I
Les Complaintes - Les calendriers - Les « canards
»
Quand jadis on grimpait jusqu’à l’église de Bonsecours, aux jours de grandes
fêtes, arrivé sur le plateau des Aigles, on suivait en tournant à gauche, près
d’une pâtisserie populaire, le chemin de l’église, ruelle à moitié campagnarde,
bordée d’un côté par des maisons et des murs, et de l’autre, par des haies
verdoyantes. En quelques pas, on atteignait le sanctuaire.
Or, le long de ce chemin, on rencontrait une véritable exposition d’images
populaires, pendues sur des ficelles, qui se succédaient et paraient, de leurs
vives couleurs, la nudité des murs. Quelles images ne figuraient pas dans cette
collection en plein-vent ? Il y avait là le Juif errant et Geneviève
de Brabant, la mélancolique complainte de Damon et Henriette :
Henriette était fille
D’un baron de renom.
D’ancienne bonne
famille,
Etait le beau Damon.
Elle était faite au
tour.
Elle était jeune et
belle,
Et d’un parfait amour
Elle était le modèle !
Et puis, tenues par des épingles en bois, sur les cordes tendues, il y avait
encore là d’autres feuilles : Pyrame et Thisbé, la complainte de la Bête
de Gévaudan, L’arbre d’amour, Les degrés de la vie, puis l’amusant Crédit
est mort, les mauvais payeurs l’ont tué, et Le grand diable d’argent,
dont on tire la.…. queue, toute une iconographie tour à tour sentimentale,
pittoresque et amusante ! La plupart de ces feuilles volantes sortaient du
célèbre atelier de Pellerin à Epinal, mais il y en avait aussi quelques-unes
qui portaient la marque des fabriques rouennaises, comme Lecrène-Labbé et bien
d’autres.
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Rouen, en effet, fut un centre fort important pour l’imagerie populaire, pour
les cartes à jouer et pour tout ce qu’on appelait autrefois la dominoterie
et les papiers de tenture. On est à peu près sûr maintenant que notre ville,
avec la fabrique de Le François et avec Papillon et ses papiers brillants, fut
le berceau de l’industrie, si prospère aujourd’hui, des papiers veloutés et
drapés, des papiers décorés à l’aide de tontisses de draps. A Rouen, les
Imagiers créant les images populaires formaient la corporation des
Cartiers-Dominotiers-Feuilletiers, dont le bailli Jean d’Estoutteville avait
rédigé, en 1540, les statuts, confirmés en 1550 par Henri II et en 1588 par
Henri III. Ces anciens statuts, devenus insuffisants, furent revisés et
modifiés encore par François de Houppeville, lieutenant du Bailliage, et
confirmés par Louis XV en 1730.
On y voit que les trois gardes du métier étaient tenus de visiter tous les
maîtres particuliers, aussi bien pour les cartes, que pour les images, les
feuillets comme on disait alors. Après serment, le jeune ouvrier, devait
servir pendant quatre ans d’apprentissage, avant d’être admis au chef d’oeuvre.
Les fils et les filles des maîtres étaient reçus sans apprentissage et sans «
chef-d’oeuvre ». Les veuves jouissaient des privilèges et des prérogatives de
leurs maris et pouvaient travailler, avoir un apprenti, tenir boutique, mais
seulement quand elles restaient veuves.
Un article de ces statuts est à noter. C’est celui qui exige que tout Imagier
Dominotier, voulant travailler au «métier», doit déposer une marque
particulière et différente de celle des autres maîtres, pour la faire imprimer
sur les enveloppes de ses marchandises, « laquelle marque sera présentée par
les gardes à l’assemblée des maîtres et empreinte sur un tableau général. »
Devaient ainsi figurer sur cette marque leur nom, surnom et la rue de Rouen, «
où ils demeureront. »
Or, ce livre extrêmement curieux, formant un recueil de tous les Imagiers
Dominotiers, de leurs marques, de leurs devises, de leurs adresses, ayant vécu
à Rouen, depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe, existe bel
et bien. Il est extrêmement curieux et illustré de toutes ces marques,
rehaussées de couleurs. C’est un document unique pour l’histoire de l’imagerie
rouennaise. Récemment, dans leur très beau livre sur l’Imagerie populaire,
Pierre-Louis Duchartre et René Saulnier, en ont extrait une liste de plus de
350 noms d’artisans, maîtres-imagiers rangés par ordre alphabétique de
familles. Voici les Amette, qui vont de 1687 à 1708 ; les Amy qui avaient pour
devise : « Si tu trouves un emy, tu rencontres un trésor » ; les Baudart ; les
Bernières ;les Bougon ; les Carpentier : Au Colomb royal ; les de Hautot
; Au coeur royal, rue du Gros-Horloge, au XVIIe siècle,que notre
concitoyen Georges Ruel, avait ressuscité dans son originale exposition
d’imagerie de la rue Saint-Romain, en 1907.
Viennent encore : les Delamare : A la perle royale ; toute la lignée des
Delespine, qui porte pour devise : A l’Espine fleurissante et à L’Espine
couronnée ; les Dubosc ; les Dugripont ; les Follope et leur devise morale
: « Priant, lisant, apprend qu’il faut espérer tout bonheur d’en haut ».Très
nombreuse est aussi la tribu des Guérin ; celle des Guerould et des Goujon, qui
débutent en 1540 ; les Hellebout ; Pierre Hellot qui arbore comme devise : «
Dieu est mon ayde pour tout espoir », devise gravée sur une des poutres de
l’ancienne maison de la rue du Bon-Espoir, au Musée des Antiquités.
Voici maintenant : les Le Cauchois ; les Lecornu, qui portent pour marque une
licorne avec ces mots : « La Licorne déjetant tout venin » ; les Le Feugueux et
Guillaume Lynant, au haut de la rue Grand-Pont ; Les Lemoine : Aux armes de
la ville de Rouen ; toute la lignée des Le Roux ; les Lesueur ; les Le
Testu ; les de Lynant ; un Jehan Mollière qui remonte à 1540 ; les Paillette ;
les Paumier ; les Picquefeu : Au Cerisier couronné ; toute la suite des
Primoult ; les Savonay : Au bon marchand ; Jacques Subito ; les
Thiboutot ; les Thieuvin, en 1541 ; les Thubeuf ; Vincent marin, qui avait une
devise bien originale : « Quiconque se veut divertir, se joue avec la perdrix
». Et nous en passons et des meilleurs ! Au fond, ce cercueil des marques des
Cartiers-Dominotiers, est du plus vif intérêt et c’est un bonheur inespéré que
d’avoir pu retrouver la liste entière de ces artisans, qui pendant trois
siècles ont gravé, enluminé et vendu les images populaires, jusqu’au milieu du
XVIIIe siècle où les Maîtres-imprimeurs se mirent aussi à fabriquer des images.
Eh bien de tous ces Imagiers rouennais, si nombreux, se succédant de famille en
famille, ayant tiré des milliers d’images, c’est à peine si quelques oeuvres
ont survécu au cours des siècles. Notre concitoyen et ami Georges Ruel possède
pourtant une de ces images. C’est le Cantique spirituel où sont représentés
les mystères de la Passion de N.S.J.C. chanté sur le chant « Enfin, j’aime
tant », à Rouen, chez la Veuve Le Feugueux et Guillaume Lynant, en haut
de la Rue Grand-Pont, sur un «bois» du XVIIe siècle, édité d’abord par le
premier Le Feugueux, en 1661. Cette planche est coloriée en vermillon, en violet,
en jaune et en gris clair. Elle était collée sur les plats d’un carton à
bonnets, que, par privilège, les Cartiers avaient le droit de fabriquer, ainsi
que les étuis à chapeaux.
A l’Exposition de l’Imagerie populaire, qui avait été si pittoresquement
organisée, dans la vieille maison de la rue Saint-Romain, figuraient aussi, de
la fabrication de A. C. de Hautot, un Saint-Pierre, une N.-D. de la
Délivrande, un fragment d’une Sainte-Catherine, trouvés aussi dans
un carton à chapeaux. Comme on le voit, les images populaires anciennes,
fabriquées par la corporation des Cartiers-Dominotiers sont extrêmement rares à
Rouen, avant que les Maîtres-imprimeurs ne s’en mêlent.
Comment les Cartiers exécutaient-ils ces images si recherchées aujourd’hui ? En
gravant leurs planches, sur du bois de poirier, au grain fin et serré, avec un
outillage très simple et très primitif. A Epinal, les graveurs se servaient
d’une sorte de pointe ou clou, emmanchée dans un couteau. Le graveur
d’image Garnier dit qu’on se servait aussi de ressorts de montres, fixés à un
manche en forme de fuseau, tenu par des ficelles enroulées. Notre concitoyen,
le bon poète Francis Yard, l’auteur de l’An de la terre, qui aime à
orner de « bois » ses poèmes, use ainsi de baleines de parapluies, taillées et
emmanchées. Des butavants et des gouges pour échopper les blancs, complétaient
l’outillage. Le travail ne pouvait être très délicat ; il était fait à gros
traits indiquant le contour et supportant le tirage. Par la suite, quelques
hachures, séparées par des contre-tailles, achevaient l’oeuvre.
Pour l’impression en noir, d’après Garnier, on fixait le « bois » avec des
clous sur la table de l’atelier et, à l’aide d’une brosse à longs poils, on
l’imprégnait d’un ton noir, formé de noir de fumée et de colle de peau. On
plaçait dessus la feuille de papier d’Auvergne, souvent un peu bleuté et on
obtenait l’impression, au frottoir ou frotton fait de crin et de
colle forte. Plus tard, on usa de la presse en bois, puis de la presse
métallique…
Tout était ensuite dans le coloriage, la joie, l’allégresse du coloris qui
plaît tant aux enfants, aux simples, au peuple ! Le coloris de la vieille
imagerie a toujours été frais, chantant, gai. Jamais de tons faux ou criards
avec les anciennes couleurs. Les tons faux, violacés ou bleus fadasses, n’ont,
en effet, fait leur apparition qu’en 1880, avec les couleurs chimiques
d’aniline. Les couleurs, toujours d’après Garnier, étaient peu nombreuses.
Elles se réduisaient, au rouge, au bleu, au jaune et brun, et à un rouge clair
appelé rosette. Le violet et le vert étaient obtenus par superposition
de deux tons. Les laques étaient conservées dans des pots de grès. La graine
d’Avignon fournissait le brun ; la rosette était extraite du bois du
Brésil et le brun provenait de la terre de Sienne. Pour le collage de ces
couleurs, on employait la gomme arabique.
Le coloriage de ces images populaires était fait au «patron», à l’aide de
grosses brosses drues et serrées, qui étendaient les tons. Ces pochoirs
étaient faits en carton découpé, assez épais pour ne pas se déformer sous le
passage de la brosse humide. Aussi, comme la confection des pochoirs était
longue et difficile, pour ne pas les recommencer, on les durcissait avec un
enduit composé d’huile brûlée et de litharge. Le séchage se faisait sur des
cordes tendues dans l’atelier, tout pavoisé de ces feuilles bariolées, dont le
coup d’oeil était fort réjouissant.
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Les Cartiers-Imagiers des nombreuses villes où se trouvaient des ateliers,
vendaient dans leurs boutiques, leurs images dont ils avaient des collections,
mais ils les cédaient surtout aux marchands ambulant, aux colporteurs de la
Haute-Garonne, aux chanteurs de cantiques qui traversaient la France,
accompagnés d’enfants, souvent traités assez durement, transportant leurs
ballots d’images à l’aide d’un petit âne. Les colporteurs lorrains
remplissaient le même office dans les foires et marchés, exhibant surtout des
images religieuses : Sainte-Véronique présentant la Sainte-Face ; Saint-Hubert
et le Cerf miraculeux, puis des cantiques de pèlerinage, le cantique de Notre-Dame-de-Liesse,
celui si naïf de la Création du Monde, ou encore le cantique du Pèlerinage
de Saint-Jacques-de-Compostel, en Galice.
Qu’est-ce que ne comprenait pas autrefois le domaine de l’imagerie populaire
dans les ateliers des imagiers de Rouen ou d’ailleurs ? Il y avait les images
religieuses, dites de « préservation » ; les drapelets et pavillons de
procession, dans le goût de ceux qui furent rénovés à Rouen, lors de certaines
fêtes franco-belges pendant la guerre ; des blasons de corporation ; des
cantiques et des complaintes chantées aux veillées ; des images de propagande,
portraits de souverains, de grands seigneurs, de prélats, images de batailles ;
images militaires reproduisant les différents corps et les différentes tenues.
En dehors de cette imagerie proprement dite, il faut faire encore rentrer dans
ce domaine de l’image différentes appropriations très diverses ; les « rabats
de cheminée » bandes décorées qu’on fixait au manteau de la cheminée ; « tours
de lit » formant frises, remplacés quand ils étaient sales ; les affiches
d’intérieurs de cabarets, comme Crédit est mort ou comme La bonne
bière de Mars dont on annonçait la venue ; les jeux de loto, de l’Oie, et
le jeu des Aluettes, imprimés à Nantes ; les ombres chinoises, les
constructions à découper. Quoi encore ? Les canards d’actualité, les
chansons, les grands calendriers, les litres funéraires et, ce qui est un peu
spécial à Rouen, les cadrans d’horloge. Savary des Brûlons, cite encore, comme
rentrant dans la fabrication de la dominoterie, les papiers servant à
doubler les coffres, les tiroirs, les layettes, à faire les gardes des
livres ou des brochures, et, enfin « les lanternes de papier qu’on met aux
fenêtres des manoirs dans les réjouissances publiques sur lesquels sont
imprimés et peintes des armoiries, des fleurs de lys, des dauphins et autres
figures convenables au sujet qui cause la joye du peuple ». Enfin, ainsi que
nous l’avons dit au début, il y avait surtout à Rouen les papiers de tenture,
les purs dominos et l’ouvrage sur L’Imagerie populaire en France,
constate que M. Georges Ruel, dont les fonctions d’architecte facilitaient les
recherches, a réuni un certain nombre de ces papiers de tenture, qui sont
vraiment délicieux. Ces dominoteries étaient imprimées en une seule
couleur, en plusieurs teintes, ou simplement marbrées. Elles représentaient des
tissus brochés, des toiles imprimées, des « Flammés d’Yvetot ». Pour apposer
ces papiers peints, une des bordures était coupée, et on collait, bout à bout,
plusieurs de ces carrés mesurant 35 x 40. En général le nom et l’adresse du
dominotier restaient au bas de la bande et c’est ainsi que M. Ruel a pu, en les
décollant avec précaution, retrouver des vieux dominos, avec les références des
fabriquants. La collection Tumbeuf renferme un échantillon de ces papiers de
tenture, sortant de chez Amy, rue du Grand-Pont, 1724, orné d’arabesques
d’une rare élégance.
Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les Cartiers-dominotiers de Rouen conservèrent
le privilège de l’Imagerie, mais à partir de cette époque et même un peu
antérieurement, les Imprimeurs rouennais eurent une véritable spécialité de
calendriers muraux ornés des épreuves sur bois, et éditèrent dès lors de
nombreuses et véritables images proprement dites. MM. Duchartre et René
Saulnier, dans leur nouveau volume, aidés par la curieuse Histoire de
l’Imagerie en Normandie, du Dr Hélot, et par leurs recherches personnelles,
ont donné un liste très complète de la plupart de ces Imprimeurs rouennais qui
remplacèrent les Cartiers-Dominotiers. On y retrouve, classés
chronologiquement, les noms suivants :
Louis du
Mesnil-Pétète, rue Saint-Jean (1616) ; Nicolas Hamilton, devant le Portail
Saint-Jean (1619) ; Pierre de Larrivey, d’origine troyenne (1625) ; Adrien
Delamare (1664-1710) ; Guillaume Machuel, rue Ecuyère (1666) ; François Oursel,
grande rue Saint-Jean (1750-1764) ; F. Béhourt et sa veuve (1752-1762) ; J.-F.
Béhourt, rue Ecuyère (1753-1756) ; P. Seyer, rue Ecuyère (1765-1789) ; Pierre Ferrand,
rue Neuve Saint-Lô (1782-1786) ; P. Seyer et Béhourt (1790-1805) ; Montier, rue
Neuve-Saint-Lô ; Nicolas Labbey, 12, rue de la Grosse-Horloge (1803) ;
N.-A. Lebourg, rue des Arpents, 52 (1805).
Pierre
Periaux, né à Asnières près Bayeux 9 décembre, mort à Rouen 15 décembre 1836,
rue de la Vicomté, 30 et 9, rue Herbière (1796-1826) ; Nicolas Periaux, son
second fils, rue de la Vicomté, 55 (1826-1843) ; Emile Periaux, fils aîné, rue
Percière, qui imprima tant de Canards (1820-1855) ; Frédéric Baudry
(1797-1813) ; Frédéric Baudry fils, rue des Carmes, 20 (1814-1837), qui fut un
des directeurs du Journal de Rouen ; Lecrêne-Labbey, né à Falaise 1774,
mort à Rouen en 1864, marié à la fille de Labbey, rue de la Grosse-Horloge, 12,
puis Grande-Rue, 173, en 1810 (1806-1845) ; Ch. Bloquel, 34, rue Saint-Lô
(1807-1821) ; Bloquel fils et veuve Bloquel (1821-1846) ; veuve Béhourt et
Trenchard-Béhourt (1809-1816) ; J.-B.-Sébastien Mégard (1821-1844), 200, rue
Martainville ; Sébastien Mégard, son fils, grande rue, 156, puis rue du
Petit-Puits, 21 (1859-1871) ; Ernould (1831) ; veuve Brunet, rue des Faulx, ;
près la place Saint-Ouen (1831) ; Berdalle, rue de la Savonnerie (1836) ;
Boniface Delamarre, rue des Murs-Saint-Ouen, puis rue des Charrettes, 47,
imprimeur du célèbre canardier Duchesne (1838-1858) ; Surville et Grindel, rue
Saint-Antoine, 10, puis rue des Bons-Enfants, 46 ; veuve Surville, rue des
Bons-Enfants, 46-48, puis 64 (1851-1863). C’est l’imprimerie actuelle bien
connue de MM. J. Lecerf père et fils, qui sont les successeurs émérites des
imagiers de jadis.
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C’est à cette série d’imprimeurs qu’il faut rapporter tous les calendriers
royaux rouennais ornés de planches d’actualité très curieuses, dont plusieurs ont
été gravées par les Lesueur et par le fameux graveur J.-M. Papillon, qui a même
établi un catalogue de ses propres oeuvres publié par M. le Dr Helot. On cite
encore parmi les graveurs : Cotte, en 1777 ; Dubuc, auteur de plusieurs bois
relatifs à la vie de Napoléon et de sujets populaires, comme Geneviève de
Brabant, Pyrame et Thisbé ; Neveu et Dujardin. En dehors des naissances,
baptêmes, mariages, morts des souverains, batailles, fêtes, feux d’artifice,
plusieurs de ces images fournissent des renseignements curieux sur Rouen même ;
une vue du Pont de bateaux, avec les observateurs de la comète (1812) ;
le Port de Rouen et le Pont Napoléon, avec le récit du passage de
l’impératrice Marie-Louise (1814) ; l’incendie de la flèche de la Cathédrale
(1823) ; la Foire Saint-Romain (1836), dont le bois a servi à illustrer
un canard populaire ; le Pont suspendu, et enfin, à une époque plus
ancienne, une vue générale de Rouen et du Pont de bateaux.
Sont encore oeuvres des Imprimeurs, les canards populaires, gravés d’une
façon fruste et sommaire, parfois par les colporteurs ou canardiers
eux-mêmes, et qu’ils débitaient dans les campagnes ou par les rues et quartiers
des villes. A Rouen, un des premiers colporteurs fut le chansonnier
Morainville, puis Charasse, qui se rendait de Rouen au Havre, et qui, en 1850,
se retira à Elbeuf, rue Maurepas. Duchesne, dont nous avons esquissé le
portrait dans un de nos livres, Rouen bizarre, en 1888, fut le « roi des
Canardiers ». C’était un type qu’on avait surnommé Louis XVI, à cause de
son nez bourbonnien et de son carrick vert à collets superposés, rappelant
ancien régime. Le sieur Lacrique père, composait les dessins que Duchesne
gravait lui-même grossièrement au couteau. Le tout était porté chez l’imprimeur
Emile Periaux, qui tirait 1.000 à 2.000 exemplaires, suivant l’importance.
Duchesne, qui était aussi montreur de marionnettes, avait souvent pour
collaborateur, Hyacinthe Lelièvre, dont M. Chanoine-Davranches a écrit l’amusante
biographie dans la Normandie littéraire, pour ses chansons, et Louis
Grava, qui en a signé quelques-unes. Il y a bien des sortes de canards,
judiciaires, politiques, d’actualités, et canards imaginaires et
fantaisistes. Les « canards » judiciaires rouennais, ce sont : l’Exécution
du nommé Decaux ; l’Exécution de Ginester et de Salabert ; l’Exécution
du nommé Marc et de la fille Delabarre, imprimés chez Periaux et gravés
chez Duchesne. Ce canard est bien curieux, parce que Duchesne, n’ayant pas le
portrait de Marc, le remplaça par celui de son ami Josse. Dans les campagnes,
on n’y regardait pas de si près !
Avec la célèbre complainte du Crime de Fualdès, rééditée chez Bloquel,
en une petite brochure de 36 pages, l’un des canards qui obtint le plus
fort tirage fut celui des crimes de Thibert, le fameux Médecin à la corde,
qui fut condamné à mort et exécuté, le 28 avril 1844. Quatre canards
furent alors publiés par Surville. Détail curieux, dans l’un, le portrait du
régicide Fieschi est donné pour celui de Thibert. Il y eut aussi une chanson
sur le crime par Levasseur, puis une chanson, éditée chez Periaux, pour
Duchesne. Paris publia aussi quelques complaintes sur le Médecin à la corde,
imprimées chez Chassaignon, rue Gît-le-Coeur, 7. Parmi ces canards judiciaires,
on rencontre encore, en 1836, chez Berdalle, qui fut le père du critique
dramatique Berdalle de la Pommeraye : Le Jugement de la Cour d’assises de
Rouen, condamnant à mort les nommés Jean-Pierre Lavergne*… et d’autres canards
imprimés et publiés à Caen.
Les canards politiques, soumis au visa de l’autorisation préalable, sont
peu nombreux. Ils apparaissent surtout aux changements de dynasties ou de
ministères. Un a trait à la chute du ministère Polignac. Un autre montre Charles
X et le Dey d’Alger, en grande conversation ; un autre encore, édité par
Duchesne : Louis-Philippe n’a plus que ça de nez, imprimé chez
Delaunay-Bloquel. Viennent encore les canards… chantants
qu’interprétaient dans les rues Le père Lajoie et surtout, vers la fin
de l’Empire, le chanteur Boulard, qui se promenait par les rues avec ses
grosses lunettes bleues. C’étaient Le Veau qui tette ou le Rendez-vous
de la Saint-Vivien ; La foire d’Elbeuf ou le Réveil de la
Saint-Gilles ; Saint-Vivien, soutenez-nous afin que nous ne nous
cassions pas le cou, par Gustave, de Rouen, et la Saint-Vivien, par
Levasseur, artiste au spectacle du Pont-Neuf, c’est-à-dire les anciennes
Folies-Dramatiques de Saint-Sever. Il y a encore les chansons sur les chemins
de fer et leur inauguration, sur la foire Saint-Romain, qui constituèrent aussi
le grand répertoire de Duchesne !
Les plus beaux canards étaient peut-être les canards imaginaires,
inventés de toutes pièces, qui correspondaient à l’imagination populaire : La
Bête du Gévaudan ; Le Menaras, animal-amphibie ; La Fille du
tombeau, avec une complainte de Lelièvre, éditée chez Surville et Grindel,
en 1839 ; Les détails intéressants sur la Femme à la tête de mort !
Il resterait encore à passer en revue, en dehors de toutes ces images
historiques ou fantaisistes, les images religieuses de protection et les
Confréries et de Corporations, qui sont peut-être les plus nombreuses parmi
celles qui ont survécu jusqu’à nos jours. Ce sera le sujet d’une nouvelle
causerie, au courant du mois de mai, qui est le temps des pélerinages rouennais
et normands !
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