SCÈNE DIXIÈME
Isolier, assis sur le canapé; La comtesse, debout,
s'appuyant prés de lui; le comte, sor tant de sa chambre.
La nuit est complète.
Trio
LE COMTE
À la faveur de cette nuit obscure,
Avançons-nous, et sans la réveiller,
Il faut céder au tourment que j'endure;
Amour me berce, et ne puis sommeiller.
Ensemble
LA COMTESSE
Ah! sa seule présence
Fait palpiter mon coeur;
La nuit et le silence
Redoublent ma frayeur.
ISOLIER
De crainte et d'espérance
Je sens battre mon coeur.
La nuit et le silence
Redoublent son erreur.
LE COMTE
D'amour et d'espérance
Je sens battre mon coeur;
Et sa seule présence
Est pour moi le bonheur.
ISOLIER
(bas, à la comtesse)
Parlez-lui.
LA COMTESSE
Qui va là?
LE COMTE
C'est moi: c'est soeur Colette.
Seule, et dans cette chambre où je ne peux dormir,
Tout me trouble, et tout m'inquiète.
J'ai peur... permettez-moi... près de vous... de venir.
ISOLIER et LA COMTESSE
(à part)
Ah! quelle perfidie!
LE COMTE
(avançant près d'Isolier)
Ô moments pleins de charmes!
Quand on est deux, on a moins peur.
ISOLIER
(à part)
Oui, lorsqu'on est deux.
LE COMTE
(prenant la main d'Isolier)
Ah! je n'ai plus d'alarmes.
LA COMTESSE
Que faites-vous?
LE COMTE
(pressant la main d'Isolier)
Pour moi plus de frayeur!
Quand cette main est sur mon coeur.
LA COMTESSE
(à part, et riant)
Il presse ma main sur son coeur.
ISOLIER
(bas, à la comtesse)
Beauté sévère, Laissez- le faire;
Son bonheur ne vous coûte rien.
LE COMTE
(à part)
Grand Dieu! quel bonheur est le mien!
Ensemble
LE COMTE
D'amour et d'espérance
Je sens battre mon coeur;
Amour, par ta puissance,
Achève mon bonheur.
LA COMTESSE
Ah! sa seule présence
Fait palpiter mon coeur;
La nuit et le silence
Redoublent ma frayeur.
ISOLIER
De crainte et d'espérance
Je sens battre mon coeur;
Sachons avec prudence
Prolonger son erreur.
LA COMTESSE
Maintenant, je vous en supplie,
Soeur Colette, rentrez chez vous.
LE COMTE
(à Isolier)
Vous quitter... c'est perdre la vie...
Oui, je demeure à vous genoux.
LA COMTESSE
(à part) (Haut)
Je tremble. Ô ciel! que faites-vous?
LE COMTE
Sachez le feu qui me dévore!
C'est un amant qui vous implore.
LA COMTESSE
Ah! grand Dieu! quelle trahison!
LE COMTE
L'amour qui trouble ma raison
Doit me mériter mon pardon.
(À Isolier qui veut se lever)
Ne m'ôtez point, je la réclame,
Cette main que ma vive flamme...
LA COMTESSE
Ah! comme vous me pressez!
Laissez-moi.
LE COMTE
(embrassant Isolier)
Vrai Dieu! Madame,
Peut-on vous aimer assez?
(En ce moment on entend sonner la cloche, et un bruit
de clairons retentit à la porte du château. Les femmes
de la comtesse se précipitent dans l'appartement
en tenant des flambeaux).
LE COMTE
Ô ciel! quoi est ce bruit?
ISOLIER
(jetant son voile)
L'heure dé la retraite.
Car il faut partir, Monseigneur.
LE COMTE
(le reconnaissant)
C'est mon page Isolier!
ISOLIER
Celui que soeur Colette
Embrassait avec tant d'ardeur.
LE COMTE
Je suis trahi! crains ma colère!
ISOLIER
Craignez celle de mon père!
Il arrive dans ce castel.
Entendez-vous ce cris de joie?
LE COMTE
Ô ciel!
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