Texte
Après avoir
consacré une chronique à décrire l’ancien Bonnet de coton, coiffure
ordinaire des Normands, comment ne pas chanter le los des anciennes coiffes
normandes, si élégantes, si originales, si variées, suivant les terroirs et les
pays, comme les coiffes bretonnes, mais d’une autre somptuosité décorative ?
Elles n’apparaissent plus dans toute leur grâce frèle et légère, mais
cependant, dans quelques grandes fêtes, comme celles de Deauville, dans
quelques bals normands, ou quelques réunions enfantines, on les revoit avec
plaisir, sans trop connaître toutefois leurs origines, leur histoire, et
surtout leur diversité et leur fantaisie élégante.
Le véritable point caractéristique de la toilette normande, c’était cependant
le Bonnet cauchois, la grande coiffe de mousseline qu’on rencontre, du
reste, partout. Du Pays de Caux à l’Avranchin, du Roumois au Cotentin, c’était
toujours la même disposition en hauteur, qui ajoutait encore à la stature de la
femme normande, qui a toujours été de belle taille, tant qu’elle a vécu aux
champs.
Michelet, qui a souvent parcouru la Normandie, n’a eu garde d’oublier cette belle
allure des Normandes, grandies encore par leur bonnet.
Le bonnet triomphal des femmes de Caux, a-t-il dit, qui annonce si dignement
les filles du Conquérant de l’Angleterre, s’évase vers Caen, s’aplatit à
Villedieu. A Saint-Malo, il se divise et figure au vent, tantôt les ailes d’un
moulin, tantôt les voiles d’un vaisseau.
Qu’était-ce au fond que cette coiffure de toile, majestueuse, riche et variée ?
Qu’était-ce, sinon un souvenir du hennin du moyen âge, qui, lui-même,
d’après Maillot dans ses Recherches sur le costume, s’était inspiré des
hauts bonnets coniques des femmes de la Syrie et de la Phénicie antique ? Et,
ainsi à travers les âges, le Bonnet du pays de Caux va rejoindre la tiare de
Salammbô !... Moins fastueux que les hennins d’Isabeau de Bavière, moins
hauts et arrogants que les Cornes merveilleuses que les fougueux
prédicateurs du Moyen Age, entre autres Pierre de Clémangis, maudissaient comme
les « cornes du diable », les bonnets normands, avaient gardé les grandes
lignes des hennins d’autrefois, tempérées et modérées toutefois par la
sagesse du terroir et parés d’une grâce plus légère.
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Le véritable type
de cette coiffe normande, c’était surtout le Bonnet du pays de Caux. Mme
Amable Testu, qui fut une des agréables poétesses du romantisme, le décrivait
ainsi : « Les cheveux relevés avec soin, sont couverts d’une petite toque en
drap d’or ou d’argent, sur laquelle s’attachait un grand voile de mousseline,
dont les barbes descendaient jusqu’à la ceinture, bordées de dentelles de Valenciennes
ou d’Angleterre. » Le fait est vrai, car il y avait certaines coiffures de
noces ou de fêtes des riches fermières, valant jusqu’à 1.000 ou 1.500 francs,
selon les dentelles qui les ornaient. Et dans le pays de Caux, tels de ces
bonnets splendides, arboraient jusqu’à neuf aunes de dentelles !
Les dentelles qui paraient les sabots de drap d’or des Bonnets
cauchois étaient, contrairement à ce que dit Mme Amélie Bosquet, de
merveilleuses dentelles normandes d’Alençon, au point de France, ou des pièces
d’Argentan, que les Normandes se transmettaient de mères en filles. Les
ateliers de dentellières créés en Basse-Normandie vers 1655 par Colbert,
furent, en effet, très vraisemblablement l’origine des coiffes normandes. On a
souvent dit qu’elles dataient du commencement du XIXe siècle. A notre avis, la Coiffe
normande a été adoptée en pays normand, bien antérieurement, et il y avait
à l’Exposition du Millénaire normand, en 1911, un tableau de Lemonnier,
appartenant, croyons-nous, au comte de Bagneux, qui représentait vers la fin du
XVIIIe siècle, une Nourrice normande tenant un petit enfant dans ses
bras, qui portait un superbe Bonnet cauchois d’apparat, dont on pouvait
examiner les moindres détails, reproduits avec un très grand soin. Les cornets
de drap d’or, les carcasses des coiffes cauchoises, brodées parfois au point de
couchure, agrémentées parfois aussi de cabochons, de paillettes brillantes, ont
souvent été conservées. On en trouve dans l’intéressant musée Voisin, de
Fauville, dans les musées de Caudebec-en-Caux ou de Fécamp, dans les petites
vitrines de certaines collectionneuses. Mais il est plus difficile de
rencontrer des Bonnets Cauchois complètement montés. Comment retrouver
l’agencement presque traditionnel et spécial, suivant les terroirs et les
paroisses, de ces fouillis de dentelles et de barbes retombantes ? C’était
chose très difficile… et il nous souvient que lors d’une Exposition de coiffes
normandes authentiques, à Rouen, on fut très heureux de retrouver – il y a une
vingtaine d’années – une vieille brave femme qui de ses pauvres doigts gris
que fait trembler le temps voulut bien retrouver les plis, les plissés, les
complications d’un bonnet bas-normand.
Il est à remarquer que pendant la Révolution, les Normandes ne modifièrent pas
la forme de leurs coiffes et, dit le Dr Stephen Chauvet, dans sa Normandie
ancestrale, n’adoptèrent pas les coiffures révolutionnaires. Le bon sens et
le traditionalisme de nos compatriotes triomphèrent de la mode.
Comment un tel édifice de dentelles, de toile et parfois de rubans pouvait-il
tenir sur la tête des belles Normandes ? On peut s’en rendre compte par un
dessin Les préparatifs de la fête villageoise. Sous le bonnet, on
plaçait, en effet, une sorte de serre-tête, une bande de toile étroite, parfois
ruchée sur le devant, fixée fortement par derrière. C’est sur ce frontal
qu’on assujettissait la cornette de drap d’or et la haute coiffure aux barbes
flottantes, par de grandes épingles d’or, comme les épingles de chapeau,
traversant la chevelure de part en part. Très souvent encore, le bonnet était
aussi retenu par des brides de velours noir, fort seyantes, passant sous le
menton, des gorgières, des mentonnières, et parfois sur le front,
par des ferronnières. Les simples coiffes normandes qui n’étaient pas fixées
sur les cornettes de drap d’or ou d’argent, dit le docteur Stéphen Chauvet,
étaient montées sur des fonds de carton, recouvert généralement d’un papier
bleu glacé, qui emboitaient la tête. Sur le bord antérieur de ces fonds de
coiffe, étaient placés de petits ornements de cuivre, des feuilles, des fleurs,
des abeilles. Sur ce carton étaient attachés des fils de cuivre, toute une
armature qui soutenait intérieurement la coiffe et lui permettaient d’avoir sa
forme particulière. A l’arrière de la coiffe – et Lanté en a donné plusieurs
exemples – se trouvait un noeud de ruban de soie dont les deux bouts pendaient
sur la nuque.
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Si diverses, si
originales, si variées furent les coiffes normandes de jadis, si fantaisistes
parfois qu’il a toujours été difficile de les classer et même parfois de les
décrire. En les examinant cependant de plus près, on s’aperçoit qu’elles ne
sont que les transformations d’un type très simple, modifié souvent par le
caprice et parfois les écarts d’un goût qui tombe dans l’exagération. Quelques
auteurs et dessinateurs s’en sont seulement occupés. C’est le dessinateur
Lalaisse, dans ses belles lithographies coloriées de la Normandie illustrée.
Ce sont les dessinateurs des Français peints par eux-mêmes - notamment
Hippolyte Bellangé et Pauquet, dans la monographie du Normand, par Emile
de la Bedollière. C’est Edouard Vasse, dans une très belle série de dix grandes
lithographies coloriées, dans un album paru chez Aubert.
C’est Hyacinthe Langlois qui a donné quelques costumes de Pont-de-l’Arche.
C’est Théodore Liebart dans son livre paru en 1906, sur le Costume normand.
C’est Masson de Saint-Amand, qui orne son amusant volume sur l’Estuaire de
dessins coloriés représentant certains costumes. C’est encore le lyrique poète
Charles-Théophile Féret, qui, en vers improvisés, a chanté tous les glorieux
bonnets d’antan.
En Caux, la corne d’abondance
Arbore son outrecuidance
Superbe ;
Un rite grec de Canéphore
Sur le faîte blanc lie encore
La gerbe.
Dieppe, dont le chignon simule
Un talon d’un soulier de tulle
Se pare
Saint-Valery porte une mître ;
Au Bois d’Enbourg prévaut ce titre
La tiare !
C’est encore de
nos jours Les Usages et coutumes de Dieudonné Dergny, toute une suite de
coiffes dessinées naïvement par Winkler : coiffes de Granville,
Bretteville-l’Orgueilleuse, Cherbourg, Neuville, Formerie, Montfort-sur-Risle,
Isigny, Etrépagny, Preuseville, Foucarmont, Conches, Bayeux, Les Andelys,
Saint-Valery, Alvimare, Pont-l’Evêque, Menneval, Ivry, Le Tréport et bien
d’autres encore.
Mais le seul recueil documentaire, précis, qui nous renseigne d’une façon
charmante sur la variété des coiffures normandes, c’est le recueil bien connu
de Lanté. Lanté était un paysagiste, devenu un dessinateur de modes fort
habile, qui poursuivant un travail commencé par Pêcheux, eut l’idée, en 1826,
de parcourir la campagne normande et de dessiner d’après nature, toute une
série de bonnets normands. Déjà la Coiffe normande, qui régnait encore
dans les campagnes, n’apparaissait pas dans les villes et il raconte qu’ayant
trouvé chez un marchand d’estampes du Havre, un type du Bonnet cauchois
de Rolleville, il fut obligé d’en coiffer une jeune fille, parente de son hôte,
pour le dessiner. Son ouvrage, gravé très finement par Gastine. Costumes de
femmes du Pays de Caux et de plusieurs parties de l’ancienne province de
Normandie paraissait chez l’éditeur Crapelet, en 1827, avec ce sous-titre :
Cent cinq costumes des départements de la Seine-Inférieure, du Calvados, de la
Manche et de l’Orne. A Paris, Durand aîné, rue de la Paix, n° 4 bis et à
Caen.
Nombreux y sont les types du véritable Bonnet Cauchois. Ici, sur la tête
d’une jeune femme, prieure d’une confrérie de Limpiville, offrant le pain
bénit. Là, coiffant une jeune fille de Saint-Clair, près d’Yvetot. Là encore,
avec une cornette de velours noir, coiffure de deuil de la femme d’un trésorier
de l’église d’Yvetot, qui avait perdu sa mère. D’autres variétés du Bonnet
Cauchois, dans toute sa pureté, apparaissent encore à Bolbec et à
Saint-Valery, mais dans cette dernière ville, les pêcheuses portaient
d’ordinaire, un petit bonnet en étoffe colorée, pointu comme une tiare, dont
Lanté a dessiné plusieurs types, par devant et par derrière.
Autrefois le bonnet des ouvrières de Rouen et des villages des environs,
surtout de celles de Val-de-la-Haye et de Dieppedalle, aujourd’hui complètement
disparu, était le Bavolet. C’était une pièce de mousseline, posée sur le
milieu du front, dont la passe et le fond étaient complètement recouverts par
les barbes. Celles-ci se composaient d’une longue pièce, également en
mousseline, doublée dans le sens de sa largeur. On le posait par le milieu sur
le front, puis on en relevait les extrémités pour les entre-croiser, l’une sur
l’autre, après avoir formé un très large pli tombant jusqu’au-dessous de
l’oreille. Cette coiffure, par entre-croisement, avait beaucoup de grâce et
d’ampleur.
Parmi les coiffes normandes assez simples et exclusivement composées de
lingerie, voici le Bonnet de Lisieux, au fond petit et haut, placé tout
au sommet du bonnet, avec la passe un peu flottante à laquelle se rattachent
les barbes, cousues à l’entour, qui étaient très tuyautées et placées dans la
partie tournant, sur les côtés. Sur ces hautes passes, on attachait aussi de
riches épingles et l’on posait des noeuds de ruban et de très légères
guirlandes de fleurs. A Dieppe, la coiffure dont la passe formait comme
un sabot relevé, les barbes plissées et tuyautées, se rabattaient sur
les oreilles, en encadrant le visage de la femme d’une façon originale. Le
bonnet de Lisieux était le modèle coquet et hardi, des coiffes de Pont-l’Evêque
et d’Argentan.
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Que citer encore
? Les grandes coiffes de la Manche, dont les fonds se développaient,
s’élargissaient avec toute l’exagération et l’extravagance féminine et dont les
barbes ressemblaient à de grandes ailes d’oiseaux de mer. On en voyait
autrefois plusieurs types très différents sur la route de Bayeux à Coutances et
de Coutances à Granville, se repliant sur eux-mêmes, comme un cimier d’une
ampleur demesurée. A Coutances même, Lanté en a dessiné trois types très
variés. Ils se partageaient parfois en deux parties et formaient ainsi,
au-dessus des barbes, une seconde paire de larges ailes blanches dont le
contour, ainsi que nous l’avons dit, était maintenu par un fil de laiton sur la
tête des Coutançaises qui la portaient. C’était un gigantesque papillon au vol
déployé.
Ne vous étonnez pas, après cela, que les paysannes de la Manche fussent
toujours affublées du grand parapluie normand, en étoffe rouge, à baleines et
anneau de cuivre, à bec de corne, qui, en ces climats humides, abritaient ces
immenses coiffures. Jamais, pourtant, dit Lanté, les Normandes, ne perdaient…
leurs bonnets. Ils résistaient solidement à toutes les bourrasques, parce
qu’ils étaient solidement bridés et haubannés, comme leurs barques.
N’oublions pas non plus les bonnets ruchés ou piqués des écailllères et des «
midinettes » du Havre ; les bonnets des servantes de Varengeville,
ou la simple coiffe, ouverte et tombante, en grands plis symétriques, des Polletaises,
non plus que les Cornettes de Cherbourg, aux ailes relevées, assez
courtes de façon à ne pas être froissées par la lanière de cuir passant sur le
front et qui servait aux laitières du Cotentin à retenir leurs cannes sur
l’épaule, ces belles cannes de cuivre, qu’on fabriquait à
Villedieu-les-Poëles.
Restent encore mille coiffes qui sont des fantaisies plus ou moins originales
sur le principal thème : la Coiffe de Caen, à la passe très haute,
chiffonnée avec deux longues barbes, tombant de chaque côté jusque sur les
épaules ; la Coiffe d’Isigny, très originale, avec sa passe ample, en
forme de coeur, et les barbes étroites attachées sur le devant, descendant
jusque sur le col ; la Coiffe d’Alençon, toute en lingerie, à passe
haute, dont les barbes se rejoignent très plissées en arrière ; la Coiffe de
Honfleur, que Lanté trouve « étroite et mal posée » et qui est charmante,
avec sa passe renversée d’où se détachent deux étages de mousseline, en plissés
« Soleil ».
Reste encore la Coiffe bayeusaine, la bonnette encore si répandue
dans tout le Bessin, coiffure basse qui rappelait jadis les coiffes
boulonnaises, aujourd’hui rapetissées et réduites que le peintre Levavasseur,
qui exposait dernièrement à Rouen, reproduit si souvent dans ses toiles de
foires ou d’assemblées normandes. Lanté ne l’a point représentée, mais Lalaisse
l’a dessinée d’après un modèle ancien où elle apparaît, sur la tête d’une
Caennaise, beaucoup plus haute qu’aujourd’hui.
N’oublions pas, à l’autre bout de la Normandie, les coiffes si originales des
Granvillaises, qui ont la réputation d’être les plus jolies femmes du pays
normand. Toute l’originalité du Bonnet granvillais consistait dans
l’arrangement des barbes. Sur le bonnet collant à la tête, on couchait les deux
barbes l’une sur l’autre, dit Mme Amélie Bosquet, puis on les ramenait du côté
opposé où elles restaient flottantes. Alors, on chiffonnait l’ensemble sur le
front et des droits légers dressaient là deux petites cornes séduisantes.
Quand une Granvillaise, ainsi coiffée, apparaissait dans sa grande mante de
drap blanc ou encore mieux sous son capot dont le capuchon l’emboîtait,
l’effet de cette frêle et jolie coiffure était vraiment charmant et gracieux.
Le capot était une espèce de manteau de drap noir – drap de Saint-Cyr, dit
Lanté – doublé de flanelle ou de satin blanc, surmonté d’un collet, d’où se rabattait
le capuchon ou capot maintenu autour de la tête par la raideur de la doublure.
Le capot suppléait au parapluie, dont on ne pouvait user dans cette ville
battue par tous les vents de l’Océan. Toujours est-il qu’il avait donné aux
Granvillaises qui le portaient, l’habitude de se draper avec un art très
féminin.
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Bien entendu,
toutes ces hautes coiffures étaient conservées dans les bonnetières si
recherchées aujourd’hui dans le monde de la curiosité, petites armoires
sculptées, qui n’existèrent cependant, que dans la Haute-Normandie. Le peintre
Léon Le Clerc et le docteur Stephen Chauvet sont à peu près d’accord, pour dire
que la bonnetière n’a point existé en Basse-Normandie. Toutes ces hautes
coiffures normandes, qui faisaient l’ébahissement des Parisiens, quand ils
rencontraient à Paris quelque riche fermière normande, étaient des coiffures de
fête, de grande parure et d’apparat. Dans la vie ordinaire, on se contentait de
coiffure plus modeste, la simple cornette, la calipette du
Roumois, ou le pierrot. On remisait aussi le chignon des grands jours,
le faux chignon, que les Cauchoises étaient fières d’arborer sur la nuque, dans
l’échancrure de leurs hauts bonnets, car ils témoignaient par là, de leurs
fortunes. Jusqu’en 1827, les jeunes paysannes dans les foires, vendaient leurs
cheveux à des charlatans, qui coupaient leur chevelure en plein marché et la
troquaient, suivant ce qu’en rapporte Lanté, contre quelques colifichets.
En temps de deuil, on voilait tous ces hauts bonnets, parfois d’un grand voile
de crêpe de soie, ou si le bonnet était une coiffure basse, on couvrait sa
passe d’une pièce d’étoffe noire, repliée comme un mouchoir, et qu’on appelait
une thérèse. Aujourd’hui, toutes les jolies coiffes que nous venons de
décrire, se sont envolées. Aussi, les fête-t-on, quand elles apparaissent
encore, pour quelques heures, sur les cheveux blonds ou bruns des Normandes
d’aujourd’hui.
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