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Guy de Maupassant La trahison de la comtesse de Rhune IntraText CT - Lecture du Texte |
SCÈNE X
LA COMTESSE, LE COMTE DE RHUNE, JEANNE DE BLOIS
La porte de droite s'ouvre, toute grande,
livrant passage au comte de Rhune donnant la main à Jeanne de Penthièvre
entourée de gentilshommes.
LA COMTESSE, reculant avec un cri terrible.
Le comte,
Mon mari !...
Puis,
se jetant dans ses bras.
Vous, Seigneur, vous que je croyais mort !
LE COMTE DE RHUNE, la baisant au front.
Chère femme, merci. Mais regardez d'abord
Madame, et saluez celle qui m'accompagne,
La comtesse de Blois, duchesse de Bretagne.
Qui vous demande asile, en ayant grand besoin,
Car nous venons ainsi de Nantes, et c'est fort loin.
LA COMTESSE, s'inclinant très bas.
Donnez-moi votre main sans tant
de politesse,
Avec un peu de bonne amitié ; voulez-vous ?
LA COMTESSE
Un sujet doit rester, madame, à vos genoux.
Non pas, près de mon cœur.
Elle l'embrasse et s'appuie sur son épaule
pendant une partie de la scène. Se tournant vers le comte en souriant.
Vous garderez ce soir Penthièvre et sa fortune.
Mais je suis plus tranquille, étant sous votre toit,
Que si j'étais encore au Louvre, auprès du Roi.
Et puis, cela me donne une amie inconnue
Que cette guerre avait loin de moi retenue.
De la maison de Rhune à la maison de Blois,
On se tient comme un fer de lance tient au bois.
LE COMTE
Non, madame, mais comme au bras tient une épée.
Le bras, c'est vous.
La duchesse s'incline en souriant, puis :
JEANNE DE BLOIS, à la comtesse.
J'étais toute préoccupée.
Les
Anglais, disait-on, vous assiégeaient ici.
Moi-même, j'ai voulu venir à vous.
LA COMTESSE
Merci,
Aviez-vous point de crainte,
Vous trouvant enfermée ainsi dans cette
enceinte
Avec quelques soldats, serviteurs et valets ?
LA COMTESSE, avec un sourire ambigu.
Non. Je n'ai jamais peur en face des Anglais,
C'est très beau.
LA COMTESSE
Comment peut-on si vite entrer dans une place
LA COMTESSE
Et vous n'avez point peur au milieu d'un combat ?
Nous n'avons jamais peur, madame, car nous sommes
Bien gardée au milieu de tous ces gentilshommes.
Les
désignant :
Messieurs de Saint-Venant et de Montmorency,
Les maréchaux de France. Et monsieur de Coucy,
Qui tua vingt Anglais en un seul jour. Le sire
De Sully. Si grande est la terreur qu'il inspire
Que l'ennemi se cache en entendant son nom.
Le comte de Ponthieu, le sire de Craon,
Nobles autant que preux. Puis, sous cette cuirasse,
Est un jeune écuyer de bonne et vieille race
Qui s'appelle Bertrand Duguesclin. Devant lui,
Tout homme qui veut vivre un jour de plus s'enfuit.
Tout à l'heure, il a fait si féroce tuerie
D'ennemis, qu'il semblait quelque diable en furie.
Il était au milieu d'une
,plaine de morts
Quand le chef des Anglais l'attaqua corps à corps.
C'est un certain Romas, de gentille figure,
Auquel sied mieux habit brodé que lourde armure.
Or, messire Bertrand, l'ayant pris par le bras,
L'enleva de cheval et puis le jeta bas.
Même, si les Anglais n'étaient venus en nombre,
Il l'envoyait du coup dans le royaume sombre.
Ah ! messire Bertrand, l'on parlera de vous
Sur terre et je plains ceux qui recevront vos coups.
Ce... Romas... n'est point mort, cependant ?
Pas encore,
Mais n'en vaut guère mieux, car
demain, dès l'aurore,
Il doit se battre avec notre ami Duguesclin.
Celui-ci, qui n'est guère à la clémence enclin,
Jure de ne manger pain de froment ou d'orge
Avant de lui passer son épée en la gorge.
LA COMTESSE, avec un accent particulier.
Ah !... .nous verrons cela.
Comtesse,
et comme il sied que tous les nobles fronts
Soient payés de baisers venus de nobles bouches,
A nous de lui donner...
La comtesse fait un mouvement brusque.
Vous font peur ? J'aime mieux un
visage un peu noir
Qu'un autre qui, trop blanc, s'admire en un miroir.
Je préfère, en un mot, le fond à la surface,
Et la beauté du cœur à celle de la face.
S'il ne vaut point en grâce un frêle adolescent,
En courage, du moins, comtesse, il en vaut cent.
Vous le verrez demain, du reste, dans l'arène.
Mais je me sens ce soir un appétit de reine
Qui passe tout le jour à courir le chemin,
Conquérant son royaume, une épée à la main.
Avez-vous faim, messieurs ? Eh bien ! suivez Penthièvre
Avec l'espoir au cœur et la joie à la lèvre,
Car tout bon chevalier a droit d'être content
Quand il sait qu'à la porte un ennemi l'attend.
Tous sortent, seul Valderose qui s'avance sur le
devant de la scène, et Suzanne d'Églou qui, restée la dernière, s'arrête au
moment de sortir et regarde Valderose qui ne la voit pas.