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Gorge Dubosc Les Cheveux "à la Jeanne d’Arc" IntraText CT - Lecture du Texte |
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Texte Par un de ses
caprices, toujours ordonnés et suivis, la mode a imposé, depuis quelque temps,
aux jeunes femmes, de porter les cheveux courts. La plupart se soumettent à
cette mode soit par snobisme, soit parce qu’elle est plus commode et plus
pratique et exige moins de soins et de préparations que les coiffures
compliquées auxquelles se prêtaient les cheveux longs.
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A part le temps de sa première enfance, passée aux champs,
où, comme toutes les fillettes de ce temps, Jeanne d’Arc portait des cheveux
longs, flottants sur le dos, ou des cheveux nattés, pendant toute sa vie
guerrière, Jeanne a porté les cheveux courts, taillés en rond, comme les
portent actuellement les jeunes femmes et les enfants.
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Toujours est-il que quand Jeanne d’Arc se présenta à Chinon,
devant la Cour et le Roi, pour lui remettre la lettre de Baudricourt, elle
était en cheveux courts. Une des gravures sur bois de l’édition de 1487 des Vigiles
du roi Charles VII, de Martial d’Auvergne, représente fort bien Jeanne, en
costume d’homme, nue tête, un genou en terre, les cheveux courts, et tenant en
main un chapeau . Il est, du reste, fait mention de ces chapeaux de Jeanne
d’Arc, en plusieurs pièces du Procès de condamnation. Tout d’abord, dans
la Requête du Promoteur, où il est dit qu’elle avait « sur la tête des bonnets
ou des chapeaux » etiam in capite capellos seu pileos. (Procès.
T. I. p. 224) et en un autre article de la même Requête, où il est dit qu’elle
portait un chaperon court, capucio deciso. On connaît aussi le petit
chapeau couvert de satin bleu, chapeau d’apparat, avec quatre rebras, brodés
d’or avec des fleurs de lys d’or suspendues, que Jeanne d’Arc aurait offert à
Jacques Boucher, trésorier du duché d’Orléans. On sait que d’après une
tradition orléanaise, il fut conservé chez les Oratoriens, puis chez Mme de
Saint-Hilaire où des bandes révolutionnaires, conduites par Léonard Bourdon, en
septembre 1792, s’en emparèrent et le détruisirent par le feu.
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Il est bien certain que, pour les hommes, la mode des cheveux courts était générale dans les premières années du XVe siècle, et qu’on en trouve de très nombreux exemples, comme dans la miniature du British Museum où le duc de Bedfort, apparaît les cheveux courts, le cou resté complètement nu et dégagé, et dans la statue de Charles d’Artois, dans la crypte funéraire de l’église d’Eu. Mais il en est autrement pour les femmes. C’est une faute très grave, un véritable péché mortel, sur lequel on basera toute l’apostasie de Jeanne d’Arc. Dans sa seconde délibération sur ce cas, la Faculté de décret de l’Université de Paris dira : « Item que ladite femme est apostate, parce que la chevelure que Dieu lui donna comme un voile, quam sibi Deus dedit ad velamen, elle s’est fait couper dans un mauvais dessein, malo proposito sibi amputari fecit (Procès T. 1., p. 147). C’est un des griefs principaux contre elle, qui sera porté dans l’article XII et XIII de l’Acte d’accusation. L’accusateur considère ce fait de porter les cheveux courts comme une atteinte à « l’honnêteté du sexe féminin, interdit par la loi divine, abominable à Dieu et aux hommes et interdit par les sanctions ecclésiastiques, sous peine d’anathème. » (Procès T. 1, p. 223) On retrouve encore ce grief des cheveux courts, soulevé contre Jeanne jusque dans la prétendue formule d’abjuration du Cimetière Saint-Ouen, où elle se serait repentie d’avoir porté un habit contre la décence et « les cheveux coupés en rond, comme les hommes, contre toute honnêteté du sexe féminin, capitos tonsos in rotundum, more hominum, contra honestatem sexus muliebris. (Procès T. 1., p. 449). Dans la formule en français, ces cheveux coupés courts sont désignés par ces mots : « d’avoir porté les cheveux rougnez en rond en guise de homme, contre toute honnesteté du sexe de femme. » Et, en cela, l’Eglise ne faisait que suivre les prescriptions du Concile de Chalcédoine et une parole de saint Paul dans la première Epitre aux Corinthiens, paragraphe 11, ainsi formulée : « Toute femme qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, deshonore son chef. C’est comme si elle était rasée (Nombres V. 18 et Deutéronome, XXI, 12). Car si une femme n’est pas voilée, qu’elle se coupe les cheveux. Or, s’il est honteux pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée, qu’elle se voile. » Ce texte est bien curieux, car c’est de lui que découle toutes les prescriptions de l’Eglise, concernant la tenue des femmes dans les sanctuaires ou dans les visites au Souverain Pontife. Saint Paul précise encore sa pensée dans les termes suivants qui lui ont été empruntés par l’Université de Paris, dans sa consultation : « Jugez en vous-même, dit saint Paul. Est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée ? La nature, elle-même, ne nous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter les cheveux longs, mais que c’est une gloire pour la femme d’en porter, parce que la chevelure lui a été donnée comme voile ? »
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Quelle était la couleur de la chevelure de Jeanne
d’Arc ? Selon le chroniqueur Philippe de Bergame, dans son De claris
mulieribus, paru en 1497, « elle était très forte, de petite taille, brevi
statura, de figure paysanne, rusticana facie et de cheveux noirs, nigro
capillo. » Mais peut-on se fier à ce chroniqueur italien, dont les
assertions sont souvent douteuses ? Le greffier de la Rochelle, dans la
Relation du Livre noir de la Rochelle, publiée par Quicherat dans la Revue
historique (T. IV. 1877), assure aussi que les cheveux de Jeanne d’Arc
étaient noirs. Enfin, on aurait deux preuves matérielles, qui sont toutefois
bien fragiles. A une lettre que Jeanne adressa aux habitants de Riom, le 9
novembre 1429, qui fut découverte en 1844 aux Archives municipales de Riom par
le président Tailhand, était suspendu un cachet rouge, dont le revers était
seul conservé. On y voyait, dit Quicherat (Procès, T. V., p. 147), la
marque d’un doigt et le reste d’un cheveu noir, qui paraît avoir été mis
originairement dans la cire. Il est possible que ce cheveu ait appartenu à
Jeanne d’Arc. Il est admis, en effet, que d’après une coutume du moyen âge, on
insérait, pour affirmer l’authenticité du sceau, quelque partie ou fragment
corporel appartenant à l’envoyeur : un brin de barbe, un cheveu. Aussi bien, ce
cheveu noir, sur lequel on discutait, est-il disparu. Francis Perot, en
1889, écrivait au chanoine Th. Cochard, qui a spécialement étudié les Reliquiæ
de Jeanne d’Arc pouvant exister : « Le sceau de la lettre aux habitants de Riom
a perdu le cheveu avec le cachet. Il reste un petit fragment de ce
cachet, avec les traces des doigts qui ont pressé la cire. » On a dit qu’une
lettre de Jeanne d’Arc aux habitants de Reims (16 mars 1430) portait également
un cachet de cire rouge, traversé par un cheveu très noir. M. Francis Pérot,
dans sa notice sur Jeanne d’Arc en Bourbonnais, l’a affirmé, mais M. de
Mateyssie, bien connu à Rouen par ses travaux sur l’abjuration, qui était
possesseur de cette lettre, a gardé le silence sur cette question du cheveu
noir. Rien ne reste donc que l’affirmation du moine italien, soixante-dix ans
après sa mort. « La chose avait donc pu faire doute jusqu’à présent, écrit
Quicherat dans sa Relation inédite sur Jeanne d’Arc (Revue historique.
T. II, p. 328, année 1877), la chronique de la Rochelle la mettra désormais
hors de toute contestation. Elle affirme, en effet, que la Pucelle eut les
cheveux « noirs et ronds », dit le texte, c’est-à-dire coupés suivant cette
mode du XVe siècle, que Quicherat qualifie de hideuse, qui fit de la chevelure
comme une calotte posée sur un crâne. » Ajoutons un détail. La Pucelle, quand
elle arriva à Chinon, avait un «chapeau noir sur la tête et une robe courte de
gros gris noir», somme toute une sorte de costume de voyage.
A Andely, par bonne estraîne
Cette rasure de la tête, on la pratiquait surtout, dit
Damboudère, dans sa Pratique des causes criminelles, sur les sorcières,
pour qu’elles ne puissent pas cacher dans leurs cheveux, des pentacles
magiques, pour les aider à supporter les douleurs de la torture. Du reste,
cette peine des têtes tondues, comme un opprobre, a existé jusqu’à la fin de la
Révolution pour les filles publiques, ainsi qu’en témoigne la gravure si connue
Le Transport des Filles de joie par Jeaurat. Elle existe encore dans nos
compagnies disciplinaires d’Afrique, dont Albert Londes a raconté toutes les
misères.
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Par ces quelques notes, on voit quelles graves réflexions suggèrent le port des cheveux courts par Jeanne d’Arc, port qui s’expliquait par les conditions toutes spéciales où elle se trouvait, et que la mode vient de remettre en vogue, après des siècles, avec peut-être moins de raison.
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