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Eugène Asse
Jules de Rességuier

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II

Ce poète, qui devait être le poète des élégances, des sensations mondaines, resta, si nous laissons de côté ses années et ses aventures de soldat, confiné dans sa province toulousaine jusqu'à sa trente-quatrième année. Avant le mois d'octobre 1823, époque à laquelle sa nomination au Conseil d'Etat l'obligea de résider à Paris, on ne voit pas qu'il y ait fait de séjours très prolongés, sauf peut-être en 1811, où il fréquenta le salon de Mme de Rémusat. Son nom parut d'abord dans les concours littéraires de sa ville natale, la cité de Clémence Isaure ; dans les recueils de l'Académie des Jeux-Floraux dont il faisait partie depuis 1816, et dont il devint un des quarante Mainteneurs, ce qui est le titre suprême. Mais les noms des vainqueurs de l'amarante, de la violette, du souci ou du lis, n'étaient pas seulement célèbres à Toulouse, ils retentissaient au loin, surtout alors, et Paris les applaudissait. L'émulation poétique se changeait aussi très souvent en une fervente amitié : et ces frères d'armes se faisaient volontiers les mutuels propagateurs de leur jeune renommée. Aussi Jules de Rességuier était-il déjà connu à Paris, bien avant qu'il ne vint s'y établir. Ce n'est certes pas un éloge en prose de Poitevin-Peitavi, secrétaire perpétuel de l'Académie, (Toulouse 1821, in-8°), qui y contribua ; mais en 1819, Victor Hugo avait envoyé au concours des Jeux-Floraux, deux pièces de vers, les Vierges de Verdun et le Rétablissement de la statue de Henri IV ; l'année suivante, Moïse sur le Nil, qui avaient obtenu, les deux premières une amarante réservée et un lis d'or, la troisième une autre amarante réservée avec le titre de maître ès-Jeux-Floraux pour l'auteur. Une correspondance très amicale s'était établie entre le jeune poète et Jules de Rességuier, alors son juge... académique. D'un autre côté, Alexandre Soumet et Alexandre Guiraud, tous deux compatriotes de Rességuier, tous deux lauréats de l'Académie de Clémence Isaure, étaient déjà en rapport d'amitié avec lui ainsi qu'avec Victor Hugo, que Soumet, depuis longtemps fixé à Paris, et Alexandre Guiraud, venu en 1820 présenter à la Comédie-Française une tragédie de Pélage, avaient rencontré aux soirées littéraires d'Emile Deschamps, rue du Faubourg Saint-Honoré. Les amis de l'un devinrent bien vite les amis de l'autre. Dans la correspondance qui s'établit entre Jules de Rességuier, ces noms reviennent souvent sous la plume de Victor Hugo, ainsi que les divers incidents de ces tournois poétiques.

Alexandre Soumet, dans un voyage qu'il fit à Paris au commencement de 1820, écrivait à Rességuier une lettre qui montre sur quel pied d'amitié était déjà celui-ci avec le groupe de poètes formé autour du jeune Victor Hugo.

«Vous faites partie de notre cercle poétique. L'éloge de Clémence Isaure a révélé partout le troubadour, et vous avez gardé pour vous plus d'une fleur de sa corbeille. J'ai entendu des vers ravissants d'une jeune homme nommé Alfred de Vigny. C'est une élégie intitulée le Somnambule et inspiré par la muse d'André Chénier. Je la demanderai pour vous afin que mes admirations soient aussi les vôtres... Le jeune Hugo vous adresse mille expressions de sa reconnaissance. Je lui ai promis de vous les faire parvenir... Votre château s'élève-t-il toujours aussi rapidement ? comme vous y serez bien !... Ne faites pas le voyage d'Italie, n'allez pas aux rives lointaines, restez sous vos orangers, et renfermez, comme Horace, de longues espérances dans un cercle étroit... Si vous pouvez m'envoyer une lettre de recommandation de M. de Villèle pour M. de Serre, ministre de la justice, vous me ferez plaisir. Je chercherai, peut-être, à rentrer au Conseil d'Etat... Guiraud est de moitié dans tous mes souvenirs.» 13.

Soumet et Guiraud, nés tous deux en 1788, l'avaient précédé à Paris comme dans la renommée : il ne devait pas tarder à les rejoindre ; mais en cette année 1820 nous voyons par cette lettre que c'était encore Clémence Isaure et ses concours poétiques qui l'occupaient ; beaucoup aussi la reconstruction de ce château paternel de Sauveterre dont nous avons parlé. Très lié avec M. de Villèle, son compatriote, qui à la fin même de cette année fut nommé ministre sans portefeuille, il ne songeait pas encore à entrer au Conseil d'Etat, mais bien plutôt à quelque voyage poétique en Italie, dont tous les conseils, renouvelés du bon La Fontaine, du sage Soumet, ne purent le détourner, comme le prouvent les vers que nous verrons bientôt l'Italie lui inspirer.

Parmi les nombreuses lettres, que de 1818 à 1823 lui écrivit Victor Hugo, et que M. Edmond Biré a eues entre les mains, la première est datée de 1821 ; d'autres lui furent sans doute adressées antérieurement, mais rien n'en a encore été publié. Le 21 mars il lui écrivait, à l'occasion de son ode sur Quiberon, qu'il avait adressée à l'Académie des Jeux-Floraux, comme un hommage, puisque le titre de maître ès-art, qu'il venait de recevoir d'elle, lui fermait désormais les concours :

«Je serai éternellement reconnaissant à l'Académie de son indulgence. J'ai tâché de lui prouver, en lui faisant, pour l'une de ses séances publiques, une ode sur Quiberon que j'aurai incessamment l'honneur d'envoyer à cet excellent M. Pinaud 14, qui aura aussi toujours une bien grande place dans mon affection.»

L'intimité était devenue entre eux assez grande pour que Victor Hugo ne se fit pas faute de solliciter le patronage de Rességuier en faveur de ses jeunes amis qui ambitionnaient les honneurs de l'Académie Toulousaine : Alfred de Vigny en tête, Saint-Valry, Gaspard de Pons, dont les noms apparaîtront si souvent dans la Muse Française et les Annales Romantiques ; Joseph Rocher à qui Lamartine, son ami, a dédié sa belle ode l'Ethousiasme, et que la magistrature disputa trop tôt à la poésie ; F. Durangel, ce Protée qui, sous les multiples pseudonymes où il s'est plu à dérouter la renommée, - Durand, Durand de Vrandaulmon, Holmondurand, Madurange, - est devenu comme insaisissable, etc. Relevons dans cette correspondance les passages qui les concernent, comme un témoignage de ces amitiés d'alors, auxquelles Rességuier, qui les avait adoptées, resta plus fidèle que Victor Hugo :

1821, 21 mars. - «Vous êtes sans doute en ce moment occupé du concours ; permettez à un vieux combattant réformé de vous recommander des athlètes en présence desquels il n'aurait sans doute pas vaincu. J'appellerai votre attention sur l'élégie de Symétha, d'un jeune poète dont Soumet vous a sans doute parlé, de notre ami Alfred de Vigny ; sur celle du Convoi de l'émigré, par M. Saint-Valry, sur l'ode relative aux Troubles actuels de l'Europe, par Rocher, sur le poëme de la Naissance de Henri IV, et sur le discours relatif aux genres romantique et classique de M. Gaspard de Pons. Je ne veux ni ne dois vous donner mon avis sur chacun de ces ouvrages en particulier ; je me contenterai de vous dire que leurs différents auteurs ont, selon moi, des talents fort inégaux.

1821, 17 avril. - «Une douloureuse nouvelle en forçant M. Rocher de quitter la capitale et de retourner dans le sein de sa famille, m'a empêché de vous écrire plus tôt, pour vous marquer sa réponse et vous remercier de votre charmante lettre, mais beaucoup trop flatteuse, J'ai été, s'il faut l'avouer, surpris de la sévérité de l'Académie qui m'avait donné tant de preuves d'indulgence. Je croyais que M. Rocher obtiendrait un prix. Pour lui, avec toute la modestie du talent, il s'est montré satisfait de la décision.» 15.

1822, 17 janvier. - «J'enverrai peut-être cette année à l'Académie une ode sur le Dévouement dans la Peste. Au moins ne renfermera-t-elle aucun sentiment politique... Me permettez-vous de vous adresser quelques poètes qui désirent concourir aux Jeux-Floraux et n'ont pas de correspondant ? Un bien jeune homme, M. F. Durand, auteur du Jeune poète mourant, et envers qui l'Académie a au moins beaucoup de sévérité à réparer, m'a fait parvenir une ode pleine de talent, le Détachement de la terre, qui, après quelques corrections, sera, selon moi, très digne d'une couronne».

1822, 25 février. - «Mon cher et bien aimable ami, je m'empresse de répondre à vos lettres, parce que je ne dois pas recevoir de vous d'aussi grand plaisir sans qu'un peu de la reconnaissance que j'en éprouve ne vienne jusqu'à vous. Et puis, du moment où vous voulez bien attacher quelque attention à mon estime pour le talent plein d'espérance de Durand, je ne dois pas oublier que le concours est ouvert et qu'une voix amie peut quelquefois contribuer un peu, du milieu de la foule, au triomphe d'un athlète... L'Institut, livré aux médiocrités, laisse entière à l'Académie des Jeux-Floraux, la noble tâche d'encourager les jeunes talents comme le sien... 16 Permettez-moi de vous reparler maintenant du plaisir que m'ont fait vos lettres, à la lecture desquelles je reviendrai souvent je vous assure, toutes les fois que je sentirai le besoin d'entendre une voix de consolation et d'amitié. J'ai peine à croire, comme vous, que nous ne nous soyons jamais vus ; deux amis se parlent de loin. D'ailleurs, on peut aimer un ami comme on aime les choses du ciel qu'on adore et que nos yeux ne connaissent pas... Je suis confus de vos éloges que je ne mérite pas et bien heureux de votre amitié que je mérite, si l'amitié paye l'amitié... Je vous enverrai une ode quand vous voudrez ; mais de grâce, accablez-nous de vers, de prose, de commissions. Je vous aime comme j'aime Soumet, comme Soumet vous aime».

1822, 3 avril. - Maintenant elle vous appartient (l'ode du Dévouement) ; donnez-lui le titre qu'il vous plaira. Je l'ai intitulée Barcelone afin de la rattacher aux événements récents, quoique le sujet soit réellement le type moral, et par conséquent lyrique, le Dévouement dans la Peste... J'apprends avec une joie extrême que Durand est couronné. Il me tarde de voir son ode telle qu'il l'a corrigée. Je lui en veux un peu de ne m'en avoir pas reparlé ; mais je lui pardonne tout, puisqu'il triomphe. Un autre ouvrage de M. Saint-Valry a été également couronné. Le poète est de ma connaissance, et son succès m'a fait grand plaisir».

1822, 19 avril. - Je suis heureux de l'indulgence avec laquelle vous avez jugé mes odes ; elle vient de votre amitié ; mais je suis confus de l'embarras que vous donne le Dévouement dans la Peste. Vous êtes bien aimable, bien bon, mais aussi bien sincèrement et bien tendrement aimé, de moi du moins, parmi bien d'autres. Je suis enchanté que vous ayez bien voulu être le parrain de cette ode. Je l'aime mieux depuis que vous lui avez donné un titre de votre choix. Pourquoi, mon ami, n'avez-vous touché qu'au titre ?»

Le concours de l'Académie des Jeux-Floraux de 1821, a trouvé un historien et un critique dans un écrivain auquel on ne s'attendrait pas. Ce fut Victor Hugo lui-même, qui en rendit compte dans les Annales de la Littérature et des Arts, où son article est signé VICTOR M. HUGO. Il y parle d'abord des pièces de vers : le Poète, du chevalier de Fourcy, ode «qui prouve beaucoup de talent dans son auteur» ; le Jeune poète mourant, de M. F. Holmon-Durand (Durangel), dont il dit : «ces strophes si vraies, si touchantes, viennent de l'âme ; il suffit de ce peu de vers pour donner une très haute idée du talent de M. Durand» ; l'Epitre aux Muses, de M. Châtillon, qui remporta le prix, et «prouve à la fois un talent flexible et des sentiments français» ; l'Epître à un poète, de Charles de Saint-Maurice ; l'Immortalité de l'âme, de Joseph Rocher, «qui, nous jette dans l'embarras des citations», et, ajoute-t-il, «nous regrettons, pour le lecteur, pour l'auteur et pour notre propre satisfaction, de ne pouvoir extraire que peu de fragments d'un ouvrage où chaque vers porte l'empreinte d'un talent élevé et religieux ; poëme, enfin, qui, brillant d'images et d'harmonie, promet aux lettres un homme religieux, et à la religion un poète». Il aborde ensuite les pièces dues aux académiciens eux-mêmes, MM. Carré, d'Aguilar, Mgr de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse, Lamothe-Langon, et de Rességuier ; de son ode, Quiberon, parue dans le même recueil, il se taît naturellement, sauf pour relever une faute typographique : »Amis, on va vous rendre enfin une patrie», au lieu de Bannis. Quant à Jules de Rességuier qui y figurait pour son éloge de M. Poitevin-Peidavi, l'ancien secrétaire perpétuel de l'Académie, et pour deux poëmes, Glorvina, dont nous aurons bientôt à parler, et la Mort d'une Fille de village, voici ce que l'auteur des Odes et Ballades en dit :

«Son discours, écrit avec une élégance soutenue et une pureté rare, est toujours intéressant et souvent éloquent. Le passage où il raconte la mort de M. Poitevin est d'une grande beauté... La Mort d'une Fille de village est également remplie de charme et d'harmonie... Les vers où le poète peint le désespoir du jeune fiancé, touchent vivement. L'élégie charmante de M. de Rességuier, que les Annales ont dernièrement publiée, suffisait pour donner aux lecteurs une idée de ses jolis vers. Nous avons voulu leur faire connaître son excellente prose ; car M. le comte de Rességuier n'est pas comme beaucoup de poètes de ce temps, dont on connaît la prose quand on a lu les vers.» 17.

Jules de Rességuier admirait très sincèrement Victor Hugo. En même temps qu'il se chargeait de présenter à l'Académie des Jeux-Floreaux ses deux odes Quiberon et le Dévouement, et qu'il simplifiait heureusement le titre de cette dernière en lui donnant celui qu'elle a gardé définitivement dans les Oeuvres complètes du poète, il le célébrait aussi en vers dans une de ces séances du Capitole dont on parlait plus qu'aujourd'hui. En effet, dans l'Ode à Clémence Isaure, qu'il récita publiquement, le 23 mai 1822, devant l'Académie des Jeux-Floraux, se trouve cette strophe :

    Il vient ce jeune Hugo s'essayer à combattre
        Sous ton poétique drapeau.
    Il couvre d'un laurier la tombe d'Henri Quatre
        Non loin de son royal berceau.

Victor Hugo l'en remercia ainsi :

1822, 26 mai. - «J'étais à la campagne, mon cher Jules, quand votre aimable lettre et votre ode charmante sont arrivées chez moi. J'ai lu avec un vif sentiment de plaisir et de reconnaissance cette petite pièce remplie de grâce et de douceur, dans laquelle je n'ai trouvé qu'une stance, ou pour mieux dire qu'un mot de trop. Cette stance cependant m'est bien précieuse, parce qu'elle m'a prouvé que mon souvenir était quelquefois près de vous, même au sein de l'inspiration poétique».

Dans le ton de cette lettre on a remarqué quelque chose de plus tendre : c'est que la douleur, qui rapproche si souvent les coeurs et resserre les amitiés, venait d'éprouver cruellement le poète des Odes et Ballades : le 27 juin 1821, il avait perdu sa mère, et, il sentait déjà Jules de Rességuier assez ami, pour lui écrire, en juillet, ces lignes touchantes :

»Les journaux vous ont peut-être appris mon affreux malheur. J'ai perdu ma mère. Depuis longtemps j'aurais à me reprocher de n'avoir pas répondu à toutes vos honorables marques d'amitié, sans la maladie, sans la mort qui l'ont enlevée. Vous n'avez pas connu, monsieur le Comte, cette noble mère, dont je ne vous parle pas parce que je n'en saurais parler assez dignement, mais je ne doute pas que vous ne partagiez ma douleur, et vous me plaindrez beaucoup si vous me plaignez comme je vous aime 18.

La part, qu'en cette année même Jules Rességuier prit à la rédaction du Conservateur littéraire, revue fondée en décembre 1819, par Victor Hugo et son frère Abel, avait dû d'ailleurs contribuer aussi à rendre leurs rapports plus intimes. Dans les premiers mois de 1821, ce Recueil avait publié de Rességuier une élégie dans le genre ossianesque, encore en vogue, intitulée Glorvina, (tome III, pp. 289-290). Elle était accompagnée de cette note de la rédaction :

Ces vers dont nos lecteurs apprécieront la grâce et l'élégante facilité, nous sont envoyés de Toulouse, la seule ville de France, peut-être, où la poésie partage encore l'attention publique avec la politique. Il est juste d'ajouter que M. le comte de Rességuier, membre de l'Académie des Jeux-Floraux, est un des poètes qui y cultivent les lettres avec le plus de talent et de distinction 19.

Jules de Rességuier s'y était révélé avec éclat : et, quand la revue eut cessé de paraître, Victor Hugo, voulant sans doute rendre plus durable le souvenir de cette collaboration, lui en adressa à Toulouse la collection complète, c'est-à-dire les trois volumes. La lettre où il lui annonce cet envoi, est toute pénétrée encore des sentiments douloureux dont témoignait la précédente :

7 novembre 1821. - «... Pourquoi faut-il qu'après les grandes souffrances de l'âme viennent encore une foule de petits chagrins insipides, de mesquines contrariétés qui ne permettent même pas de se reposer dans le désespoir ? J'ai eu bien des dégoûts de ce genre, mon cher et excellent ami (permettez-moi de réclamer ce titre que vous m'avez donné et qui m'est bien précieux) ; j'ai passé par tous les degrés de cette grande échelle de malheur, et cependant jamais, dans les peines les plus vives comme dans les soucis les plus monotones, je n'ai songé sans une véritable douceur aux consolations de votre amitié... Je profite d'une occasion que m'offre notre cher A. Soumet pour vous faire passer avec cette lettre les trois volumes du Conservateur littéraire ; c'est un de mes exemplaires dont je vous prie d'excuser l'extérieur inculte... Vous avez sans doute fait de bien jolis vers, que je ne connais pas ; si vous étiez assez bon pour m'en envoyer, j'en serais reconnaissant comme d'une faveur, et touché comme d'une preuve d'amitié.» 20.

L'année 1822 fut une année décisive pour Jules de Rességuier et ses amis ; c'est celle où il publie son Ode à Clémence Isaure dans les Annales de la Littérature et des Arts, et la Consolation d'une mère dans l'Almanach des Dames où Victor Hugo donne la première édition de ses Odes ; où Soumet a presque le même jour son double succès de Clytemnestre et de Saül (7 et 9 novembre) ; où Guiraud fait applaudir ses Macchabées (14 juin). Tout cela, sans parler des Jeux-Floraux qu'on n'oublie ni ne néglige, se retrouve avec une vivacité singulière dans les lettres que, de plus en plus souvent, Rességuier reçoit de Victor Hugo, et où nous relevons les passages suivants :

1822. 17 janvier. - «Alexandre [Soumet], qui est toujours malade ou paresseux, a cependant terminé son Saül, que je préfère à sa Clytemnestre, que je préfère à tout ce qui a paru sur notre scène depuis un demi-siècle... Je désirerais vivement que Saül fut joué le premier ; cet ouvrage entièrement original, sévère comme une pièce grecque et intéressant comme un drame germanique, révèlerait du premier coup toute la hauteur de Soumet... Et vous, que faites-vous au pays des troubadours ? Soumet m'a montré des vers charmants que vous lui avez envoyés dernièrement. En ouvrant l'Almanach des Dames, j'ai été agréablement surpris d'y rencontrer votre élégie, si touchante et si gracieuse, la Consolation d'une mère» 21.

C'est au mois de juin 1822 que parut le premier volume de vers de Victor Hugo, les Odes et Poésies diverses, Paris Pélicier. Dans la distribution d'exemplaires qu'il fit à ses amis, l'auteur n'oublia pas Jules de Rességuier ; au mois de juillet il lui écrit, après lui avoir adressé celui qui lui était destiné :

«Vous devez bien m'en vouloir, cher ami, de n'avoir reçu que mon recueil, quand je vous promettais les vers ravissants de Michol 22, mais vous savez un peu comme est notre Alexandre Soumet ; il fait d'admirables poésies et ne se doute pas que ses amis peuvent en être avides. Maintenant il est à Passy et moi à Gentilly, il court sans cesse à cause des répétitions de sa Clytemnestre, la Muse seule sait où le trouver... Votre ode charmante a vu le jour dans les Annales 23 et j'ai été aussi confus de votre amitié que fier de votre talent. Les journalistes n'ont pas encore honoré d'un article mon pauvre recueil ; ils attendent, m'a-t-on dit, des sollicitations, des louanges. Je ne puis croire qu'ils fassent cet affront à moi et à eux-mêmes.» 24

A peu près vers la même époque, Jules de Rességuier entrait avec ardeur, ainsi que d'autres poètes, amis de Victor Hugo, qu'on peut appeler les premiers chevaliers ou les premiers tenants du romantisme, dans une entreprise qui donnait un successeur au Conservateur littéraire, disparu au commencement de l'année précédente : ce fut la Muse Française. A côté des noms des trois frères Hugo et de Rességuier, s'y rencontrent ceux de Saint-Valry, du comte Gaspard de Pons, d'Ulric Guttinguer, de Jules Lefèvre, etc., etc. Dans le premier volume de 1823, Jules de Rességuier y donna, une remarquable pièce de vers, aux brillantes couleurs, l'Odalisque, un des premiers essais où la poésie romantique se soit inspirée des images de l'Orient (tome I, p. 85-87). Un peu après, il apparaissait comme prosateur, dans Un Samedi au Louvre (tome I, p. 273-281). Dans cet article, il ne s'agit ni de tableaux, ni d'art, mais d'industrie. Il avait été écrit à l'occasion de l'Exposition de l'Industrie qui avait eu lieu cette année. Le Louvre avait prêté ses salles aux exposants, bien peu nombreux, si on les compare à ceux de l'avenir. Jules de Rességuier s'y montrait l'homme d'infiniment d'esprit, le causeur merveilleux, qu'il était dans le monde.

Mais quand il écrivait cette fine causerie, il n'habitait plus Toulouse ni Sauveterre : vers la fin de 1822, il s'était établi à Paris, où l'appelaient les fonctions de maître des requêtes au Conseil d'Etat, auxquelles il venait d'être nommé. Cette nouvelle avait été accueillie avec la plus grande joie par ses amis du romantisme, et Victor Hugo avait ainsi salué sa venue :

1822, 6 septembre. - «Qu'est-ce que Durand m'écrit donc, mon ami ? Faut-il croire à ce bonheur ? Vous allez à Paris et je n'en sais rien par vous... Heureusement, j'ai à Marseille un ami pour m'informer de ce que fait un autre ami bien cher à Toulouse... Ecrivez-moi du moins, Jules, pour me confirmer cette bonne nouvelle. Je l'ai donnée à Soumet comme certaine. J'ai la crédulité pour ce qui me fait plaisir. Cependant je ne crois pas à toute votre aimable lettre ; j'ai vu avec joie qu'elle était pleine de louanges, parce que toute cette louange est de l'amitié. Il y a das cette lettre un épanchement qui m'a bien touché. Vous m'y parlez d'un ange que notre Alexandre m'avait déjà fait connaître, d'un ange qui vous aime et que j'aime de vous aimer. J'ai envoyé votre lettre à Guiraud, qui était déjà reparti pour Limoux quand je l'ai reçue... Soumet va être joué presque à la fois aux deux théâtres, c'est-à-dire qu'il va obtenir deux triomphes. Il a fait à son chef d'oeuvre, Saül, de très beaux changements... Soumet a été charmé de votre mot.» 25

Quel est l'«ange» dont il est parlé dans cette lettre ? Madame la comtesse de Rességuier, sans nul doute, qui le resta toujours pour le mari dont elle fit le bonheur, et pour les enfants adorés qui grandissaient sous ses tendres et anxieux regards.




13 Edmon Biré, Victor Hugo avant 1830, p. 153. - En 1811, Soumet, après son Ode sur la Naissance du roi de Rome, avait été nommé auditeur au Conseil d'Etat.


14 Secrétaire perpétuel de l'Académie des Jeux-Floraux, conseiller à la Cour de Toulouse. Voir Biré, Victor Hugo avant 1830, p. 131.


15 La pièce de J. J. Rocher, insérée dans le Recueil de l'Académie, était l'Immortalité de l'âme.


16 La pièce de F. Durangel fut couronnée.


17 Annales de la Littérature et des Arts, 1821, t. III, p. 379.


18 Victor Hugo, Correspondance, Paris, Calmann Lévy, 1896, t. I., p. 16. - Mme Hugo, quand elle mourut, habitait avec son fils, rue de Mézières, n° 10.


19 Le Conservateur littéraire, cessa peu après de paraître, à la fin de mars 1821.


20 Victor Hugo, Correspondance, t. I, p. 22.


21 Victor Hugo, Corresp, t. I, p. 25.


22 Personnage de la tragédie de Saül.


23 Les Annales de la Littérature et des Arts, où avait paru l'Ode à Clémence Isaure.


24 Victor Hugo, Corresp, t. I, p. 29.


25 Cette lettre a été publiée d'abord par Ed. Biré, dans Victor Hugo avant 1830, p. 339, puis dans la Correspondance de Victor Hugo, p. 35, où elle est datée de 1823, à tort, puisqu'il y est question de la première représentation de Saül qui est de 1822. Tout le passage relatif à F. Durand ou Durangel y est supprimé.





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