I
Bernard-Marie-Jules, comte de
Rességuier, naquit à Toulouse, le 28 janvier 1788, de Louise-Elisabeth-Emmanuel
de Rességuier, marquis de Miremont, et d'Anne-Angélique Louise de Chastenet de
Puységur. Originaires du Rouergue 1, province comprise dans
l'ancienne Guyenne, de vieille et noble race, à la fois de robe et d'épée, les
Rességuier donnèrent au Parlement de Toulouse un président et son dernier
procureur général, à l'ordre de Malte, ce bailli de Rességuier qui, non moins
brave la plume que l'épée à la main, fut emprisonné à Pierre-Encise pour des
vers contre Mme de Pompadour :
Fille
d'une sangsue et sangsue elle-même,
Poisson dans son palais, sans remords, sans effroi,
Etale aux yeux de tous son insolence extrême,
La dépouille du peuple et la honte du roi.
La famille aimait d'ailleurs les
lettres et les cultivait. Le président de Rességuier, grand-père de notre
poète, mort en 1735, à cinquante-deux ans, avait eu pour maître le P. Vanière -
qui a célébré en vers latins le château de Secourieu, où il passait les
vacances avec son élève -, fondé l'Académie des Sciences de Toulouse, composé
quelques poésies, et laissé en manuscrit une Histoire du Parlement de Toulouse.
Par sa mère, née le 30 octobre 1746, il descendait, au troisième degré, du
maréchal de Puységur, le célèbre écrivain militaire mort en 1743 2.
Le marquis de Miremont avait
vingt-quatre ans lorsque, en 1779, il prit possession des grandes fonctions
d'avocat général au Parlement de Toulouse ; il les remplit avec zèle et talent,
et y avait acquis assez de réputation pour qu'en 1788, l'année même où il
venait de les quitter pour celles de procureur général, il fut appelé à cette
Assemblée des Notables qui prépara et réclama la convocation des
Etats-Généraux. M. de Miremont était loin cependant d'être un révolutionnaire.
Il le montra bien, lorsque le 27 septembre 1790, à Toulouse, il s'opposa, comme
procureur général, à la transcription sur les registres de la Cour du décret du
6 septembre qui réorganisait l'ordre judiciaire, c'est-à-dire qui supprimait
les Parlements. On était alors à l'époque des vacances, et c'est devant la
chambre des vacations que M. Miremont prit la parole ; décrété aussitôt
d'accusation, malgré Cazalès qui, à l'Assemblée Nationale, éleva la voix pour
le défendre, il n'échappa à la captivité et à la mort que par la fuite.
Beaucoup de ses collègues furent moins heureux. A trois reprises différentes,
la guillotine, à Paris, se dressa pour eux. L'arrêt avait été rendu dans le
sens de ses conclusions. Les signataires, c'est-à-dire les membres de la
Chambre des vacations, étaient : les présidents Daspe et de Maniban, les
conseillers lais de Bardy, Durigue, Cuesac, Montégut, Firmy, Lafont-Rouïs, de
Ségla, d'Escalonne, de Rigaud ; les conseillers clercs de Cambon et de Rey ; et
le procureur général Rességuier.
Le 1er floréal an II (20 avril
1794) six magistrats de Toulouse, les conseillers de Segla, de Montégut père,
de Balsa de Firmy, de Cuesac, Lafont-Rouïs, et de Rigaud périrent sur
l'échafaud, à Paris, le même jour que le président de Rosambo, et treize de ses
collègues du Parlement de Paris. Le 14 juin 1794, furent encore exécutés à
Paris 26 magistrats toulousains : le premier président Sajot du Pujet, les
présidents d'Aigueville et Marquier de Fajac ; les conseillers de Senaux,
Combette-Caumont, Gaillard, de Reibonnet, Lacaze, Poulhariès père et fils, de
Marsac, Cassaigne, de Cazes, de Labroue, de Larroquau, de Blanc, Dubourg,
d'Aguin, Molineri de Murols, Miegeville, Savy de Gardeil, Rochefort, Buisson
d'Aussonne, Bonhomme-Dupin, D'Héliot de Monségut fils, âgé de 26 ans seulement.
Enfin, le 6 juillet suivant, fut complétée l'hécatombe révolutionnaire des
magistrats de Toulouse, par l'exécution (toujours à Paris), de vingt et une
victimes : le président Daspe et les conseillers de Rey, Bardy, Lespinasse,
Blanquet de Rouville, Combette-Labourely, Jugonous, de Poutcharramet,
Guiringaud, de Carbon, Lespinasse fils, Dusagnel de Lasbordes, de Valhausy, de
Belloc, Lassus-Nestier, de Lamothe, Guillermain, de Mourlous, Tournier-Vailhac,
Barrès, et le substitut Perrey 3.
Bien qu'il fut alors âgé de six
ans à peine, Jules de Rességuier connut, non pas comme son père les douleurs de
l'exil, mais les horreurs de la captivité. Emprisonné à Toulouse avec sa
grand-mère, la présidente de Rességuier, qui sait s'il n'aurait pas eu à
répondre du titre de chevalier de Malte de minorité, qu'il portait alors, si la
révolution du 9 thermidor ne fut venue mettre fin au régime de la Terreur ? Son
père, après s'être réfugié d'abord à Vittoria, en Espagne, était rentré
secrètement en France, et c'est à Paris qu'il avait vécu caché, pendant que ses
anciens collègues montaient sur l'échafaud. Il ne put obtenir sa radiation de
la liste des Emigrés qu'après le 18 brumaire. Il travaillait à obtenir la même
grâce pour sa f'emme, réfugiée en Allemagne, lorsqu'il mourut subitement à
l'âge de quarante-six. Mme de Rességuier, minée par une maladie de poitrine,
suite de ses malheurs, ne rentra en France que pour apprendre la double mort de
son mari et de sa belle-mère, qui avait suivi à quelques jours d'intervalle son
fils dans la tombe, et mourir bientôt elle-même. Jules de Rességuier, âgé de
douze ans, et son frère, Fernand, restaient orphelins, sous la tutelle du
vicomte de Puységur, leur grand-père, qui survécut peu de temps à tant
d'infortunes.
On comprend quelle ombre ces
événements jetèrent sur les premières années du jeune Rességuier, et quels
souvenirs pénibles il en dut conserver. Pour être le légitimiste qu'il demeura
toute sa vie, il eut cette grande raison : l'amour profond qu'on garde aux
causes pour lesquelles, soi et les siens, on a souffert. La nature lui fut plus
douce que les hommes. Ce fut du spectacle grandiose et enchanteur de la chaîne
des Pyrénées que lui vinrent ses premières consolations.
Les Rességuier possédaient, de
longue date, une sorte de castel rustique à Sauveterre 4, dans
une situation admirable, d'où l'oeil découvre à la fois la plaine de Béarn et
les hautes montagnes qui la limitent au Midi.
Voulez-vous connaître ce petit
pays de Sauveterre, où s'élève, dans un pli des premiers contreforts des
Pyrénées, la demeure ancestrale des Rességuier, écoutez le poète lui-même.
Arrêtez vos pas en voyant,
A droite, un pays verdoyant,
Sur la grande route d'Espagne.
Ce point vert, c'est notre coteau,
Avec ses routes inclinées,
Ses prés, ses bois, ses fleurs, son eau.
Un ravissant petit anneau
De la chaîne des Pyrénées.
Ce point blanc, c'est notre maison,
Moitié château, moitié chaumière 5.
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C'est là que s'étaient écoulées
les années d'enfance du poète, là qu'il éprouva ces premières impressions qui
font si souvent les poètes. C'est là qu'il revint après la terrible tempête qui
avait emporté les siens, et le laissait presque seul avec ses souvenirs.
La vieille demeure existait
encore dans toute son intégrité féodale, lorsque le jeune Rességuier, en 1800,
l'hérita de son père ; mais il fallut plus tard, vers 1820, l'abandonner, car
elle fléchissait sous le poids des années, et en construire une autre dans le
voisinage : logis simple, coquet, et non moins pittoresque.
Jules de Rességuier s'est complu
à peindre, à chanter cette demeure, où le bonheur, aussi durable qu'il
appartient aux choses humaines, semble avoir habité :
Et ailleurs encore, peignant l'admirable
panorama qu'on découvre de ses fenêtres :
Dans un vaste bassin large de trente lieues,
Sous la lumière blanche et sous les vapeurs bleues,
Une vigne embrassant d'un amoureux lien
Le corps de ma maison au toit italien ;
Son front dans les brouillards, ses pieds dans la ramée ;
Sur sa tête, les flots d'une brune fumée...
Nous avons plus qu'ailleurs, ici, de grandes choses :
A la fois du soleil, de la neige et des roses ;
Une église voisine, un autel décoré
De l'image d'un saint fait en bois tout doré ;
Sous la voûte modeste un encens dont l'arôme
Emplirait de parfums tout Saint-Pierre et son dôme ;
Un pasteur, entonnant sans orgue et sans bourdon,
L'hymne qui fait sur nous descendre le pardon 8.
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L'ordre de Malte avait été
emporté par la Révolution, Jules ne renonça pas pour cela à la carrière
militaire. Il changea d'arme seulement. Entré à l'école de Fontainebleau, qui
était notre école militaire, il en sortit officier de cavalerie, en 1805. On ne
s'endormait pas alors dans les garnisons. Il ne quitta l'école que pour faire
campagne, en Espagne, puis en Pologne. Il a rappelé ces souvenirs d'école et de
guerre dans d'agréables vers adressés à un ancien camarade, qui lui avait
envoyé les siens.
Vous me demandez donc si, l'arme sur l'épaule,
C'est moi qui de l'Europe apprenait le chemin,
Qui sanglait mon cheval pour aller jusqu'au pôle,
Et qui maintenant rêve une plume à la main ?
Oui, je suis bien celui qu'on dressait à la guerre,
Puis qui d'un art plus doux en vain chercha le prix ;
Qui, dans Fontainebleau, jadis ne lisait guère,
Et que l'on lit fort peu, je suppose, à Paris 9.
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Jules de Rességuier fit bravement
son métier de soldat ; mais sans cette passion qui possède tout l'homme, et
quand, en 1811, la santé ruinée par les fatigues de la guerre, il donna sa
démission et quitta l'armée, à vingt-six ans, ce ne sont pas les souvenirs des
grandes guerres de l'Empire qui l'inspirèrent : une seule fois, dans la pièce
que nous venons de citer, il rappelle ce passé. Ce cavalier qui avait sabré sur
les champs de bataille de l'Espagne et de la Pologne, était un sentimental.
L'inspiration poétique jaillit de son coeur avec ses larmes. Dans ses
tristesses, ce fut la Muse qui le consola, mais une Muse chaste et pure, celle
qui lui apparut comme la vierge des premières amours.
En ces fraîches années, il semble
avoir été malheureux par l'amour, et dans ses vers il en détourne plutôt les
jeunes coeurs qu'il ne les y convie. Ainsi dans sa pièce la Jeunesse,
adressée à une femme :
Et encore, dans les vers de l'Adolescence,
on l'on retrouve les mêmes conseils de défiance contre l'amour.
La Restauration répondait aux
traditions de famille, aux sentiments de Jules de Rességuier : il l'accueillit
donc avec faveur. Il ne reprit pas pourtant du service dans l'armée. Un an
après l'avènement du ministre Villèle (1821), il entra au Conseil d'Etat comme
maître des requêtes en service extraordinaire, sous les auspices de M. de
Peyronnet, avec lequel il s'était lié pendant une saison aux eaux de Barèges.
Il était, en effet, surtout un homme du monde, et cette carrière devait lui
plaire plus que la vie de caserne, dont, un peu plus tard, son ami Vigny se
dégoûta si profondément. Pour en finir tout de suite avec ce côté de
l'existence de Jules de Rességuier, disons qu'en 1823, il fut nommé membre de
la commission du sceau des titres 12, et puis décoré. Il aurait
fait sans doute une brillante carrière au Conseil d'Etat sans la Révolution de
Juillet, à la suite de laquelle il donna sa démission. En 1811, après sa sortie
de l'armée et son retour au pays natal, il avait épousé Charlotte-Pauline de
Mac-Mahon, fille, croyons-nous, du marquis de Mac-Mahon, pair sous la
Restauration. Ce mariage dont, en 1861, il célébrera les noces d'or, fit le
bonheur de sa vie.
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