanouissait le printemps,
si que sans y penser nos amours sont écloses,
comme elles, presque en même temps.
Le rossignol disait sa plainte enchanteresse,
nous disions des serments jaloux ;
et tout en nous était joie, extase, tendresse...
hélas ! Vous le rappelez-vous ?
L' arbre pensif s' incline encor, l' insecte rôde,
le vent a son parfum, l' herbe son émeraude ;
notre amour est un souvenir !