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Gorge Dubosc
L’Imagerie populaire à Rouen

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  • I Les Complaintes - Les calendriers - Les « canards »
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I

Les Complaintes - Les calendriers - Les « canards »


Quand jadis on grimpait jusqu’à l’église de Bonsecours, aux jours de grandes fêtes, arrivé sur le plateau des Aigles, on suivait en tournant à gauche, près d’une pâtisserie populaire, le chemin de l’église, ruelle à moitié campagnarde, bordée d’un côté par des maisons et des murs, et de l’autre, par des haies verdoyantes. En quelques pas, on atteignait le sanctuaire.

Or, le long de ce chemin, on rencontrait une véritable exposition d’images populaires, pendues sur des ficelles, qui se succédaient et paraient, de leurs vives couleurs, la nudité des murs. Quelles images ne figuraient pas dans cette collection en plein-vent ? Il y avait là le Juif errant et Geneviève de Brabant, la mélancolique complainte de Damon et Henriette :

            Henriette était fille
            D’un baron de renom.
            D’ancienne bonne famille,
            Etait le beau Damon.
            Elle était faite au tour.
            Elle était jeune et belle,
            Et d’un parfait amour
            Elle était le modèle !

Et puis, tenues par des épingles en bois, sur les cordes tendues, il y avait encore là d’autres feuilles : Pyrame et Thisbé, la complainte de la Bête de Gévaudan, L’arbre d’amour, Les degrés de la vie, puis l’amusant Crédit est mort, les mauvais payeurs l’ont tué, et Le grand diable d’argent, dont on tire la.…. queue, toute une iconographie tour à tour sentimentale, pittoresque et amusante ! La plupart de ces feuilles volantes sortaient du célèbre atelier de Pellerin à Epinal, mais il y en avait aussi quelques-unes qui portaient la marque des fabriques rouennaises, comme Lecrène-Labbé et bien d’autres.

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Rouen, en effet, fut un centre fort important pour l’imagerie populaire, pour les cartes à jouer et pour tout ce qu’on appelait autrefois la dominoterie et les papiers de tenture. On est à peu près sûr maintenant que notre ville, avec la fabrique de Le François et avec Papillon et ses papiers brillants, fut le berceau de l’industrie, si prospère aujourdhui, des papiers veloutés et drapés, des papiers décorés à l’aide de tontisses de draps. A Rouen, les Imagiers créant les images populaires formaient la corporation des Cartiers-Dominotiers-Feuilletiers, dont le bailli Jean d’Estoutteville avait rédigé, en 1540, les statuts, confirmés en 1550 par Henri II et en 1588 par Henri III. Ces anciens statuts, devenus insuffisants, furent revisés et modifiés encore par François de Houppeville, lieutenant du Bailliage, et confirmés par Louis XV en 1730.

On y voit que les trois gardes du métier étaient tenus de visiter tous les maîtres particuliers, aussi bien pour les cartes, que pour les images, les feuillets comme on disait alors. Après serment, le jeune ouvrier, devait servir pendant quatre ans d’apprentissage, avant d’être admis au chef d’oeuvre. Les fils et les filles des maîtres étaient reçus sans apprentissage et sans « chef-doeuvre ». Les veuves jouissaient des privilèges et des prérogatives de leurs maris et pouvaient travailler, avoir un apprenti, tenir boutique, mais seulement quand elles restaient veuves.

Un article de ces statuts est à noter. C’est celui qui exige que tout Imagier Dominotier, voulant travailler au «métier», doit déposer une marque particulière et différente de celle des autres maîtres, pour la faire imprimer sur les enveloppes de ses marchandises, « laquelle marque sera présentée par les gardes à l’assemblée des maîtres et empreinte sur un tableau général. » Devaient ainsi figurer sur cette marque leur nom, surnom et la rue de Rouen, « où ils demeureront. »

Or, ce livre extrêmement curieux, formant un recueil de tous les Imagiers Dominotiers, de leurs marques, de leurs devises, de leurs adresses, ayant vécu à Rouen, depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe, existe bel et bien. Il est extrêmement curieux et illustré de toutes ces marques, rehaussées de couleurs. C’est un document unique pour l’histoire de l’imagerie rouennaise. Récemment, dans leur très beau livre sur l’Imagerie populaire, Pierre-Louis Duchartre et René Saulnier, en ont extrait une liste de plus de 350 noms d’artisans, maîtres-imagiers rangés par ordre alphabétique de familles. Voici les Amette, qui vont de 1687 à 1708 ; les Amy qui avaient pour devise : « Si tu trouves un emy, tu rencontres un trésor » ; les Baudart ; les Bernières ;les Bougon ; les Carpentier : Au Colomb royal ; les de Hautot ; Au coeur royal, rue du Gros-Horloge, au XVIIe siècle,que notre concitoyen Georges Ruel, avait ressuscité dans son originale exposition d’imagerie de la rue Saint-Romain, en 1907.

Viennent encore : les Delamare : A la perle royale ; toute la lignée des Delespine, qui porte pour devise : A l’Espine fleurissante et à L’Espine couronnée ; les Dubosc ; les Dugripont ; les Follope et leur devise morale : « Priant, lisant, apprend qu’il faut espérer tout bonheur d’en haut ».Très nombreuse est aussi la tribu des Guérin ; celle des Guerould et des Goujon, qui débutent en 1540 ; les Hellebout ; Pierre Hellot qui arbore comme devise : « Dieu est mon ayde pour tout espoir », devise gravée sur une des poutres de l’ancienne maison de la rue du Bon-Espoir, au Musée des Antiquités.

Voici maintenant : les Le Cauchois ; les Lecornu, qui portent pour marque une licorne avec ces mots : « La Licorne déjetant tout venin » ; les Le Feugueux et Guillaume Lynant, au haut de la rue Grand-Pont ; Les Lemoine : Aux armes de la ville de Rouen ; toute la lignée des Le Roux ; les Lesueur ; les Le Testu ; les de Lynant ; un Jehan Mollière qui remonte à 1540 ; les Paillette ; les Paumier ; les Picquefeu : Au Cerisier couronné ; toute la suite des Primoult ; les Savonay : Au bon marchand ; Jacques Subito ; les Thiboutot ; les Thieuvin, en 1541 ; les Thubeuf ; Vincent marin, qui avait une devise bien originale : « Quiconque se veut divertir, se joue avec la perdrix ». Et nous en passons et des meilleurs ! Au fond, ce cercueil des marques des Cartiers-Dominotiers, est du plus vif intérêt et c’est un bonheur inespéré que d’avoir pu retrouver la liste entière de ces artisans, qui pendant trois siècles ont gravé, enluminé et vendu les images populaires, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle où les Maîtres-imprimeurs se mirent aussi à fabriquer des images.

Eh bien de tous ces Imagiers rouennais, si nombreux, se succédant de famille en famille, ayant tiré des milliers d’images, c’est à peine si quelques oeuvres ont survécu au cours des siècles. Notre concitoyen et ami Georges Ruel possède pourtant une de ces images. C’est le Cantique spirituel où sont représentés les mystères de la Passion de N.S.J.C. chanté sur le chant « Enfin, j’aime tant », à Rouen, chez la Veuve Le Feugueux et Guillaume Lynant, en haut de la Rue Grand-Pont, sur un «bois» du XVIIe siècle, édité d’abord par le premier Le Feugueux, en 1661. Cette planche est coloriée en vermillon, en violet, en jaune et en gris clair. Elle était collée sur les plats d’un carton à bonnets, que, par privilège, les Cartiers avaient le droit de fabriquer, ainsi que les étuis à chapeaux.

A l’Exposition de l’Imagerie populaire, qui avait été si pittoresquement organisée, dans la vieille maison de la rue Saint-Romain, figuraient aussi, de la fabrication de A. C. de Hautot, un Saint-Pierre, une N.-D. de la Délivrande, un fragment d’une Sainte-Catherine, trouvés aussi dans un carton à chapeaux. Comme on le voit, les images populaires anciennes, fabriquées par la corporation des Cartiers-Dominotiers sont extrêmement rares à Rouen, avant que les Maîtres-imprimeurs ne s’en mêlent.

Comment les Cartiers exécutaient-ils ces images si recherchées aujourdhui ? En gravant leurs planches, sur du bois de poirier, au grain fin et serré, avec un outillage très simple et très primitif. A Epinal, les graveurs se servaient d’une sorte de pointe ou clou, emmanchée dans un couteau. Le graveur d’image Garnier dit qu’on se servait aussi de ressorts de montres, fixés à un manche en forme de fuseau, tenu par des ficelles enroulées. Notre concitoyen, le bon poète Francis Yard, l’auteur de l’An de la terre, qui aime à orner de « bois » ses poèmes, use ainsi de baleines de parapluies, taillées et emmanchées. Des butavants et des gouges pour échopper les blancs, complétaient l’outillage. Le travail ne pouvait être très délicat ; il était fait à gros traits indiquant le contour et supportant le tirage. Par la suite, quelques hachures, séparées par des contre-tailles, achevaient l’oeuvre.

Pour l’impression en noir, d’après Garnier, on fixait le « bois » avec des clous sur la table de l’atelier et, à l’aide d’une brosse à longs poils, on l’imprégnait d’un ton noir, formé de noir de fumée et de colle de peau. On plaçait dessus la feuille de papier d’Auvergne, souvent un peu bleuté et on obtenait l’impression, au frottoir ou frotton fait de crin et de colle forte. Plus tard, on usa de la presse en bois, puis de la presse métallique

Tout était ensuite dans le coloriage, la joie, l’allégresse du coloris qui plaît tant aux enfants, aux simples, au peuple ! Le coloris de la vieille imagerie a toujours été frais, chantant, gai. Jamais de tons faux ou criards avec les anciennes couleurs. Les tons faux, violacés ou bleus fadasses, n’ont, en effet, fait leur apparition qu’en 1880, avec les couleurs chimiques d’aniline. Les couleurs, toujours d’après Garnier, étaient peu nombreuses. Elles se réduisaient, au rouge, au bleu, au jaune et brun, et à un rouge clair appelé rosette. Le violet et le vert étaient obtenus par superposition de deux tons. Les laques étaient conservées dans des pots de grès. La graine d’Avignon fournissait le brun ; la rosette était extraite du bois du Brésil et le brun provenait de la terre de Sienne. Pour le collage de ces couleurs, on employait la gomme arabique.

Le coloriage de ces images populaires était fait au «patron», à l’aide de grosses brosses drues et serrées, qui étendaient les tons. Ces pochoirs étaient faits en carton découpé, assez épais pour ne pas se déformer sous le passage de la brosse humide. Aussi, comme la confection des pochoirs était longue et difficile, pour ne pas les recommencer, on les durcissait avec un enduit composé d’huile brûlée et de litharge. Le séchage se faisait sur des cordes tendues dans l’atelier, tout pavoisé de ces feuilles bariolées, dont le coup d’oeil était fort réjouissant.

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Les Cartiers-Imagiers des nombreuses villes où se trouvaient des ateliers, vendaient dans leurs boutiques, leurs images dont ils avaient des collections, mais ils les cédaient surtout aux marchands ambulant, aux colporteurs de la Haute-Garonne, aux chanteurs de cantiques qui traversaient la France, accompagnés d’enfants, souvent traités assez durement, transportant leurs ballots d’images à l’aide d’un petit âne. Les colporteurs lorrains remplissaient le même office dans les foires et marchés, exhibant surtout des images religieuses : Sainte-Véronique présentant la Sainte-Face ; Saint-Hubert et le Cerf miraculeux, puis des cantiques de pèlerinage, le cantique de Notre-Dame-de-Liesse, celui si naïf de la Création du Monde, ou encore le cantique du Pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostel, en Galice.

Qu’est-ce que ne comprenait pas autrefois le domaine de l’imagerie populaire dans les ateliers des imagiers de Rouen ou d’ailleurs ? Il y avait les images religieuses, dites de « préservation » ; les drapelets et pavillons de procession, dans le goût de ceux qui furent rénovés à Rouen, lors de certaines fêtes franco-belges pendant la guerre ; des blasons de corporation ; des cantiques et des complaintes chantées aux veillées ; des images de propagande, portraits de souverains, de grands seigneurs, de prélats, images de batailles ; images militaires reproduisant les différents corps et les différentes tenues.

En dehors de cette imagerie proprement dite, il faut faire encore rentrer dans ce domaine de l’image différentes appropriations très diverses ; les « rabats de cheminée » bandes décorées qu’on fixait au manteau de la cheminée ; « tours de lit » formant frises, remplacés quand ils étaient sales ; les affiches d’intérieurs de cabarets, comme Crédit est mort ou comme La bonne bière de Mars dont on annonçait la venue ; les jeux de loto, de l’Oie, et le jeu des Aluettes, imprimés à Nantes ; les ombres chinoises, les constructions à découper. Quoi encore ? Les canards d’actualité, les chansons, les grands calendriers, les litres funéraires et, ce qui est un peu spécial à Rouen, les cadrans d’horloge. Savary des Brûlons, cite encore, comme rentrant dans la fabrication de la dominoterie, les papiers servant à doubler les coffres, les tiroirs, les layettes, à faire les gardes des livres ou des brochures, et, enfin « les lanternes de papier qu’on met aux fenêtres des manoirs dans les réjouissances publiques sur lesquels sont imprimés et peintes des armoiries, des fleurs de lys, des dauphins et autres figures convenables au sujet qui cause la joye du peuple ». Enfin, ainsi que nous l’avons dit au début, il y avait surtout à Rouen les papiers de tenture, les purs dominos et l’ouvrage sur L’Imagerie populaire en France, constate que M. Georges Ruel, dont les fonctions d’architecte facilitaient les recherches, a réuni un certain nombre de ces papiers de tenture, qui sont vraiment délicieux. Ces dominoteries étaient imprimées en une seule couleur, en plusieurs teintes, ou simplement marbrées. Elles représentaient des tissus brochés, des toiles imprimées, des « Flammés d’Yvetot ». Pour apposer ces papiers peints, une des bordures était coupée, et on collait, bout à bout, plusieurs de ces carrés mesurant 35 x 40. En général le nom et l’adresse du dominotier restaient au bas de la bande et c’est ainsi que M. Ruel a pu, en les décollant avec précaution, retrouver des vieux dominos, avec les références des fabriquants. La collection Tumbeuf renferme un échantillon de ces papiers de tenture, sortant de chez Amy, rue du Grand-Pont, 1724, orné d’arabesques d’une rare élégance.

Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, les Cartiers-dominotiers de Rouen conservèrent le privilège de l’Imagerie, mais à partir de cette époque et même un peu antérieurement, les Imprimeurs rouennais eurent une véritable spécialité de calendriers muraux ornés des épreuves sur bois, et éditèrent dès lors de nombreuses et véritables images proprement dites. MM. Duchartre et René Saulnier, dans leur nouveau volume, aidés par la curieuse Histoire de l’Imagerie en Normandie, du Dr Hélot, et par leurs recherches personnelles, ont donné un liste très complète de la plupart de ces Imprimeurs rouennais qui remplacèrent les Cartiers-Dominotiers. On y retrouve, classés chronologiquement, les noms suivants :

Louis du Mesnil-Pétète, rue Saint-Jean (1616) ; Nicolas Hamilton, devant le Portail Saint-Jean (1619) ; Pierre de Larrivey, d’origine troyenne (1625) ; Adrien Delamare (1664-1710) ; Guillaume Machuel, rue Ecuyère (1666) ; François Oursel, grande rue Saint-Jean (1750-1764) ; F. Béhourt et sa veuve (1752-1762) ; J.-F. Béhourt, rue Ecuyère (1753-1756) ; P. Seyer, rue Ecuyère (1765-1789) ; Pierre Ferrand, rue Neuve Saint-Lô (1782-1786) ; P. Seyer et Béhourt (1790-1805) ; Montier, rue Neuve-Saint-Lô ; Nicolas Labbey, 12, rue de la Grosse-Horloge (1803) ;  N.-A. Lebourg, rue des Arpents, 52 (1805).

Pierre Periaux, à Asnières près Bayeux 9 décembre, mort à Rouen 15 décembre 1836, rue de la Vicomté, 30 et 9, rue Herbière (1796-1826) ; Nicolas Periaux, son second fils, rue de la Vicomté, 55 (1826-1843) ; Emile Periaux, fils aîné, rue Percière, qui imprima tant de Canards (1820-1855) ; Frédéric Baudry (1797-1813) ; Frédéric Baudry fils, rue des Carmes, 20 (1814-1837), qui fut un des directeurs du Journal de Rouen ; Lecrêne-Labbey, à Falaise 1774, mort à Rouen en 1864, marié à la fille de Labbey, rue de la Grosse-Horloge, 12, puis Grande-Rue, 173, en 1810 (1806-1845) ; Ch. Bloquel, 34, rue Saint-Lô (1807-1821) ; Bloquel fils et veuve Bloquel (1821-1846) ; veuve Béhourt et Trenchard-Béhourt (1809-1816) ; J.-B.-Sébastien Mégard (1821-1844), 200, rue Martainville ; Sébastien Mégard, son fils, grande rue, 156, puis rue du Petit-Puits, 21 (1859-1871) ; Ernould (1831) ; veuve Brunet, rue des Faulx, ; près la place Saint-Ouen (1831) ; Berdalle, rue de la Savonnerie (1836) ; Boniface Delamarre, rue des Murs-Saint-Ouen, puis rue des Charrettes, 47, imprimeur du célèbre canardier Duchesne (1838-1858) ; Surville et Grindel, rue Saint-Antoine, 10, puis rue des Bons-Enfants, 46 ; veuve Surville, rue des Bons-Enfants, 46-48, puis 64 (1851-1863). C’est l’imprimerie actuelle bien connue de MM. J. Lecerf père et fils, qui sont les successeurs émérites des imagiers de jadis.

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C’est à cette série d’imprimeurs qu’il faut rapporter tous les calendriers royaux rouennais ornés de planches d’actualité très curieuses, dont plusieurs ont été gravées par les Lesueur et par le fameux graveur J.-M. Papillon, qui a même établi un catalogue de ses propres oeuvres publié par M. le Dr Helot. On cite encore parmi les graveurs : Cotte, en 1777 ; Dubuc, auteur de plusieurs bois relatifs à la vie de Napoléon et de sujets populaires, comme Geneviève de Brabant, Pyrame et Thisbé ; Neveu et Dujardin. En dehors des naissances, baptêmes, mariages, morts des souverains, batailles, fêtes, feux d’artifice, plusieurs de ces images fournissent des renseignements curieux sur Rouen même ; une vue du Pont de bateaux, avec les observateurs de la comète (1812) ; le Port de Rouen et le Pont Napoléon, avec le récit du passage de l’impératrice Marie-Louise (1814) ; l’incendie de la flèche de la Cathédrale (1823) ; la Foire Saint-Romain (1836), dont le bois a servi à illustrer un canard populaire ; le Pont suspendu, et enfin, à une époque plus ancienne, une vue générale de Rouen et du Pont de bateaux.

Sont encore oeuvres des Imprimeurs, les canards populaires, gravés d’une façon fruste et sommaire, parfois par les colporteurs ou canardiers eux-mêmes, et qu’ils débitaient dans les campagnes ou par les rues et quartiers des villes. A Rouen, un des premiers colporteurs fut le chansonnier Morainville, puis Charasse, qui se rendait de Rouen au Havre, et qui, en 1850, se retira à Elbeuf, rue Maurepas. Duchesne, dont nous avons esquissé le portrait dans un de nos livres, Rouen bizarre, en 1888, fut le « roi des Canardiers ». C’était un type qu’on avait surnommé Louis XVI, à cause de son nez bourbonnien et de son carrick vert à collets superposés, rappelant ancien régime. Le sieur Lacrique père, composait les dessins que Duchesne gravait lui-même grossièrement au couteau. Le tout était porté chez l’imprimeur Emile Periaux, qui tirait 1.000 à 2.000 exemplaires, suivant l’importance. Duchesne, qui était aussi montreur de marionnettes, avait souvent pour collaborateur, Hyacinthe Lelièvre, dont M. Chanoine-Davranches a écrit l’amusante biographie dans la Normandie littéraire, pour ses chansons, et Louis Grava, qui en a signé quelques-unes. Il y a bien des sortes de canards, judiciaires, politiques, d’actualités, et canards imaginaires et fantaisistes. Les « canards » judiciaires rouennais, ce sont : l’Exécution du nommé Decaux ; l’Exécution de Ginester et de Salabert ; l’Exécution du nommé Marc et de la fille Delabarre, imprimés chez Periaux et gravés chez Duchesne. Ce canard est bien curieux, parce que Duchesne, n’ayant pas le portrait de Marc, le remplaça par celui de son ami Josse. Dans les campagnes, on n’y regardait pas de si près !

Avec la célèbre complainte du Crime de Fualdès, rééditée chez Bloquel, en une petite brochure de 36 pages, l’un des canards qui obtint le plus fort tirage fut celui des crimes de Thibert, le fameux Médecin à la corde, qui fut condamné à mort et exécuté, le 28 avril 1844. Quatre canards furent alors publiés par Surville. Détail curieux, dans l’un, le portrait du régicide Fieschi est donné pour celui de Thibert. Il y eut aussi une chanson sur le crime par Levasseur, puis une chanson, éditée chez Periaux, pour Duchesne. Paris publia aussi quelques complaintes sur le Médecin à la corde, imprimées chez Chassaignon, rue Gît-le-Coeur, 7. Parmi ces canards judiciaires, on rencontre encore, en 1836, chez Berdalle, qui fut le père du critique dramatique Berdalle de la Pommeraye : Le Jugement de la Cour d’assises de Rouen, condamnant à mort les nommés Jean-Pierre Lavergne*… et d’autres canards imprimés et publiés à Caen.

Les canards politiques, soumis au visa de l’autorisation préalable, sont peu nombreux. Ils apparaissent surtout aux changements de dynasties ou de ministères. Un a trait à la chute du ministère Polignac. Un autre montre Charles X et le Dey d’Alger, en grande conversation ; un autre encore, édité par Duchesne : Louis-Philippe n’a plus que ça de nez, imprimé chez Delaunay-Bloquel. Viennent encore les canardschantants qu’interprétaient dans les rues Le père Lajoie et surtout, vers la fin de l’Empire, le chanteur Boulard, qui se promenait par les rues avec ses grosses lunettes bleues. C’étaient Le Veau qui tette ou le Rendez-vous de la Saint-Vivien ; La foire d’Elbeuf ou le Réveil de la Saint-Gilles ; Saint-Vivien, soutenez-nous afin que nous ne nous cassions pas le cou, par Gustave, de Rouen, et la Saint-Vivien, par Levasseur, artiste au spectacle du Pont-Neuf, c’est-à-dire les anciennes Folies-Dramatiques de Saint-Sever. Il y a encore les chansons sur les chemins de fer et leur inauguration, sur la foire Saint-Romain, qui constituèrent aussi le grand répertoire de Duchesne !

Les plus beaux canards étaient peut-être les canards imaginaires, inventés de toutes pièces, qui correspondaient à l’imagination populaire : La Bête du Gévaudan ; Le Menaras, animal-amphibie ; La Fille du tombeau, avec une complainte de Lelièvre, éditée chez Surville et Grindel, en 1839 ; Les détails intéressants sur la Femme à la tête de mort !

Il resterait encore à passer en revue, en dehors de toutes ces images historiques ou fantaisistes, les images religieuses de protection et les Confréries et de Corporations, qui sont peut-être les plus nombreuses parmi celles qui ont survécu jusqu’à nos jours. Ce sera le sujet d’une nouvelle causerie, au courant du mois de mai, qui est le temps des pélerinages rouennais et normands !




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