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Guy de Maupassant
La trahison de la comtesse de Rhune

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ACTE DEUXIÈME



SCÈNE PREMIÈRE



LA COMTESSE, JACQUES DE VALDEROSE

Le théâtre représente une salle du château de Rhune qui sert d'oratoire à la Comtesse. Sorte de chapelle à gauche. Portes des deux cités de la scène ; fenêtres au fond.
Valderose est aux genoux de la Comtesse assise dans un fauteuil et tient une main dans les siennes en la regardant avec amour.

JACQUES DE VALDEROSE


Oh ! je voudrais rester ainsi ma vie entière.
Vous m'aimez ! c'est donc vrai ! vous, ma maîtresse altière,
Puissante et noble, à l'œil sévère et redouté ;
Vous dont je contemplais la sereine beauté
Ainsi que l'on regarde une étoile lointaine ;
Vous dont je redoutais la parole hautaine.

LA COMTESSE


Savez-vous maintenant ce que c'est que l'amour ?

JACQUES DE VALDEROSE


On ne le sait jamais, on l'apprend chaque jour.

LA COMTESSE

 

Comment l'apprenez-vous ?

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 En vous voyant sans cesse.

 

LA COMTESSE

 

Et cela vous suffit ?

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 C'est trop pour ma bassesse.

 

LA COMTESSE


L'amour ne connaît point bassesse ni grandeur.

S'aimer, c'est être égal.

 

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 Je vous aime.

 


LA COMTESSE

 

 

 Candeur

D'enfant ; un mot n'est rien ; mais l'amour est immense,

Qu'est-ce que c'est ?

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 Le ciel espéré qui commence.

Un bonheur si parfait qu'on ne le comprend point.

LA COMTESSE

 

Non, ce n'est pas cela, qu'est-ce donc ?

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 Un besoin

De tenir dans ma main votre main qui la touche,
De respirer l'air pur qui vient de votre bouche,
D'écouter votre robe en vous voyant passer,
De sentir tout à coup votre œil me caresser,
M'emplissant de chaleurs et de clartés d'aurore,
Superbe et doux, tout noir de choses que j'ignore,
Que je voudrais comprendre et que je crains un peu.

LA COMTESSE

 

Non. Ce n'est point cela. Qu'est-ce que c'est ?

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 Un feu

Qui change la poitrine en un brasier de forge,
Un volcan de baisers qui montent à la gorge

Prêts à jaillir.

 

 

 


LA COMTESSE

 

 Non.

 

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 

 C'est l'âme du bonheur.

 


LA COMTESSE

 

 

 

 Non.

 

JACQUES DE VALDEROSE


C'est l'infini qui s'ouvre ainsi qu'un horizon.

LA COMTESSE


Non. C'est le dévouement sublime et la souffrance ;
Le moment de la viefinit l'espérance.
On aime, c'est assez. Aimer, c'est l'abandon
Complet de soi, l'entier sacrifice, le don
De son corps, de son sang, de son cœur, de son être,
De tout rêve, de tout désir qui nous pénètre,
Et de l'honneur humain pour un autre plus grand :
Un besoin de donner plus encor qu'on ne prend,
De vivre l'un pour l'autre et de mourir de même ;
Comprenez-vous cela ? Mourir pour qui l'on aime !

JACQUES DE VALDEROSE


Je ne vois, je ne sens, je ne comprends enfin
Que ceci : « Je vous aime. » Ô maîtresse, j'ai faim
De votre voix, j'ai soif de vos regards ; j'adore
Votre être tout entier. Je vous aime. J'ignore,
Je méprise, je hais tout ce qui n'est pas vous.
Oui, je voudrais mourir d'amour à vos genoux.

LA COMTESSE, impatientée.


Oh ! que tu comprends mal l'amour, enfant timide !
Tu parles de tendresse avec ton œil humide
Et des roucoulements d'oisel. Qu'est tout cela
Près de l'emportement terrible que j'ai là ?
As-tu pendant des nuits senti ta chair se tordre
Et ton corps sangloter, et la rage te mordre
A la gorge, et sonner dans ton sein, comme un glas,
Le dégoût d'un passé qui ne s'efface pas.
Dans ton cœur déchiré que le désir affame
As-tu jamais songé que, moi, je fus la femme
D'un autre, qu'il m'aima d'amour, qu'il me fut cher,
Et qu'on n'arrache pas ses baisers de ma chair,
Que l'âme comme un corps se flétrit aux caresses,
Et qu'elle est moins entière aux secondes tendresses.

Es-tu jaloux ?

 

 


JACQUES DE VALDEROSE

 

 Jaloux de qui ?

 


LA COMTESSE

 

 

 De mon passé.

 

JACQUES DE VALDEROSE

 

Non, puisque vous m'aimez.

 


LA COMTESSE

 

 Songe qu'il a laissé

Sa trace dans mon cœur ainsi que sur ma lèvre.

JACQUES DE VALDEROSE


Taisez-vous ; chaque mot me brûle d'une fièvre

Atroce, je ne veux rien savoir.

 


LA COMTESSE

 

 Me crois-tu,

Enfant faible et craintif, de si courte vertu
Que je cède au premier empressement d'un homme,
Ainsi qu'au son du cor une ville qu'on somme ?
Pour entrer dans la place, il faut être vainqueur,
Il faut avoir souffert pour entrer dans mon cœur.
Mieux qu'une forteresse on doit savoir me prendre,
L'assaut est périlleux, car, avant de me rendre,
Je te ferai verser des larmes et-du sang.

JACQUES DE VALDEROSE


Pourtant, je ne vois point de péril si pressant
Qui me force à subir une pareille épreuve.

LA COMTESSE


Mais si le roi Philippe apprend que je suis veuve,
Moi qui tiens trois châteaux de France en mon giron,
Alors, il m'enverra quelque puissant baron,
Pour accomplir du Roi la volonté jalouse
Il faudra bien, mon pauvre enfant, que je l'épouse.

Que ferez-vous alors ?

 

 


JACQUES DE VALDEROSE, avec violence.

 

 Je le tuerai.

 


LA COMTESSE le baise au front brusquement avec un cri de joie.

 

 

 Je t'aime.


Elle s'enfuit précipitamment par la porte de gauche.

 




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