IX.
CONDITION DE LA FEMME CHEZ LES ANCIENS.
SI nous ouvrons la Bible, nous verrons la
femme très-humble servante de son époux, partager sa couche avec des
concubines, s’incliner devant lui craintive et soumise, et ne jamais l’appeler
autrement que son Seigneur et Maître.
Chez les Grecs, la femme, retirée dans son intérieur, passait sa vie au milieu
de ses esclaves assises autour d’elle, filant leur quenouille et tissant la
toile, tandis qu’elle-même brodait de la tapisserie en faisant l’éducation de
ses enfants.
Les Grecs, passés maîtres en fait de jouissances, savaient trop bien quel
charme répand sur la vie le commerce des femmes, pour ne pas mettre à profit
les délices de leurs entretiens spirituels et légers, ainsi que la douceur
enivrante de leurs caresses.
Afin de concilier ces deux choses, la paix, le bon ordre de la famille, et les
jouissances que la femme devait leur offrir, ils prirent, selon moi, le parti
le plus sage. Laissant leurs épouses s’ensevelir dans les soins du ménage, ils
se créèrent des lieux de réunion et de plaisir chez des femmes, dont le nom
alors n’avait rien d’ignominieux.
Les Courtisanes répondaient à nos grandes comédiennes d’autrefois. Soignées
dans leur éducation, élégantes et spirituelles, elles tenaient le sceptre de la
grâce, de la beauté, et souvent même celui de la république. Aspasie dictait
ses décrets au peuple athénien par la bouche de Périclès.
C’était aux pieds de ces femmes, dont l’esprit donnait l’impulsion au siècle,
que les grand poëtes et les triomphateurs venaient déposer leurs couronnes.
Les Romains, vainqueurs des Grecs, en adoptèrent les coutumes. Ils entouraient
leurs épouses d’une telle auréole de respect, que sur le théâtre on ne pouvait
représenter de personnages de femmes autres que des courtisanes. Mais celles-ci
devinrent prostituées aussitôt que, par le relâchement des moeurs, elles
trouvèrent dans les grandes dames romaines des rivales, qui ne rougirent pas de
lutter avec elles de débauche et de dépravation.
Enfin, le christianisme, soleil d’amour et de liberté, luit sur le monde, et
les fers des esclaves se brisent, et la femme, participant à cet
affranchissement général, conquiert aussi son émancipation.
Nous verrons si elle en devint plus heureuse.
Condition de la Femme en Orient.
LA première fois que je jetai l’ancre dans
les eaux du Bosphore, il est deux choses que je contemplai avec une égale
surprise, les minarets qui pointaient vers le ciel, et les femmes voilées de
blanc, accroupies dans le fond des kaïques.
Tous les Européens éprouvent un sentiment de curiosité indicible, et de
compassion à la fois, en voyant ces misérables créatures qui vont à la remorque
du maître, comme une meute à la suite du chasseur.
Leur vie est une vie d’ignorance, d’oisiveté, et de passivité servile. Tantôt
couchées sur leurs divans, derrière les grillages du harem ; tantôt entassées
l’une sur l’autre au fond des arabas dorés ; tantôt, les plus pauvres, traînant
nonchalamment leurs bottines jaunes sur les cailloux inégaux des rues
montueuses de Stamboul ou de Topana ; elles ont toujours l’air à peu près aussi
morne et aussi ennuyé.
Voici la vie qu’elles mènent :
Quand la saison ne leur permet pas d’aller s’asseoir sur les rives fleuries et
ombragées des eaux douces d’Europe ou d’Asie ; quand la tempête qui soulève les
vagues du Bosphore les empêche de le sillonner en tous sens, elles demeurent
cloîtrées au logis, et là, triste récréation, passent leur temps à manger, se
parer ou médire.
J’ai voyagé sur la mer Noire avec un capitaine autrichien, qui, ami assez
intime du pacha de Sinope, avait obtenu de lui la grâce spéciale de
l’accompagner un soir au milieu de ses jeunes esclaves.
Elles n’avaient plus ce grand voile qui leur couvre la tête, le front et la
bouche ; non plus que leur large manteau qui dérobe toutes leurs formes. Elles
avaient sur la tête un madras étincelant de diamants ; leur buste, vierge des
absurdes pressions du corset, faisait saillir avec grâce et souplesse toutes
ses formes sous une sorte de justaucorps de velours cramoisi. Un cachemire leur
ceignait les reins, et un immense pantalon, noué au-dessus de la cheville,
laissait flotter ses larges plis sur leurs jambes. Quant à leurs pieds, ils
étaient mignonnement enfermés dans de délicieuses babouches de velours rose,
brodé d’or et de perles fines.
Elles étaient quatre. A un signe du maître, elles se mirent à danser aux sons
d’une musique assez sauvage et monotone, dont les accords vibraient sourdement
sur les cordes d’une petite mandoline.
Et, pendant qu’elles nouaient et dénouaient leurs choeurs de danse, ces
Messieurs, ô Mahomet ! buvaient du genièvre, et elles venaient tour à tour
agacer l’impassible pacha, tantôt lui caressant la barbe, tantôt lui portant à
la bouche un quartier de noix ou d’orange qu’elles tenaient à leurs lèvres.
Et quand le pacha en eut assez, il choisit celle qui avait eu le talent de
l’enflammer davantage.
Le tableau que je viens de tracer, sans doute, n’est pas fait pour tenter nos
indépendantes des bords de la Seine ; et cependant.
Cependant pour ces femmes qui n’ont pas idée d’une autre façon de vivre, ce
genre d’existence a ses délices. Etrangères à toute chose, au commerce, aux
tracas d’ambition et aux autres soucis d’intérieur, elles se bercent et
s’assoupissent dans ce far niente oriental, qui a un caractère tout
particulier de béatitude extatique.
Condition de la Femme en France.
EN fait de liberté, les Françaises n’ont pas
leurs pareilles.
Jeunes filles, elles sont parfaitement libres d’aller se cloîtrer dans le
pensionnat d’un couvent, jusqu’à leur dix-huitième printemps.
Libres d’aller à la messe et à la promenade escortées de leur femme de chambre,
qui ne les quitte pas plus que leur ombre.
Et enfin un beau jour, libres d’épouser le premier magot titré ou doré, auquel
leurs père et mère trouveront très-raisonnable de les accoupler.
Après leur doux hyménée, elles sont, plus que jamais, libres de suivre un mari
maussade, quelquefois même brutal, en Cochinchine, si bon lui semble.
Libres de lui apporter en sus de leur personne une dot assez rondelette, dont
elles seront libres également de ne disposer d’aucune sorte, dans le cas même
où leur mari ne leur eût apporté que des dettes en échange.
Libres, quand elles ont l’effronterie de se soustraire à ce joug plein de
charmes, de suivre deux gendarmes qui s’empressent de leur tenir compagnie
jusqu’au domicile dit conjugal, où elles retrouvent leurs charmants époux.
En un mot, les Françaises ont une liberté tellement exorbitante, que c’en est
effrayant !
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