Texte
Par un de ses
caprices, toujours ordonnés et suivis, la mode a imposé, depuis quelque temps,
aux jeunes femmes, de porter les cheveux courts. La plupart se soumettent à
cette mode soit par snobisme, soit parce qu’elle est plus commode et plus
pratique et exige moins de soins et de préparations que les coiffures
compliquées auxquelles se prêtaient les cheveux longs.
La nouvelle mode doit être séduisante, puisque dans une annonce publiée
ici même, une jeune fille faisant valoir ses qualités physiques et morales,
ajoutait : « yeux bleus, cheveux coupés ». Ces cheveux raccourcis
taillés en rond, on leur a donné un nom qui les féminise un peu : ce sont les «
cheveux à la Jeanne d’Arc ». C’est vivement dit, mais il faudrait un peu savoir
comment et pourquoi Jeanne d’Arc a porté les cheveux courts, quelles causes
l’ont amenée à adopter cette coiffure. Les cheveux de Jeanne d’Arc ne sont pas
les cheveux « à la Jeanne d’Arc ». Du reste, ce port des cheveux courts par
l’héroïne a été une des causes principales de son martyre et un des griefs qui
l’ont conduite à la mort. Il est peut-être utile de le rappeler.
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A part le temps de sa première enfance, passée aux champs,
où, comme toutes les fillettes de ce temps, Jeanne d’Arc portait des cheveux
longs, flottants sur le dos, ou des cheveux nattés, pendant toute sa vie
guerrière, Jeanne a porté les cheveux courts, taillés en rond, comme les
portent actuellement les jeunes femmes et les enfants.
Quand Robert de Baudricourt, gouverneur de Vaucouleurs, a autorisé son départ,
Jeanne d’Arc, qui a pris l’habit d’homme, porte les cheveux courts. La requête
du promoteur Jean Lemaître, au Procès de condamnation rapporte que
Robert de Baudricourt, bien qu’avec « une grande abomination », lui accorda la
permission d’abandonner l’habit de femme : « Ayant coupé ses cheveux en rond, à
la mode des muguets, et pris un chapel…, elle s’habilla et s’arma. » Rejecto
et relicto omni habitu muliebri, tonsis capillis in rotondum, ad modum mangonum…,
capucio deciso… se incluit et armavit. (Procès, T. I. 221).
Sans prévoir dès à présent la vie des camps et des chevauchées qu’elle allait
mener, Jeanne d’Arc, rien que pour se rendre de Vaucouleurs à Chinon, devait
adopter une façon très simple d’accommoder sa chevelure. Chevauchant avec les
hommes de son escorte, Jean de Metz et Bertrand de Poulengy et leurs servants
Jean de Honecourt, le messager du roi Colet de Vienne et l’archer Richard, elle
devait avoir la même tenue qu’eux, pour ne pas se faire remarquer et être prise
pour un jeune page. C’est pourquoi elle dut faire couper ses cheveux par le
barbier de la petite ville, ou peut-être par quelques-une de ses compagnes
amusées, comme son amie Mangette.
Aussi bien, cette coupe en rond, en sébile, dégageant les oreilles et le
cou resté complètement nu, était… à la mode. Quicherat, dans son Histoire du
costume (p. 256), indique que vers le commencement du XVe siècle, vers
1420, on se mit, chez les hommes, à porter les cheveux aplatis sur le crâne et
coupés en forme de calotte. Le barbier, dit-il, rasait l’occiput et les tempes,
en même temps qu’il accommodait le visage sur lequel aucun poil de barbe
n’était laissé ; d’autre part, les cheveux étaient coupés droit sur le front,
au-dessus des sourcils, en frange, mode qui revint de nos jours, vers 1880,
sous le nom de « cheveux à la chien ». Ces cheveux coupés en sébille,
furent d’abord adoptés par les jeunes valets, les mangones cités par
l’inquisiteur Jean Lemaître, puis par les pages, les jouvenceaux, les
damoiseaux de la bourgeoisie, et les pères furent ensuite entraînés par les
fils. Un cordelier qui prêchait souvent sur les variations de la mode, disait
que les hommes d’armes devaient se tremper la tête souvent dans l’eau chaude et
avec un rasoir se faire souvent couper les cheveux « car ils ne font à la tête
que nuisement ». « Ils engendrent ordures, disait-il, et son cause de plusieurs
maladies ».
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Toujours est-il que quand Jeanne d’Arc se présenta à Chinon,
devant la Cour et le Roi, pour lui remettre la lettre de Baudricourt, elle
était en cheveux courts. Une des gravures sur bois de l’édition de 1487 des Vigiles
du roi Charles VII, de Martial d’Auvergne, représente fort bien Jeanne, en
costume d’homme, nue tête, un genou en terre, les cheveux courts, et tenant en
main un chapeau . Il est, du reste, fait mention de ces chapeaux de Jeanne
d’Arc, en plusieurs pièces du Procès de condamnation. Tout d’abord, dans
la Requête du Promoteur, où il est dit qu’elle avait « sur la tête des bonnets
ou des chapeaux » etiam in capite capellos seu pileos. (Procès.
T. I. p. 224) et en un autre article de la même Requête, où il est dit qu’elle
portait un chaperon court, capucio deciso. On connaît aussi le petit
chapeau couvert de satin bleu, chapeau d’apparat, avec quatre rebras, brodés
d’or avec des fleurs de lys d’or suspendues, que Jeanne d’Arc aurait offert à
Jacques Boucher, trésorier du duché d’Orléans. On sait que d’après une
tradition orléanaise, il fut conservé chez les Oratoriens, puis chez Mme de
Saint-Hilaire où des bandes révolutionnaires, conduites par Léonard Bourdon, en
septembre 1792, s’en emparèrent et le détruisirent par le feu.
Vignaud-Romagnesi, dans ses Notes sur le chapeau de Jeanne d’Arc, a
conté l’histoire de cette curieuse coiffure que nous avons comparée avec une
figurine semblable, sculptée en forme de médaillon, sur la porte en bois de la
cathédrale de Rouen, s’ouvrant sur la cour des librairies. En dehors de ce
chapeau, Jeanne d’Arc, qui était somptueuse en vêtements - et on lui en fera
un crime – possédait d’autres coiffures. En tenue de combat, coiffée du heaume,
de la capeline de fer, elle portait souvent par-dessus, une sorte de capuchon
ou gonelle rouge, déchiquetée, fendue sur le devant et laissant
apparaître le visage dans une ouverture appelée visagère. C’était une
sorte de capuce rouge comme celui des enfants de choeur et des petits
chanteurs de la maîtrise de la cathédrale de Rouen portant les cheveux
absolument tondus, tradition qui se perpétua jusqu’en 1830. Du reste, ce capuce
qu’ils portent encore, était une fondation du chanoine Gilles Deschamps, faite
à l’époque de Jeanne d’Arc, en 1427.
Le chanoine avait voulu, en fournissant aux enfants « ces bons bonnets de
laine, de couleur vermeille, eschiver aux froidures du temps d’hiver ». On peut
voir Jeanne d’Arc ainsi figurée, avec cette gonelle dans la Tapisserie
du Musée historique d’Orléans, acquise à Lucerne, et dans une peinture de son
temps. A citer aussi la miniature du Champion des Dames, de 1440, d’un
contemporain, Martin Le Franc, prévôt de la Cathédrale de Lausanne, où Jeanne
est représentée avec un chapeau de feutre, une sorte de chapeau haut de forme,
aux poils hérissés et à petits bords.
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Il est bien certain que, pour les hommes, la mode des
cheveux courts était générale dans les premières années du XVe siècle, et qu’on
en trouve de très nombreux exemples, comme dans la miniature du British
Museum où le duc de Bedfort, apparaît les cheveux courts, le cou resté
complètement nu et dégagé, et dans la statue de Charles d’Artois, dans la
crypte funéraire de l’église d’Eu. Mais il en est autrement pour les femmes.
C’est une faute très grave, un véritable péché mortel, sur lequel on basera
toute l’apostasie de Jeanne d’Arc. Dans sa seconde délibération sur ce cas, la
Faculté de décret de l’Université de Paris dira : « Item que ladite
femme est apostate, parce que la chevelure que Dieu lui donna comme un voile, quam
sibi Deus dedit ad velamen, elle s’est fait couper dans un mauvais dessein,
malo proposito sibi amputari fecit (Procès T. 1., p. 147). C’est
un des griefs principaux contre elle, qui sera porté dans l’article XII et XIII
de l’Acte d’accusation. L’accusateur considère ce fait de porter les cheveux
courts comme une atteinte à « l’honnêteté du sexe féminin, interdit par la
loi divine, abominable à Dieu et aux hommes et interdit par les sanctions
ecclésiastiques, sous peine d’anathème. » (Procès T. 1, p. 223) On
retrouve encore ce grief des cheveux courts, soulevé contre Jeanne
jusque dans la prétendue formule d’abjuration du Cimetière Saint-Ouen, où elle
se serait repentie d’avoir porté un habit contre la décence et « les cheveux
coupés en rond, comme les hommes, contre toute honnêteté du sexe féminin, capitos
tonsos in rotundum, more hominum, contra honestatem sexus muliebris. (Procès
T. 1., p. 449). Dans la formule en français, ces cheveux coupés courts sont
désignés par ces mots : « d’avoir porté les cheveux rougnez en rond en guise
de homme, contre toute honnesteté du sexe de femme. » Et, en cela, l’Eglise
ne faisait que suivre les prescriptions du Concile de Chalcédoine et une parole
de saint Paul dans la première Epitre aux Corinthiens, paragraphe 11,
ainsi formulée : « Toute femme qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée,
deshonore son chef. C’est comme si elle était rasée (Nombres V. 18 et Deutéronome,
XXI, 12). Car si une femme n’est pas voilée, qu’elle se coupe les cheveux. Or,
s’il est honteux pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée,
qu’elle se voile. » Ce texte est bien curieux, car c’est de lui que découle
toutes les prescriptions de l’Eglise, concernant la tenue des femmes dans les
sanctuaires ou dans les visites au Souverain Pontife. Saint Paul précise encore
sa pensée dans les termes suivants qui lui ont été empruntés par l’Université
de Paris, dans sa consultation : « Jugez en vous-même, dit saint Paul. Est-il
convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée ? La nature, elle-même, ne
nous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter les cheveux
longs, mais que c’est une gloire pour la femme d’en porter, parce que la
chevelure lui a été donnée comme voile ? »
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Quelle était la couleur de la chevelure de Jeanne
d’Arc ? Selon le chroniqueur Philippe de Bergame, dans son De claris
mulieribus, paru en 1497, « elle était très forte, de petite taille, brevi
statura, de figure paysanne, rusticana facie et de cheveux noirs, nigro
capillo. » Mais peut-on se fier à ce chroniqueur italien, dont les
assertions sont souvent douteuses ? Le greffier de la Rochelle, dans la
Relation du Livre noir de la Rochelle, publiée par Quicherat dans la Revue
historique (T. IV. 1877), assure aussi que les cheveux de Jeanne d’Arc
étaient noirs. Enfin, on aurait deux preuves matérielles, qui sont toutefois
bien fragiles. A une lettre que Jeanne adressa aux habitants de Riom, le 9
novembre 1429, qui fut découverte en 1844 aux Archives municipales de Riom par
le président Tailhand, était suspendu un cachet rouge, dont le revers était
seul conservé. On y voyait, dit Quicherat (Procès, T. V., p. 147), la
marque d’un doigt et le reste d’un cheveu noir, qui paraît avoir été mis
originairement dans la cire. Il est possible que ce cheveu ait appartenu à
Jeanne d’Arc. Il est admis, en effet, que d’après une coutume du moyen âge, on
insérait, pour affirmer l’authenticité du sceau, quelque partie ou fragment
corporel appartenant à l’envoyeur : un brin de barbe, un cheveu. Aussi bien, ce
cheveu noir, sur lequel on discutait, est-il disparu. Francis Perot, en
1889, écrivait au chanoine Th. Cochard, qui a spécialement étudié les Reliquiæ
de Jeanne d’Arc pouvant exister : « Le sceau de la lettre aux habitants de Riom
a perdu le cheveu avec le cachet. Il reste un petit fragment de ce
cachet, avec les traces des doigts qui ont pressé la cire. » On a dit qu’une
lettre de Jeanne d’Arc aux habitants de Reims (16 mars 1430) portait également
un cachet de cire rouge, traversé par un cheveu très noir. M. Francis Pérot,
dans sa notice sur Jeanne d’Arc en Bourbonnais, l’a affirmé, mais M. de
Mateyssie, bien connu à Rouen par ses travaux sur l’abjuration, qui était
possesseur de cette lettre, a gardé le silence sur cette question du cheveu
noir. Rien ne reste donc que l’affirmation du moine italien, soixante-dix ans
après sa mort. « La chose avait donc pu faire doute jusqu’à présent, écrit
Quicherat dans sa Relation inédite sur Jeanne d’Arc (Revue historique.
T. II, p. 328, année 1877), la chronique de la Rochelle la mettra désormais
hors de toute contestation. Elle affirme, en effet, que la Pucelle eut les
cheveux « noirs et ronds », dit le texte, c’est-à-dire coupés suivant cette
mode du XVe siècle, que Quicherat qualifie de hideuse, qui fit de la chevelure
comme une calotte posée sur un crâne. » Ajoutons un détail. La Pucelle, quand
elle arriva à Chinon, avait un «chapeau noir sur la tête et une robe courte de
gros gris noir», somme toute une sorte de costume de voyage.
Jeanne d’Arc n’apparut pas sur le lieu du supplice, devant le bûcher du
Vieux-Marché, portant les cheveux courts. Elle se montra la tête complètement
tondue et rasée, dans l’état où elle avait été laissée après l’abjuration du
cimetière Saint-Ouen. D’après le Procès, Jeanne, à son retour de la
cérémonie du cimetière Saint-Ouen, avait été entraînée jusqu’à la Tour vers
les champs, où elle avait accepté de revêtir l’habit de femme et, les
cheveux qu’elle portait auparavant, « coupés en rond, elle voulut bien et
permit qu’on les taillât et les rasât. » Il n’y a pas de doute sur le texte
latin, abradi et deponi, voluit et permisit.
Ce mot abradi veut dire « raser complètement », et on le trouve employé
dans le même sens par un chroniqueur espagnol, Lucas de Tuy, évêque de cette
ville. « Les instigateurs de sédition seront condamnés, les cheveux coupés et
la barbe rasée, abrasis barbis et les pieds nus. »
C’était même une peine infamante, la decalvatio, le « déchevelement ». A
tous ceux qui étaient considérés comme infâmes, aux adultères, aux proxénètes,
aux fous même – car la folie était souvent considérée comme une tare – on
rasait les cheveux et parfois même on les brûlait. Pour les adultères, on a un
exemple, la célèbre Marguerite de Bourgogne et sa soeur.
A Andely, par bonne estraîne
De tout
noble atour despoillées
Et puis résées
et roignées.
Cette rasure de la tête, on la pratiquait surtout, dit
Damboudère, dans sa Pratique des causes criminelles, sur les sorcières,
pour qu’elles ne puissent pas cacher dans leurs cheveux, des pentacles
magiques, pour les aider à supporter les douleurs de la torture. Du reste,
cette peine des têtes tondues, comme un opprobre, a existé jusqu’à la fin de la
Révolution pour les filles publiques, ainsi qu’en témoigne la gravure si connue
Le Transport des Filles de joie par Jeaurat. Elle existe encore dans nos
compagnies disciplinaires d’Afrique, dont Albert Londes a raconté toutes les
misères.
Jeanne d’Arc contrairement à la représentation qu’en donnent tous les peintres
et les sculpteurs, fut donc tondue et rasée, quand elle se présenta sur son
bûcher. Il n’est peut-être qu’un seul peintre Albert Maignan, qui dans une
illustration de l’ouvrage de Marius Sepet, ait représenté l’héroîne sous cette
apparence disgracieuse. D’autre part, Daniel Vierge et Willette l’ont
représentée mitrée, coiffée de la mître en papier si souvent employé à
Rouen, même pour les sorcières rouennaises, Jeanne la Turquenne, Jeanne
Vaneril, Alice la Rousse, Jeanne la Guillorée qui furent prêchées en face de la
Cathédrale ou de Saint-Ouen, en 1430, une année avant le supplice de Jeanne
d’Arc. Ces mîtres en parchemin, qui étaient conservées, comme pièces de justice
dans les prétoires, portaient en grosses lettres, l’inscription, rappelant
l’objet de l’inculpation, le nom et les prénoms. Un des témoins du procès
Clément de Fauquenberge, raconte qu’étaient écrits sur la mître de Jeanne d’Arc
ces mots : hérétique, relapse, apostate, idolâtre, mots empruntés à la
sentence qui la conduisit au bûcher.
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Par ces quelques
notes, on voit quelles graves réflexions suggèrent le port des cheveux courts
par Jeanne d’Arc, port qui s’expliquait par les conditions toutes spéciales où
elle se trouvait, et que la mode vient de remettre en vogue, après des siècles,
avec peut-être moins de raison.
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