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Eugène Asse Jules de Rességuier IntraText CT - Lecture du Texte |
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IV L'époque de la publication des Tableaux poétiques fut le moment le plus brillant de la vie de Jules de Rességuier, celui où sa réputation fut à son zénith. N'ayant pas encore atteint la quarantaine, mêlé à la fois aux lettres et à la politique par ses fonctions au Conseil d'Etat, homme du monde et écrivain, il s'était créé dans la société parisienne une situation très en vue tout en restant très sympathique. La Révolution de 1830 la modifia beaucoup, sans l'amoindrir. L'homme politique, le fonctionnaire, disparut, car il n'avait pas voulu se rallier à la Monarchie de juillet contre laquelle ses convictions protestaient hautement ; mais l'homme du monde, l'écrivain, resta ; et l'empressement qu'on avait à le recevoir, comme à fréquenter son salon de la rue Taitbout, ne firent que montrer davantage l'estime dans laquelle on tenait en lui le poète et l'homme du monde. Soit à Paris l'hiver, soit l'été à Sauveterre ou à Toulouse, son salon, sans avoir rien de solennel et de pompeux, était vraiment ce que peuvent rêver de plus délicieux l'amitié et l'intelligence. Aux noms de Lamartine, de Victor Hugo, auxquels il resta toujours fidèle, tout en ne partageant pas toutes leurs opinions, à ceux de Guiraud, de Soumet, destinés à disparaître trop tôt (1845-1847), de Saint-Valry, d'A. de Beauchesne, dont nous le verrons célébrer le castel gothique de Saint-James, il faut ajouter ceux de Théophile de Ferrière, plus connu sous le pseudonyme de Samuel Bach, l'auteur si original d'Il vivere (Paris, Renduel, 1835), des Romans et le Mariage (Paris, Fournier, 1837, 2 vol. in-8) ; de Blaze de Bury (1813-1888), dont l'oeuvre la plus originale, Le Souper chez le Commandeur (Paris, Félix Bournaire), avait paru en 1835 ; de Paul de Julvecourt, ami de Jules de Saint-Félix, qu'une mort prématurée, en 1845, empêcha de conquérir la place que pouvaient faire prévoir ses Souvenirs de bonheur (Paris, Delaunay, 1832, in-8), et son recueil de poésies, Fleurs d'hier (Paris, Souverain, 1842, in-8) ; d'un compatriote, enfin, Edouard Gout-Desmartres (1812-1862), que l'Académie des Jeux floraux couronna bien souvent, et dont Emile Deschamps fut aussi l'ami ; du comte de Falloux qui, par Albert de Rességuier, dont il était l'ami, avait trouvé le chemin du coeur de son père ; de Mme Menessier-Nodier, qu'il avait connue enfant aux réunions de l'Arsenal et dont il resta toujours l'ami comme il avait été celui de Charles Nodier ; de Jules Lefèvre, enfin, qui, sous son nouveau nom de Lefèvre-Deumier, n'obtenait pas tout ce que méritait son talent cependant mûri, épuré et fortifié. Jules de Rességuier a fait lui-même un vivant et touchant tableau de ses Samedis : Après
avoir porté le poids de la semaine M. de Falloux, qui a dû beaucoup pour le développement de ses goûts littéraires au comte Jules de Rességuier et à son fils, Albert de Rességuier, a peint agréablement ce salon si aimable, si hospitalier des Rességuier vers 1836, avec ses habitués ordinaires. Nous y retrouvons bien des noms que nous avons déjà rencontrés : Albert de Rességuier était de six ans plus jeune que moi et j'aurais dû lui servir de maître. Les rôles furent promptement intervertis, et, en peu de temps, je reçus de lui plus que je ne pouvais donner. Toute sa famille se mit aussi de la partie pour me pousser et m'encourager au travail. Son père, le comte Jules de Rességuier, était un poète charmant et plus élevé encore par la noblesse du caractère que par celle du talent... M. et Mme de Rességuier avaient un salon très littéraire, et ils n'étaient pas de simples maîtres de maison. On recherchait dans Madame de Rességuier un jugement très sûr, qui rendait discrètement ses arrêts sous une forme toujours ingénieuse. M. de Rességuier ne disait ses vers que quand on les lui demandait et il les disait très bien. Il excellait dans des miniatures sur émail... M. de Lamartine et M. Victor Hugo n'apparaissaient que de temps en temps dans ce salon où on leur offrait affection et admiration ; mais ils exigeaient déjà l'idolâtrie. J'ai vu là, dans l'intimité, quelques hommes distingués qui étaient de véritables amis : Alexandre Guiraud, que les Macchabées ont porté à l'Académie et que le Petit Savoyard protègera peut-être mieux devant la postérité. Alexandre Soumet, dont on aura peut-être oublié la Jeanne d'Arc, quand on se souviendra encore de la Pauvre fille... M. de Beauchêne, l'émouvant historien de Louis XVII, et surtout M. Emile deschamps, que la renommée eut mieux traité, s'il s'en fut montré plus soucieux... Ma première et, je dois l'avouer, mon unique école littéraire, fut la maison de M. de Rességuier 33. Si ce rôle de maître fut bien celui de M. Jules de Rességuier à l'égard de M. de Falloux, l'élève surpassa le maître, du moins aux yeux de l'Académie Française, puisqu'elle ouvrit à l'un ses portes qu'elle ferma à l'autre. Il est vrai que si ses membres sont immortels, ils ne sont pas infaillibles. Dans cette heureuse demeure grandissaient trois fils, Paul, Albert et Charles de Rességuier, les deux premiers nés de 1812 à 1816, le troisième un peu plus tard, mais tous trois objet d'une tendresse égale, comme l'a dit leur père dans des vers touchants, placés au bas de son portrait donné à chacun d'eux : A
toi, cher, ce portrait, qui me peint à demi, Albert, qui devait devenir le plus célèbre des trois, fut à la fois poète comme son père et, de plus que lui, homme politique. Après avoir fait son droit à Paris, il voyagea en Allemagne pour achever son instruction et publia une traduction de la brochure du Dr Joseph Goerres, qui avait fait grand bruit dans le monde catholique, Affaire de Cologne, Athanase, Paris, Debecourt, 1838, in-8. C'est lui qui, en 1848 et en 1870, fut élu par les Basses-Pyrénées aux Assemblées nationales de cette double époque, où il fit partie de la Droite catholique. Comme poète on a retenu de lui cette épitaphe en vers monosyllabiques : Fort
Dans ce tableau poétique et presque patriarcal de Sauveterre et même de Paris, il ne faut pas oublier la vieille Sophie, une de ces servantes, comme alors il en existait encore dans beaucoup de maisons de la noblesse et de la bourgeoisie, partageant les joies et les douleurs de leurs maîtres, qui étaient pour elles comme une autre famille. Le poète lui a donné place dans ses vers : Au
bruit de mon retour prochain, on me confie Madame la comtesse de Rességuier, entourée de trois beaux enfants, d'un mari bon, aimable, attentif, était bien la reine de cet heureux et souriant intérieur. Bien des vers du poète ont été inspirés par elle, mais son nom y manque, et il serait téméraire de les indiquer d'une façon précise. Le sentiment seul qui y règne révèle celle qu'ils célèbrent en secret. Ainsi par exemple, dans les vers si délicats sur Madame Agnès de Picardie : La
dame en tout la mieux douée M. de Falloux a joliment raconté une aventure de Madame de Rességuier comme dame de charité : «La comtesse de Rességuier avait une piété profonde et une inépuisable charité. C'est à elle qu'arriva une anecdote qui devrait toujours se présenter à la pensée au moment d'une dépense inutile. Dame de charité dans la paroisse de Saint-Roch, Mme de Rességuier monte avec sa compagne à un cinquième étage. Les deux quêteuses sont reçues par un petit vieillard qui vient lui-même ouvrir sa porte, les reçoit dans un appartement à peine meublé et leur remet son offrande soigneusement enveloppée. Grande fut leur surprise, en défaisant le paquet de trouver cinq louis bien comptés. «Ce bon monsieur s'est trompé, pensèrent à la fois les deux quêteuses ; il nous a donné sans s'en douter, la moitié de son revenu !» Elles remontèrent donc l'escalier, sonnèrent de nouveau à la porte et firent part de leur scrupule. Le vieillard parcourut d'un regard son appartement, le fixa sur lui-même et répondit avec le plus simple sourire : «Je vous remercie de votre délicatesse, mesdames, mais ce n'est qu'en vivant comme je vis, que je puis me donner la jouissance de faire la charité» 36.
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32 Dernières Poésies, Toulouse, 1864, p. 153. - Voir aussi, p. 51, Adieu à une Maison de poète. 33 Mémoires d'un Royaliste, Paris, Perrin, 1888, in-8, p. 160. 34 Dernières Poésies, Toulouse, 1864, p. 195. 35 France littéraire, 1835, III, 174. On trouve dans Premières Pensées, de Ducros, une pièce de vers à lui adressée. Né à Toulouse le 26 novembre 1816, il y mourut le 26 mars 1876. 36 De Falloux, Mém. d'un Royaliste, I, p. 161. |
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