VI.
QUELQUES
SILHOUETTES.
Les Parodies.
LE singe est à l’homme ce que certaines
femmes sont aux natures réellement poétiques et sensibles, pour lesquelles je
professe la vénération la plus sincère.
Autant je suis porté à entourer les premières de mon respect, autant je me sens
en veine de moquerie à l’égard de leurs sosies ridicules.
Clarisse, dont la carnation luxuriante déborde par-dessus les baleines de son
corset, mange moins que ne ferait une fauvette quand elle pose à quelque grand
dîner ; mais quels beefsteacks elle absorbe entre ses repas !
Mélanie consulte toujours le calendrier avant d’accorder un rendez-vous, parce
qu’elle adore le clair de lune, sur le compte duquel elle a retenu, dans les
romans du jour, une quantité de tirades nébuleusement romantiques.
Thérésa, qui compte déjà plusieurs campagnes, s’est mis en tête, pour se donner
une physionomie plus piquante, de garnir son boudoir ainsi que son alcôve, de
bénitiers, de têts mortuaires et de crucifix ; elle exige même que son amant
inscrive en tête de tous ses billets tendres, un verset de l’Imitation.
Virginie a passé la trentaine, mais pour elle les années n’ayant eu que six
mois, elle se figure pouvoir conserver éternellement ce petit air Agnès, ce
gazouillement du parler, cette innocente et naïve candeur du regard, qu’on lui
passait si volontiers jadis à la faveur de ses dix-huit ans.
Bref, je n’en finirais pas si je voulais énumérer la nomenclature de toutes les
Saphos, de toutes les âmes trop de fois comprises qui s’efforcent en vain de
couvrir d’un badigeonnage poétique leur façade décrépite et lézardée.
Menu gibier.
N’ÉTAIT le venin mortel qui vient si souvent
empoisonner les flèches de l’amour nomade, et mettre hors de combat les
athlètes les plus intrépides, la délicieuse vie que la vie de jeune homme !
Pour lui, quel séjour de bénédiction que Paris, ce parc giboyeux où, dès que le
caprice lui pointe, le génie des viveurs reproduit pour son bon plaisir la
pêche… je veux dire la chasse miraculeuse ! Ne voyez-vous pas ces myriades de
chevrotins, de biches, de gazelles et autres quadrupèdes plus ou moins faciles
à mettre aux abois, lesquels trottent, gambadent et caracollent sous les yeux
du fortuné Nemrod ! Il n’a qu’un embarras, celui du choix ; il est vrai qu’à
lui seul celui-là en vaut plusieurs autres, vu les épizooties qui règnent sans
relâche parmi son gibier de prédilection.
Quoi qu’il en soit, passons en revue cette frétillante ménagerie.
Femme d’Etudiant
DÈS qu’un lycéen, grâce à sa première
inscription, se trouve investi du joyeux titre d’étudiant, une des nécessités
les plus indispensables selon lui pour régulariser sa nouvelle existence, est
l’acquisition d’une de ces Frétillons charmantes dont le type, hélas ! ne se
retrouve plus que dans les refrains de notre dernier poëte national.
La grisette a cessé d’exister depuis que, cessant d’être la bonne et simple
fille, laborieuse toute la semaine, rieuse et folâtre le dimanche, apportant au
budget commun sa modeste quote-part, elle s’est mise à prendre un amant, non
point par amour, mais, sangsue parasite, afin de prélever sur sa modique
pension de quoi se vautrer dans la fange de la paresse et les vapeurs de
l’orgie.
La vraie grisette était vive comme une anguille, proprette, insoucieuse et
naïve ; on reconnaissait chez elle plus d’étourderie que de débauche ; son
frais visage avait conservé cette vermeille fleur de jeunesse dont le prestige
fait souvent parler l’intérêt plus haut que le blâme désarmé. Mais la grisette
d’aujourd’hui, la femme d’étudiant !!...
La femme d’étudiant ! elle croupit dans l’oisiveté, son âme est débraillée
comme le corsage de sa robe ; pour tout dire, elle s’enivre des fumées
alcooliques mariées aux parfums de la pipe !
Pauvres filles, qui vous mettez au diapason du positivisme universel !
Eh ! non ! non ! non ! vous n’êtres plus Lisette
Eh ! non ! non ! non !
Ne portez plus ce nom !
Chambrières.
HÉLÈNE vivait la plus heureuse fille du monde ;
à l’exception de quelques matinées où madame la marquise la gourmandait de
mettre trop de mollesse à faire toucher les oeillets haletants du basin, les
soucis ne venaient guère plisser son malin et gracieux visage. Et puis Lafleur
n’était-il pas là pour dissiper d’un clin d’oeil le moindre nuage de tristesse
?
Par malheur, un beau jour elle s’avisa de consulter les cartes ; celles-ci lui
ayant affirmé de la façon la plus positive que tôt ou tard elle serait enlevée
par un prince du sang, lequel deviendrait son époux, elle ne rêva plus que
palais et couronnes. On devine sans doute que la pauvrette se laissa courtiser
par quelque noble don Juan. - Pour le bon motif, disait-elle. - A cela ne
tienne ! reprit-on. - Et maintenant elle figure parmi les Lorettes.
Lorettes.
COMME ses consoeurs les ribaudes, Hélène n’en
est plus à sa première étape ; le calus dont son coeur s’est encroûté ne fait
que croître et embellir. Sa jolie figure, autrefois si animée, a pris pour
toujours cette expression béante et immobile qui dénote une âme morte aux
douces affections hors desquelles il n’est plus de bonheur…
Toute la sagacité de son instinct de femme a tourné au mensonge, à la
dissimulation, à la ruse et à la cupidité. On l’a trompée, elle se venge à
cette heure : elle trompe avec délices.
Cependant, comme il faut qu’elle aime quelque chose, pour dernière et unique
ressource, elle se pressure le coeur afin de répandre le peu qu’il y reste de
tendresse sur un singe, un angora, un perroquet, ou quelque autre créature
aussi bien choisie…
Tant qu’elle conserve un dernier levain de jeunesse, elle dépense en intrigues,
en cavalcades, en spéculations, en virements de fortune, en tout ce qui agite,
remue, étourdit, ce qu’elle portait dans l’âme pour s’exhaler en expansions
d’amour et de caresses spontanées…
Elle a horreur du calme, parce qu’il amène la réflexion, et que pour elle la
réflexion est un abîme qui, pareil à l’enfer du Dante, lui montre, pour
dernière perspective, l’hôpital et la borne publique.
Aussi son élément est le tourbillon carnavalesque ; il semble que là, dans six
semaines de temps, elle revive toute une vie. Pantelante au bras des danseurs,
elle vole de l’un à l’autre ; cavale hennissante, le tintamarre des cymbales
qui se déchaînent comme la voix du trombonne dans Robert, la
transporte, l’enivre, la fait frissonner et bondir. Une puissance surnaturelle
décuple ses forces ; on se demande comment une créature si frêle, si chétive,
peut suffire à une pareille dépense d’agitation, de mouvement et d’entrechats…
Enivrez-vous, reines éphémères ! Puissent les clameurs de ceux qui vous
applaudissent et les vôtres, puisse le cliquetis des verres qui flambent et
s’entre-choquent, vous illusionner au point d’offrir à votre âme épuisée,
l’ombre de la joie, le spectre du bonheur !
Intrigantes.
ON n’en finirait pas si l’on voulait
énumérer un à un tous les échelons qui, de la femme-marchandise,
aboutissent, par une gradation insensible, jusqu’à la femme galante, qui
dispose de ses faveurs pour qui bon lui semble, mais ne souffre pas qu’on les
lui achète.
Il y a deux façons d’exploiter la matière féminine : moralement et
physiquement. Dans la première catégorie, nous ne nous ferons nul scrupule de
mettre toutes les femmes-amorce.
Femmes de limonadiers, d’orfèvres, de débitants, trafiquants et boutiquiers
qui, spéculant sur les appas de leur conjointe, la couvrent de rubis et de
dentelles comme la châsse de saint Hubert, afin d’affriander les chalands.
Parmi les femmes qui obéissent, non pas à leur caprice plus ou moins versatile
et fantasque, mais bien à un motif d’intérêt, nous pouvons ranger hardiment les
solliciteuses et les intrigantes.
Les moustiques ne se cramponnent pas avec plus d’acharnement sur la peau d’un
mulet, que les intrigantes sur le dos des chefs, sous-chefs, employés,
surnuméraires de bureaux ministériels, et des ministres eux-mêmes. Les
malheureux s’imaginent se tirer d’embarras en poussant ces dames jusque dans
leurs derniers retranchements, mais, victimes de leur propre artifice, combien
sont pris dans l’embûche qu’ils ont eu la maladresse de se tendre à eux-mêmes !
Or, il est certains moments de la vie où un galant homme ne sait plus rien
refuser…
Que les solliciteurs le savent bien !
N. B. Nous en avons fini avec la femme vénale ; c’est chez elle surtout
qu’on a lieu de se convaincre que la femme ne fait rien à demi : rapacité,
envie, ruse, perfidie, impudeur, elle porte tout à l’excès.
Il est bien entendu qu’à l’avenir nos jugements sur les femmes seront portés à
l’ex[ ]sion de ces dernières, parmi lesquelles, hâtons-nous de le
dire, il se trouve cependant des natures qui, bonnes et généreuses en dépit des
tours qu’on leur joue, suffiraient pour nous réconcilier avec ce genre de
femmes, s’il en était de même pour la majorité d’entre elles.
Femme galante.
JENNY est un excellent coeur de femme, elle
aime avec ardeur, avec emportement ; mais elle vous aime tant d’un coup, qu’au
bout de la quinzaine elle se trouve à court de sentiment.
Elle va semant partout, et de la meilleur foi du monde, ses boucles de cheveux
tressés en chiffres d’amour, ses billets roses parfumés et - ses faveurs.
Vous vous plaignez de son inconstance ; elle vous répond en vous donnant une
réminiscence de caresse :
« Vous êtes bien gentil, mon cher Paul ; mais que voulez-vous ? est-ce ma faute
si Adolphe l’est encore plus que vous ? »
Un Monsieur, pas très-beau, sollicitait avec instance ce dont elle est si prodigue
envers tous…
« Il y en a plus de quinze qui attendent, lui reprit-elle en souriant, - comme
toujours, sans l’ombre de fiel…
- Le quinzième soit, dit l’autre, j’aurai mon tour. »
Coquette.
LA flamme aux yeux, la glace au coeur, elle trône
au milieu d’un cercle de soupirants ; la plupart consumés d’une ardeur aussi
dévorante que la sienne, lui chantent les litanies d’un martyre qui, du reste,
ne leur ôte ni le sommeil, ni l’appétit.
C’est chose curieuse de la suivre dans son manège. Triomphante et radieuse
quand la foule se presse autour de ses charmes, avec quelle adresse elle
distribue à celui-ci un sourire furtif, à celui-là une oeillade, aux uns un
geste d’intelligence, aux autres une parole équivoque, à tous de l’eau bénite
de cour !
Vous chargeriez-vous de calculer ce qu’elle dépense en un jour de tactique et
de fourberies pour convaincre chacun d’eux en particulier de la préférence
toute spéciale dont elle le favorise !
Certaines coquettes ont la manie de montrer à tout venant les lettres d’amour
qu’on leur dépêche de droite et de gauche.
D’autres énumèrent complaisamment la multitude d’infortunés qui est
censée se dessécher et gémir sous le poids de leur joug irrésistible.
Et, chose bizarre ! vous qui les savez par coeur, qui tout bas flétrissez leurs
tromperies, vous ne pouvez cependant vous empêcher de venir leur apporter un
tribut d’encens, comme si, par le seul attrait matériel, jeunesse et beauté
suffisaient à vous captiver aux pieds d’une femme qui ne vaut pas votre estime.
Mais, au bout du compte, les coquettes, en fait d’amour, ressemblent au mauvais
riche, qui pour jouir des délices de la table a besoin de supputer au dessert
le nombre des malheureux qui meurent de faim.
Triste jouissance que celle qui procède par négation ! misérable bonheur que
celui qui existe à la condition de puiser ses éléments dans les infortunes et
les calamités d’autrui !!!
Dévotes.
ON en reconnaît plusieurs variétés ; entre
autres :
Dévote par genre,
Dévote par complexion.
Dévote par nécessité.
Dévote par genre.
LES modes changent.
Une année, c’est la Pompadour : des amants et des amantes déguisés en bergers
et bergères, qui filent d’une manière très-chaude le sentiment sous
l’ombre d’un hêtre ou sur les bords fleuris d’une onde pure ; et, de peur qu’on
ne s’y méprenne, des quatrains très-gaillards qui vous expliquent la chose.
L’année d’après, c’est le genre crucifix. Les éditeurs font fortune avec les
paroissiens complets illustrés en vert, en rose, en jaune, Dieu me damne ! avec
velours cramoisi pour couverture, et fermoir en or.
Il se consomme une quantité prodigieuse de bénitiers carton-pâte, de chapelets,
de rosaires et de crucifix d’ivoire montés sur fond noir encadré d’or.
Boudoir et parures, tout change… de forme, mais le fond reste.
Dévote par complexion.
CERTAINES femmes naissent dévotes ; j’en ai entendu
confesser tout haut qu’elles ne comprenaient, comme sainte Madeleine, que la
religion d’amour.
Le bruit court que, de toutes les femmes, les dévotes ne sont pas celles dont
on triomphe le moins aisément. Pourquoi ? me dira-t-on. Pourquoi !
C’est qu’elles aiment avec ardeur, avec tendresse, avec délire, comme madame de
Lavallière savait aimer.
Pauvres femmes, et je les plains, leur existence n’est qu’une série de faiblesses
et de remords ; elles n’ont pas plutôt failli qu’elles se repentent, et elles
ne se sont pas plutôt repenties qu’elles faillissent.
Elles ont hâte de saisir une bouffée d’amour entre deux confessions, comme une
belle promeneuse un rayon de soleil entre deux ondées.
Dévote par nécessité.
ELLE touche à cette saison qui n’est plus
l‘automne et n’est pas encore l’hiver ; les arbres qui s’inclinent sur le
fleuve de sa vie commencent à jaunir et à se dépouiller de leur feuillage.
L’amour, qui lui échappe, laisse dans son âme un vide immense devant lequel
elle recule épouvantée… Il ne lui reste plus qu’un refuge pour le combler, la
religion, qui, pleurant avec elle, lui ouvre les bras ; aussi c’est avec
ferveur et reconnaissance qu’elle s’y précipite.
Mais à mesure qu’elle se blase sur les joies d’un culte dont, degrés par
degrés, elle oublie les dogmes sublimes pour n’y plus voir qu’une pratique
sèche et routinière, son coeur se raccornit sur lui-même, et elle devient
la pire chose qui soit au monde, vieille dévote.
Au début, elle aimait Dieu comme sainte Thérèse, avec les élans d’un coeur de
femme ; Dieu était pour elle une forme nouvelle sous laquelle se reproduisaient
ses premières émotions d’amour ; « car aimer Dieu, c’est aimer quelque chose. »
Maintenant, Dieu est un despote qui l’empêche de manger gras les vendredi,
samedi, carême et vigiles, qui lui défend de tricher au loto et de médire de sa
voisine, dont l’épagneul est plus fringant et plus valeureux que le sien.
Dévotes en général.
JE le maintiens, le fond reste.
Mais que de subterfuges, que de petites restrictions ne s’ingénient-elles pas à
découvrir pour amoindrir, atténuer, je dirais presque sanctifier le péché
énorme qui leur coûte tant à dire dans le tuyau auriculaire de leur directeur !
Je pourrais à cet égard vous narrer quelques petites anecdotes fort piquantes ;
mais, outre que je serais fort embarrassé de les gazer convenablement,
Le secret d’ennuyer est celui de tout dire.
Esquisses géographiques.
LA femme n’est pas la même selon les lieux
qu’elle habite ; le milieu et le climat où elle vit lui impriment des
modifications curieuses.
On dit les femmes du Nord1, surtout les Allemandes, affectueuses et
sentimentales, les Espagnoles jalouses et vindicatives, les Italiennes faciles
et voluptueuses, les Anglaises romantiques, les Grecques sensuelles comme
Vénus, les Créoles caressantes, les Africaines volcaniques, et les Asiatiques,
quand elles ne sont pas nonchalantes, audacieuses, provoquantes et abandonnées.
J’ai vu de par le monde un rocher calciné sous les feux du soleil, et qui
produit des femmes d’une nature singulièrement incandescente ; ce sont les
Maltaises. Leur prunelle étincelante luit sous les plis noirs de leur faldetta
comme un phare au milieu des ténèbres.
Quant aux Françaises, ce qui les caractérise, c’est la coquetterie. Trop vaines
pour rester indifférentes, trop réfléchies pour obéir à l’impulsion des sens,
trop aimantes pour vivre sans intrigues, trop personnelles pour les mener
jusqu’au bout, c’est un mélange bizarre d’abandon et de réserve, d’égoïsme et
d’amour.
Croquis topographiques.
SI, des divers points du globe, nous passons
à une seule contrée, la France par exemple, nous verrons les localités apporter
de singulières variétés dans l’espèce féminine.
Au village, nous distinguerons la paysanne et la bourgeoise. La paysanne, moule
à progéniture, et qui semble tenir le milieu entre la brute et la créature
intelligente nommée par Linné : Homo sapiens.
Puis vient la bourgeoise, guindée dans sa mise comme dans son caractère,
confite de morgue et d’ennui, morte aux affections du coeur, insipide à
elle-même et aux autres.
L’espace nous manque pour suivre fidèlement chaque échelon de la nomenclature.
Ainsi, après les villages viennent les bourgs, après les bourgs, les
chefs-lieux de canton où la civilisation commence à faire germer des
accointances plus ou moins scandaleuses entre les clercs d’huissiers, de
greffiers ou de notaires, et les dames de l’endroit.
Arrivons aux villettes. La zone glaciale qui s’étend encor sur les domaines du
coeur commence à remonter au degré de la glace fondante ; il y a progrès, les
femmes tendent à se démomifier. Leur allure s’engaillardit et leur toilette se
civilise. Il y a déjà des lyres pour chanter la prose rimée et des oreilles
pour l’entendre.
Des villettes passons aux sous-préfectures. Les plus belles dispositions
pointent par ci par là, et, n’était la crainte du cancan, on
mettrait à exécution le système George Sand, dont les théories enlèvent à huis
clos le suffrage universel.
Quoi qu’il en soit, toutes les fois qu’il s’agit d’un projet de caserne pour
une garnison future, les femmes qui ont le bonheur d’avoir pour mari un membre
du conseil municipal ne manquent jamais d’appuyer la motion.
Enfin, dans les préfectures, tout se perfectionne de la façon la plus édifiante
; les réunions grossissent, les maisons s’écartent les unes des autres, et le
soir il y a des boulevards et des rues dont le modeste éclairage donne le champ
libre aux manteaux couleur de muraille. Le carnaval foisonne en bals plus ou
moins échevelés, et le carême en vêpres et saluts nocturnes derrière les
pilastres ombreux des vastes cathédrales.
Les grandes villes, quoique moins bien favorisées que Paris, sont déjà
cependant un théâtre fort recommandable pour messer Cupidon. D’ailleurs les
dames visent de toutes leurs forces à se parisianiser, et, pour y
arriver, ne trouvent pas en toutes choses le genre métropolitain. Par exemple,
si à Longchamps on s’est décolleté jusqu’à la fossette du col, elles laisseront
bâiller leur corsage jusqu’à la ceinture. Les rubans s’y portent toujours plus
longs et les jupons plus courts.
Encore un coup de plume, lecteur, et nous voici rendus dans l’Athènes moderne.
C’est le moment d’établir un bref parallèle entre la Provinciale et la
Parisienne. Si nous avions les deux sujets de la comparaison en regard, je vous
dirais : Voyez ! et la différence vous sauterait aux yeux, car une Parisienne
ne ressemble pas plus à une Provinciale qu’un sous-lieutenant à un séminariste.
La Parisienne est artiste dans sa toilette, tout y respire la
fraîcheur, le bon goût, l’abandon, la grâce. Sa démarche est preste et décidée,
son regard fin et curieux, sa bouche avenante, son maintien plein d’aisance et
de laisser-aller.
La Provinciale est riche dans sa toilette ; elle y prodigue les
tissus les plus recherchés, les étoffes les plus rares, surchargées des joyaux
les plus compliqués, des broches et des chaînettes les plus massives. Sa
démarche est patriarcale, son regard vide par convenance, sa bouche pincée, son
maintien digne et théâtral, quand il n’est pas raide, gauche et guindé.
Quant au moral, si les Parisiennes l’emportent pour la superficie, je n’oserais
pas dire qu’il en fût de même pour le fond. Les Provinciales sont loin d’avoir
ce petit jargon du jour, qui, tel que la forme des chapeaux, change tous les
trimestres ; mais, soyons juste, elles se passent à merveille du marivaudage
parisien, parce que ce qu’elles disent elles le sentent vivement, et que ce qui
est senti vit de ses propres forces.
Les Parisiennes pratiquent l’amour à la manière de M. Scribe, les Provinciales,
à la manière d’Alexandre Dumas, de Victor Hugo et de tous les écrivains
réellement passionnés.
Donc, c’est en province que les sentiments germent et poussent avec vigueur ; à
Paris, c’est presque impossible : une atmosphère tumultueuse y bouleverse trop
le sol pour que quoi que ce soit y prenne racine.
Y a-t-il des Femmes fidèles ?
JE le crois parbleu bien…….
J’arrive de Turquie.
- C’est en France que nous sommes.
- En France, les boudoirs ne font faute, non plus que de l’autre bord de la
Méditerranée les harems ; mais j’y vois cette petite différence, c’est que chez
nous il n’y a point d’eunuques accroupis nuit et jour à la porte d’entrée,
laquelle livre souvent passage à plus de moustaches que de papillotes.
D’où vous concluez ?
Oh ! je ne conclus rien.
Enfin, y a-t-il des femmes fidèles ?
Sans nul doute !
Dans quelle proportion ?
Pour cela, je l’ignore.
Qu’est-ce qu’une Femme vertueuse ?
CELLE qui, mise dans toutes les circonstances
possibles qui ont entraîné la chute des pécheresses, n’eût jamais failli.
Qu’est-ce qu’une Femme coupable ?
CELLE dont le coeur est susceptible de
concevoir un amour assez violent pour lui faire sacrifier sa tranquillité, son
bonheur, sa réputation, sa vie même, pour celui qu’elle aime.
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