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Amédée de Caix de Saint-Amour
Coutumes singulières, chroniques, légendes documents curieux et inédits concernant la noblesse

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  • I Origine du proverbe Ranger en rang d’oignons.
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I
Origine du proverbe Ranger en rang d’oignons.



JE suis persuadé qu’aucun des lecteurs de la Revue Nobiliaire ne soupçonne que le proverbe Ranger en rang d’oignons ait quelque rapport avec la Noblesse ? Rien n’est plus vrai, cependant ; et si la Noblesse n’eût pas existé, ce proverbe bizarre n’aurait jamais pris naissance.

Voici cette piquante étymologie, qui non seulement est restée comme tradition dans le pays où est situé le hameau qui y a donné lieu, mais qui encore est consignée en substance dans un grave historien, l’abbé Carlier1.

Sur les fertiles coteaux arrosés par la petite rivière d’Aunette, à une lieue de l’antique cité de Senlis, aujourd’hui modeste sous-préfecture du département de l’Oise, s’élève une maison de plaisance qui a remplacé un ancien castel détruit par le vandalisme des hommes aidés de la main du temps : c’est le château de la séculaire baronie d’Ognon2.

Ognon, voilà un nom bien ridicule, n’est-ce pas ? D’où vient-il ? Je n’en sais rien, et comme il serait difficile de former là-dessus des conjectures, je ne l’essaiera pas. Toujours est-il que l’origine de la baronnie d’Ognon se perd dans la nuit des temps.

Or, vers l’an de grâce 1515, Artus de la Fontaine-Solare, d’une noble et ancienne famille3 qui depuis près d’un siècle possédait de père en fils la capitainerie de Crespy, était seigneur d’Ognon ; il prenait les qualités de baron d‘Ognon, capitaine de Crespy, seigneur de Fontaine, Vaumoise et autres lieux. C’était un homme d’un grand mérite, comme nous le voyons dans l’historien du Valois, et il était très-considéré à la cour. Et ce qui le prouve, ce sont les charges honorables dont il fut revêtu.

Je viens de mentionner qu’il était capitaine de Crespy, ce qui le faisait pour ainsi dire gouverneur du duché de Valois ; mais, outre cette charge, qu’il ne devait peut-être qu’aux services et à la noblesse de ses pères, et à sa position dans le pays, il en eut d’autres, plus brillantes encore, qu’il ne dut qu’à son propre mérite : il fut deux fois revêtu du caractère d’ambassadeur près les cours de Vienne et de Constantinople, et il obtint la lieutenance générale de l’Ile-de-France.

Mais la charge qu’il posséda le plus brillamment, et qui doit nous occuper davantage, est celle de maître des cérémonies, qu’il exerça sous les règnes de François Ier, de Henri II, de Charles IX et de Henri III.

La charge de maître des cérémonies, mes lecteurs le savent mieux que moi, a bien diminué de son importance ; c’était autrefois une des premières de la cour ; il fallait passer par ceux qui la possédaient pour arriver au Roi, et les plus grands seigneurs ambitionnaient l’honneur de la remplir. Mais il y avait aussi le revers de la médaille, et, comme toute chose en ce bas monde, cet emploi si envié avait son mauvais côté.

Le maître des cérémonies, qui devait présider aux fêtes, y empêcher le désordre, mettre chacun à sa place et souvent diriger des marches qui étaient fort difficiles dans le Paris de ce temps, dont les rues étaient étroites et tortueuses, le maître des cérémonies, dis-je, devait nécessairement choquer quelquefois l’orgueil ou les prétentions des seigneurs de la cour.

Le baron d’Ognon, qui remplissait ses fonctions avec zèle et justice, se vit donc en butte aux susceptibilités blessées de plusieurs courtisans. «La contrainte de ceux qu’il arrangeait ainsi, dit encore l’historien du Valois, fit naître à quelque plaisant l’idée des oignons qu’on arrange sur les glanes sans laisser d’intervalles. L’allusion du nom de la terre d’Oignon avec le nom de cette plante fortifia cette idée ; on la trouva facétieuse et on l’appliqua aux circonstances des cérémonies, des marches et des repas où l’on est trop serré.»

Telle fut l’origine du proverbe Ranger en rangs d’oignons.

Pour ce qui est d’Artus, il mourut dans un âge assez avancé, lieutenant général de l’Ile-de-France, et laissa la baronnie d’Ognon à son fils François de la Fontaine, gouverneur de Pont-Sainte-Maxime, et qui, s’étant rendu caution d’une grande somme pour la reine Marie de Médicis lorsqu’elle sortit de France en 1630, fut dans la nécessité de vendre ses terres et ses charges pour faire honneur à ses engagements. Il mourut le 30 janvier 1632.

La terre d’Ognon avait été achetée en 1630 par Jean-François l’Ecuyer, qui devint4 plus tard conseiller à la Cour des Comptes, et enfin elle passa vers 1670 à la famille Titon5, dans laquelle elle resta jusqu’après la Révolution.




1 Histoire du duché de Valois, 3 vol. in-4°, Paris.


2 Ognon, Oignon ou même Ongnon, dans les anciens titres.


3 La famille de la Fontaine remonte au Jean de la Fontaine écuyer-panetier du duc d’Orléans, en 1472 (voir le P. Anselme). Les la Fontaine, comtes de Verton en Ponthieu, les la Fontaine, seigneurs de la Boissière, et les la Fontaine-Solare sont de cette maison, qui subsiste encore en Picardie. Armes : Bandé d’or et d’azur de six pièces, les bandes d’or échiquetées de gueules de trois traits. Devise :  Tel fiert (blesse),  qui ne tue point.


4 Ce Jean-François l’Escuyer fut reçu à la Chambre des Comptes le 29 décembre 1659, au lieu de François Chaillou ; il y resta jusqu’en juillet 1667. Il portait : D’azur, au chevron d’argent chargé de cinq roses de gueules et accompagné de trois étoiles d’or, 2 en chef, 1 en pointe. (ARMORIAL DE LA CHAMBRE DES COMPTES, par Mlle Denis).


5 Titon de Bragelongne, Titon de Villotran, Titon de Villegenon, Titon du Tillet ; cette famille, qui a porté successivement ces différents noms, et qui compte encore aujourd’hui des représentants, a pour armes : De gueules, au chevron d’or accompagné de trois casques d’argent, les deux du chef posés de profil, celui en pointe posé de face. Plusieurs hommes distingués sont sortis de cette maison ; entre autres Maximilien Titon de Villegenon, seigneur d’Ognon, etc., secrétaire du Roi et directeur général des magasins d’armes sous Louis XIV. C’est à lui qu’est due la fondation des arsenaux. Il mourut âgé de 80 ans, le 29 janvier 1711. Il eut pour fils Evrard Titon du Tillet, seigneur du Plessis-Chamant, etc., qui fut auteur du Parnasse français.





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