SCÈNE CINQUIÈME
Les précédents, Raimbaud, tenant un panier sous son
manteau de pèlerine.
RAIMBAUD
En voici, mes amis.
TOUS
(se levant)
C'est Raimbaud!
RAIMBAUD
En héros j'ai tenté l'aventure,
Et je viens avec vous partager ma capture.
Air
Dans ce lieu solitaire,
Propice au doux mystère,
Moi, qui n'ai rien à faire,
Je m'étais endormi.
Dans mon âme indécise,
Certain goût d'entreprise
Que l'exemple autorise
Vient m'éveiller aussi.
C'est le seul moyen d'être
Digne d'un pareil maître,
Et je veux reconnaître
Ce manoir en détail!
Je pars... Je m'oriente;
À mes yeux se présente
Une chambre élégante,
C'est celle du travail.
Une harpe jolie...
De la tapisserie;
Près d'une broderie
J'aperçois un roman!
Même en une chambrette,
J'ai, dans une cachette,
Cru voir l'historiette
Du beau Tyran-le-Blanc!
Marchant à l'aventure
Sous une voûte obscure,
Je vois une ouverture...
C'est un vaste cellier,
Dont l'étendue immense
Et la bonne apparence
Attestaient la prudence
Du sir de Formoutier,
Arsenal redoutable,
Qui fait qu'on puise à table
Un courage indomptable
Contre le Sarrasin.
Armée immense et belle,
D'une espèce nouvelle,
Plus à craindre que celle
Du sultan Saladin...
Près des vins de Touraine,
Je vois ceux d'Aquitaine,
Et ma vue incertaine
S'égare en les comptant.
Là, je vois l'Allemagne;
Ici, brille l'Espagne;
Là, frémit le champagne
Du joug impatient.
J'hésite... ô trouble extrême!
Ô doux péril que j'aime!
Et seul, avec moi-même,
Contre tant d'ennemis,
Au hasard, je m'élance.
Sans compter je commence;
J'attaque avec vaillance,
À la fois vingt pays.
Quelle conquête
Pour moi s'apprête!...
Mais je m'arrête,
J'entends du bruit.
Quelqu'un s'avance,
Vers moi s'élance!
On me poursuit.
Les échos en frémissent,
Les voûtes retentissent,
Et moi, je fuis soudain.
Mais, que m'importe?
Gaîment j'emporte
Toute ma gloire et mon butin.
TOUS
(ôtant les bouteilles du panier)
Partageons son butin!
Qu'il avait de bon vin
Le seigneur châtelain!
Pendant qu'il fait la guerre
Au Turc, au Sarrasin;
À sa santé si chère
Buvons ce jus divin.
Buvons, buvons jusqu'à demain.
Quelle douce ambroisie!
Célébrons tour à tour
Le vin et la folie,
Le plaisir et l'amour.
LE COMTE
On vient... c'est la tourière!...
Silence! taisez- vous!
Mettez-vous en prière,
Ou bien c'est fait de nous.
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