Texte
TALMA n'est plus. En répétant cette pénible nouvelle,
chacun semble chercher un démenti.
Cette incrédulité publique est un
hommage rendu au génie. On a peine à concevoir qu'un feu céleste puisse
s'éteindre ; ce sentiment est tellement puissant que tout le temps de sa
maladie on se félicitait en apprenant que Talma souffrait encore : il existait.
Le mouvement d'orgueil national
qu'on éprouvait en prononçant le nom de ce grand acteur sera désormais mêlé de
regrets. Nous tous, jeunes contemporains de cet homme célèbre, qui pourtant
l'avons applaudi naguère, nous en sommes à envier celui qui peut s'écrier : «
J'ai frémi d'enthousiasme à ses dernières inspirations tragiques. » Mais si sa
perte nous inspire une douleur si naturelle, combien elle doit être vive pour
ceux qui ont vu naître et grandir son talent ! Quelle leçon la mort donne aux
citoyens obscurs, lorsqu'elle frappe sans cesse ceux à qui des vertus ou des
talents immenses avaient presque donné le droit de demander pour eux une
exception dans les lois de la nature !
Dans un moment pareil, il nous
est impossible de nous occuper de littérature ou de théâtre ; nous avons donc
négligé les devoirs les moins importants, nous avons sollicité, nous avons
recueilli de toutes parts des renseignements sur ce grand artiste, et nous
avons cru que le journaliste qui le mieux aurait la pensée du public serait
celui qui lui parlerait davantage de Talma.
Talma (François-Joseph), naquit à
Paris, le 15 janvier 17661. Son père, célèbre dentiste,
avant d'aller à Londres, où il devait se fixer, l'avait laissé en France pour y
recevoir une éducation élémentaire.
Le jeune Talma avait à peine
atteint sa dixième année lorsque le penchant qui l'entraînait vers la carrière
théâtrale se manifesta de la manière la plus originale. Un jésuite du collège
où il étudiait avait composé une tragédie intitulée Tamerlan. Chargé de
rendre compte de la mort du héros, Talma se pénétra si bien de la situation que
l'illusion devint complète pour lui-même. Dans le passage le plus pathétique de
son récit, il fut suffoqué par ses larmes et ne put continuer.
On l'emporta hors de la scène ;
on tâcha de lui démontrer qu'il n'y avait rien de réel dans ce qui venait de se
passer ; tous les efforts furent inutiles : le temps seul mit un terme à sa
douleur, dont l'excès inspira quelques craintes pour sa santé. Peu de temps
après, Talma partit pour l'Angleterre, dans l'intention de rejoindre son père
et d'achever auprès de lui son éducation.
De jeunes Français établis dans
ce pays l'invitèrent à se joindre à eux pour jouer de petites comédies
françaises. Ce spectacle, tout à fait nouveau et plein d'intérêt, à une époque
où les relations littéraires entre la France et sa rivale s'établissaient de
plus en plus, attira un concours nombreux de spectateurs.
Des personnages de la plus haute
distinction : lord Harcourt, le prince de Galles, aujourd'hui roi d'Angleterre,
honorèrent ces représentations de leur présence. Talma fixa l'attention de ses
auditeurs : sa vocation pour le théâtre parut décidée.
Une foule de personnes engagèrent
le père du célèbre artiste à le destiner à la scène anglaise ; mais, malgré les
convenances d'une pareille proposition (car Talma, élevé en Angleterre, parlait
l'idiome avec toute la pureté possible), les circonstances en disposèrent
autrement : il était destiné à illustrer la scène où aurait régné Lekain.
A son retour à Paris, Molé et
Dugazon lui conseillèrent de suivre les leçons du Conservatoire. Quinze jours
après son entrée dans cette école (le 27 novembre 1787), il débuta au
Théâtre-Français2 : ses débuts furent brillants ; depuis
longtemps on n'en avait vu qui fissent concevoir de plus grandes espérances. Aussi
l'administration s'empressa-t-elle de s'attacher un acteur d'un talent si vrai
en lui accordant, en 1789, le titre de sociétaire.
Moins jaloux de ses succès que
d'une réputation solide, Talma songeait à compléter la révolution commencée par
Lekain, en portant à son plus haut degré sur la scène la vérité de la diction,
celle du geste et du costume.
Il visita les musées, consulta
les manuscrits anciens et les médailles, interrogea la sculpture et les
monuments de tous genres, étudia l'agencement des draperies de Raphaël et du
Poussin. Lié avec David et les artistes les plus distingués, il devint peintre
à sa manière.
Le premier, il osa introduire
dans son jeu quelque chose de la vérité shakespearienne, malgré les cris et les
feuilletons de la critique, les tracasseries de ses camarades et les anathèmes
des vieux amateurs, qui, fidèles aux inspirations de leur jeunesse, lui
opposaient Lekain, comme à Lekain leurs pères avaient opposé Baron.
Il parvint à dégoûter du faux à
force de montrer le vrai. « Enfin le succès couronna mes efforts, dit-il dans
ses Réflexions sur l'art théâtral ; et, sans craindre que l'on m'accuse
de présomption, je puis dire que mon exemple a eu une grande influence sur tous
les théâtres de l'Europe. Lekain n'aurait pu surmonter tant de difficultés : le
temps n'était pas encore venu. Aurait-il hasardé les bras nus, la chaussure
antique, les cheveux sans poudre, les longues draperies, les habits de laine ? Eût-il
osé choquer à ce point les convenances du temps ? Cette mise sévère eût alors
été regardée comme une toilette fort malpropre, et surtout fort peu décente. Lekain
a donc fait tout ce qu'il pouvait faire, et le théâtre lui en doit la
reconnaissance : il a fait le premier pas, et ce qu'il a osé nous a fait oser
davantage. »
Ce fut dans le rôle de Brutus que
Talma fit voir pour la première fois la toge romaine. A son entrée dans le
foyer, il fut en butte aux sarcasmes de ses camarades : l'un3
lui demanda s'il avait mis les draps de son lit sur ses épaules ; un autre4 lui dit en raillant, qu'il avait l'air d'une statue antique. C'était
au jugement du public qu'il en appelait.
Dès son apparition,
l'enthousiasme fut au comble : il vit dans ces marques non équivoques de
contentement qu'il avait bien deviné son auditoire, et espéra dès lors réussir
dans sa glorieuse et pénible entreprise.
Cependant, cinq jours après, tel
est l'empire de l'étiquette, il n'osa paraître avec la toge sur le théâtre de
la cour.
Le rôle de Brutus, que Talma créa
en 1792 et 1793 et qu'il n'a pas cessé de travailler depuis, est un de ceux où
il semblait s'élever au-dessus de lui-même ; il y développait une connaissance
si profonde de l'antiquité, une telle bonté de coeur unie à un stoïcisme si
inflexible, une simplicité tellement inconnue jusqu'à lui, qu'il est impossible
de ne pas reconnaître qu'il n'y a qu'un homme nourri en quelque sorte dans les
guerres civiles et qui en a profondément connu et étudié les effets, qui puisse
rendre ce rôle avec autant de vérité.
Talma avait été à même d'observer
de plus près de nouvelles scènes et de saisir de nouvelles couleurs.
Sparte, Athènes, Rome, Corinthe
semblèrent un moment reparaître à ses yeux, pour lui représenter le tableau des
formes républicaines. Il assista en spectateur aux débats du forum, aux luttes
du sénat et du peuple : l'austère simplicité de ces hommes, leur farouche
énergie, leurs passions tumultueuses devinrent pour lui des sujets familiers
d'études. Il fut, au milieu des modernes, le contemporain de l'antiquité. Il se
promenait sur cette terre des grands hommes et des grandes choses comme sur le
sol de la patrie.
Dans ces temps d'une liberté
exaltée et fanatique, où les esprits étaient avides d'un spectacle propre à
leur inspirer la haine des rois, la tragédie de Charles IX devait
obtenir une grande vogue.
Talma prêtait d'ailleurs au rôle
principal le charme de son beau talent. Cette pièce fut accueillie avec fureur.
Des évêques, effrayés de l'influence que pouvait avoir une nouvelle
représentation, sollicitèrent auprès du roi la défense de jouer cet ouvrage.
Louis XVI y consentit ; mais
Mirabeau, peu disposé à céder à la mitre, promit à Talma de faire demander Charles
IX par ses Provençaux5.
En effet, le parterre provençal
et parisien demanda à grands cris la suspension de l'ordre royal et la
continuation des représentations de l'oeuvre de Chénier.
Un acteur vint annoncer que,
faute d'actrice, on se voyait obligé de ne pouvoir contenter le public ; Talma,
alors en scène, dit qu'un rôle manquait (celui de Catherine de Médecis) et
qu'il ne doutait pas que Mme Vestris, quoique très indisposée, ne fît tous ses
efforts pour satisfaire le désir du public.
Cette déférence devint le signal
d'une dissension dans la Comédie. Il ne fut plus possible de s'entendre :
l'esprit de parti partagea les comédiens en deux factions. Talma, attaqué, se
défendit dans une réponse imprimée ; mais, fatigué de ces débats politiques, il
s'unit à Monvel, Dugazon, Mme Vestris, et fonda, sur le théâtre construit rue
de Richelieu, une deuxième scène française qui, par la supériorité des talents
et de la réputation des acteurs émigrés, prit le premier rang et força plus
tard les dissidents à se réunir à elle.
Quoique presque entièrement
absorbé par ses nombreuses études dramatiques, puisqu'il tenait à la fois les
premiers rôles comiques et tragiques, Talma ne put demeurer étranger à la
révolution, à une époque où, comme dans Athènes, il n'était permis à aucun
citoyen de rester neutre.
Admis dans l'intimité de Mirabeau6, dans celle des Girondins, il suivit leur fortune. Tranquille,
lorsqu'ils furent les maîtres et les appuis du parti triomphant, il fut dénoncé
au tribunal révolutionnaire, comme complice des conspirateurs, lors de la
procédure dirigée contre les vingt et un députés.
Échappé à l'échafaud par une
sorte de prodige, à l'abri des convulsions politiques, il fut rendu à l'art
théâtral. La retraite de Larive, en 1800, le laissa en possession des premiers
emplois tragiques. Ses profondes connaissances, un sentiment exquis de toutes
les convenances, le placèrent en peu de temps au-dessus de ceux qui n'avaient
pas craint de se nommer ses rivaux. L'envie intrigua contre lui.
Un aristarque habile, mais tant
soit peu vénal, mit sa plume à l'enchère. Le célèbre tragédien dédaigna de
l'acheter.
Pendant plusieurs années il fut
victime des plus noires calomnies. Avait-il du succès dans un rôle, on n'en
parlait pas, ou l'on voulait forcer l'opinion publique à le condamner.
On écrivait et l'on feignait de
croire que son talent n'était propre qu'à représenter de grands coupables ;
qu'il lui fallait des mélodrames. On lui reprochait des convulsions, une
déclamation exagérée, des gestes plus propres à inspirer la terreur qu'à faire
naître l'intérêt. Ses triomphes, l'assentiment du public, le vengèrent de ses
zoïles. L'autorité elle-même se plut à lui offrir un dédommagement en
l'appelant à la place de professeur au Conservatoire, en 1807.
Vers la fin de la même année,
Talma fut atteint d'une effrayante maladie de nerfs. La scène française fut
menacée de perdre son plus bel ornement ; mais, grâce aux soins d'habiles
médecins, il fut conservé pour la gloire de son art et les plaisirs du public. A
sa rentrée, les rôles de Cinna, de Pyrrhus, de Warwick, du comte d'Essex, ne
lui firent pas moins d'honneur que le rôle de César dans la Mort de Pompée.
Il ne sera pas sans intérêt de
savoir que Napoléon, qui de tout temps l'avait accueilli avec bonté, lui
faisait quelquefois des réflexions critiques sur sa manière de jouer certains
rôles dont son étonnante destinée lui révélait le caractère. A la suite d'une
représentation de la Mort de Pompée, il lui fit cette remarque :
« En débitant cette longue tirade
contre les rois, dans laquelle se trouve ce vers : Pour moi, qui tiens le
trône égal à l'infamie, César ne pense pas un mot de ce qu'il dit. Il ne
parle ainsi que parce qu'il a derrière lui les Romains, auxquels il est de son
intérêt de persuader qu'il a le trône en horreur ; mais il est loin d'être
convaincu que ce trône, qui est déjà l'objet de tous ses voeux, soit une chose
méprisable. Il importe donc de ne pas le faire parler en homme convaincu, et
c'est ce qui doit être soigneusement indiqué par l'acteur. »
Un artiste aussi profondément versé
dans son art ne pouvait manquer de tirer parti d'aperçus aussi neufs que
justes. Lorsque cette tragédie fut représentée à Fontainebleau, Talma entra
avec tant de vérité dans les intentions de Napoléon que l'empereur déclara que
pour la première fois il avait vu César.
La tragédie d'Esther avait
été jouée à la Cour dans les premiers jours de juillet 1806. Le lendemain,Talma
s'était rendu comme d'ordinaire au déjeuner de Napoléon, auquel assistait le
ministre de l'intérieur, M. de Champagny.
La conversation tomba sur la
représentation de la veille. « C'est un pauvre roi que cet Assuérus », dit
Napoléon à Talma. Puis, se tournant presqu'au même instant vers le ministre :
« Qu'est-ce que ces Juifs ? Faites-moi
un rapport sur eux. »
Le rapport fut fait, et environ
quinze jours après, le 26 juillet 1806, fut convoquée la première assemblée des
notables d'entre les Juifs, dont le but était de fixer le sort de cette nation,
et de lui donner une existence légale.
En mars 1808, Talma s'essaya dans
la comédie. Dans Plaute, ou la Comédie latine, de M. Lemercier, il se
montra grand acteur. Rien n'est au-dessus de la verve comique dont il anima ce
rôle, et ceux qui ont assisté aux représentations de cette pièce n'oublieront
pas son expression énergique et son étonnante pantomime dans la scène du
dénouement, où Plaute retrouve la cassette qui contient son or et tous ses
manuscrits.
Vers le mois de septembre de la
même année, Talma quitta Paris, pour paraître, comme lui disait Napoléon,
devant un beau parterre de rois. L'élite de la Comédie-Française se
rendit à Erfurt.
Le 6 octobre, l'empereur choisit
pour spectacle la Mort de César. Ce choix causa aux rois un sentiment de
surprise et d'embarras. Chaque vers de cette tragédie était, dans la
circonstance présente, une application directe à la situation de Napoléon et à
celle des rois et des princes confédérés.
Cette bizarrerie amusait
Napoléon, qui, voyant en lui César au milieu des conjurés, semblait défier la
haine de ces têtes couronnées, et observait avec attention les moindres
mouvements de ces maîtres du monde asservis à sa puissance, mais prêts à s'en
affranchir.
Jamais représentation ne fut plus
extraordinaire. La contrainte des spectateurs était telle qu'aucun d'eux
n'osait regarder son voisin, dans la crainte de faire une application.
A son retour à Paris, Talma ne
put créer que le rôle d'Hector (1809) et reparaître dans Macbeth, Hamlet
et Othello ; une maladie le força de s'éloigner du théâtre jusqu'en
1810.
Les années 1811, 1812, 1813 et
1814 ne virent paraître aucun ouvrage qui pût augmenter le répertoire de Talma,
et encore moins ajouter à sa réputation. Le Mahomet II de M.
Baour-Lormian, le Ninus II de M. Briffaut, le Retour d'Ulysse, et
quelques autres compositions aussi peu dramatiques, ne lui présentèrent ni
situations neuves, ni moyens sublimes. Mais en revanche il aborda, à cette
époque, le rôle de Tancrède, où il excita des transports unanimes par la
chaleur et la vérité de son jeu. Dans l'Oreste d'Iphigénie en Tauride,
qu'il joua quelque temps après, il se surpassa lui-même et força par ce nouveau
triomphe les détracteurs de son talent à devenir ses admirateurs.
Si quelquefois sa brutale énergie
et la force avec laquelle il sentait l'entraînèrent trop loin, c'est la faute
de l'auteur et non la sienne. Un écrivain sans feu embarrasse l'acteur et le
met hors de mesure.
Dans les rôles de Coriolan, de
d'Assas, de Ladislas, et beaucoup d'autres, Talma conserva cette vérité
historique, cette couleur locale si peu respectée aujourd'hui, et qu'il rendit
avec autant de succès qu'il l'avait fait dans Fayel de Gabrielle de Vergy,
Epicharis et Néron, les Templiers, etc. ; mais ce fut surtout
dans Orosmane, dans l'Égisthe d'Agamemnon, un des rôles les plus
effrayants qui aient été conçus, que Talma déploya toute la force et toute la
vérité de sentiment qui l'ont si éminemment distingué. Amant passionné et
jaloux à l'excès, il nous fit comprendre, sous le turban turc, l'amour dans
tout son délire ; revêtu du manteau grec, il nous montra le rejeton du
malheureux Thyeste moins épris de l'épouse d'Agamemnon qu'ambitieux et avide de
ravir le sceptre de ce prince, en apaisant par sa mort l'ombre irritée de son
père. Enfin, partout sublime, partout parfait et créateur, Talma était, pour
ainsi dire, le génie même de la nature.
Lors de la première Restauration,
Talma fut traité avec bienveillance par le roi, qui sut apprécier son mérite. En
1815, il alla voir Napoléon : « Eh bien ! lui dit celui-ci, on prétend que j'ai
pris de vos leçons ? Au reste, ajouta-t-il en souriant, si Talma a été mon
maître, c'est une preuve que j'ai bien rempli mon rôle. »
Puis, changeant de conversation :
« Eh bien ! le roi vous a bien reçu, il vous a bien jugé ; vous devez avoir été
flatté de son suffrage ; c'est un homme d'esprit qui doit s'y connaître ; il a
vu Lekain. »
On voit par ces anecdotes que
Talma ne fut par moins l'objet de la faveur des princes que de l'admiration du
public. Mme de Staël, elle-même si passionnée, a émis un jugement détaillé sur
les principaux rôles de Talma, et il serait impossible de mieux faire ressortir
le talent avec lequel ce grand acteur a rendu et même dépassé les intentions du
poète, en s'éloignant des traditions routinières du théâtre.
Il nous semble que Talma peut
être cité comme un modèle de hardiesse et de mesure, de naturel et de dignité. Il
possédait tous les secrets des arts divers ; ses attitudes rappelaient les
belles statues de l'antiquité ; son vêtement, sans qu'il y pensât, était drapé
dans tous ses mouvements comme s'il eût eu le temps de l'arranger dans le plus
parfait repos.
L'expression de son visage, celle
de son regard, doivent être l'étude des peintres. Le son de sa voix électrisait
tous ses auditeurs avant que le sens même des paroles qu'il prononçait eût
excité l'émotion. Lorsque par hasard il avait à déclamer quelques vers
descriptifs, il faisait sentir les beautés de ce genre de poésie, comme si
Pindare lui-même eût récité ses chants.
D'autres ont besoin de temps pour
émouvoir, et font bien d'en prendre ; mais il y avait dans la voix de cet homme
nous ne savons quelle magie qui dès les premiers accents réveillait toute la
sympathie du coeur. Le charme de la musique, de la peinture, de la sculpture,
de la poésie, et par-dessus tout le langage de l'âme, voilà les moyens qu'il
mettait en oeuvre pour développer dans ceux qui l'écoutaient toute la puissance
des passions généreuses ou terribles.
Jamais Talma ne fut plus beau de
gloire que dans les dernières années de sa vie. Au milieu de la décadence de
l'art, son talent se révéla à nos yeux étonnés comme un de ces chefs-d'oeuvre
longtemps cachés aux regards des mortels, et que les hommes, frappés
d'admiration à leur aspect, ne retiraient de la terre où ils étaient enfouis
que pour en faire des dieux.
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