SCÈNE
Ire
FRANCISQUINE, aux
gros cheveux roux, les bras nus, près du fourneau.
TABARIN, saoûl.
- Tabarin entre par la petite porte basse. Il est évident qu’il vient
du cabaret.
TABARIN, chantant.
Comme j’étais au banquet,
Bon birolet,
Et qu’on dansait à ma noce,
La mère au cousin Jacquet,
Bon birolet,
Me dit : Votre femme est…
FRANCISQUINE.
Grosse bête ! sac à vin ! pendard ! brute immonde ! D’où sors-tu ?
TABARIN.
Holà ! hé ! hi ! oh ! ma petite femme ! C’est au cabaret que je suis
allé, en compagnie du bon M. Piphagne, qui m’avait dit : « Tabarin, me charo,
mi te voglio pregar d’una difficultaë. » Nous avons bu quelques bouteilles en
ton honneur, ma petite Francisquine, ma petite Francis, mon joli petit quine,
gagné à la loterie de la destinée. Ne me mords point, ne me pince point, car tu sais bien quanto io t’amo !
FRANCISQUINE.
Bon ! Tu me contes des fagots pour des cotterets. Va,
va, double jennin, de par le diable ! Va-t’en quérir du vin ; cependant je me
disposerai à manger mon potage.
TABARIN.
Point, mignonne de miel ! Je prends des
torticolis sous tes petits pieds mal chaussés, comme ce grand cornard
d’Herculès, aux pieds de la princesse qui avait une tête de lion empaillé pour
cornette de nuit, et je becquète tes ongles fripons, ne plus ne moins que les
moineaux becquetaient les raisins de Zeuxis, peintre d’Héraclée.
FRANCISQUINE.
Tu as appris tous ces beaux discours dans la compagnie du seigneur Mondor, et pour moi, je n’y entends goutte.
TABARIN, un peu dégrisé.
Tu veux que je te parle autrement ? Ecoute-moi, chérie. Le bouffon, l’ivrogne,
n’est plus ; regarde l’homme, et sois bonne pour lui. Je t’aime ardemment, j’ai
cette folie. Je t’ai rencontrée un jour, endormie la tête près du trottoir,
avec tes grands cheveux roux défaits ; il m’a semblé que le soleil était tombé
dans le ruisseau. Je t’aime. Tu fais de moi ce que tu veux. Comme je suis célèbre,
il y a des femmes, peut-être, et des plus riches, qui auraient bien voulu de moi.
Mais je t’aime. Tes grands yeux ronds, ton nez qui se
retrousse et qui a l’air d’un oiseau posé sur ton visage la queue en l’air, ta
bouche qui s’ouvre toute grande et qui baise mes lèvres comme on avale une
cuillerée de soupe, tout cela, et, tiens, tes bras nus, trop gras, me charme.
Je suis un paysan, au fond. Ma
souquenille, vois-tu, c’est une blouse. La parade, le fard, le chapeau
de Fortunatus, c’est pour les autres que ma bêtise fait rire
; pour toi, je suis un niais, sans le faire exprès. Ote ma perruque,
caresse mes cheveux. Veux-tu des pendants d’oreilles en or ? Je t’en donnerai,
et un collier de perles aussi. Quand nous aurons gagné beaucoup d’argent, nous
partirons.
J’achèterai une terre, comme un honnête homme. Nous aurons des voisins qui seront jaloux. Quand tu
passeras, ils diront : « Voilà la femme de M. Tabarini
! » Car j’aurai quitté le nom de Tabarin. Je n’aurai
plus d’or aux galons de mon haut-de-chausses, mais tu
en auras dans ta poche. Parce que je t’aime. Laisse-moi t’embrasser le cou. Tu n’as pas reprisé ta
chemise, là, devant ; tu as bien fait, c’est plus
joli. Mais toi, tu ne m’aimes pas. Sais-tu bien que
souvent, lorsque nous jouons la farce où Tabarin, qui revient de la campagne,
trouve un galant auprès de sa femme, sais-tu bien que souvent je crois que ce
malheur pourrait m’arriver un jour, en effet ? Il y a un garde de
monseigneur le cardinal qui rôde quelquefois par ici. Il me semble que je l’ai
vu l’autre soir entrer par cette petite porte. Mais non, j’avais bu,
j’avais été au cabaret, avec Piphagne. Tu as un bon coeur, tu ne
voudrais pas me rendre malheureux. Ta chemise, comme cela, c’est très-joli ; tu
as engraissé, chérie !
FRANCISQUINE.
Dis que je suis une nourrice, tout de suite ! Allons, mange ta soupe.
TABARIN.
Oui, si tu veux.
(Il la baise sur les lèvres, pendant qu’elle mange elle-même.)
Oh ! la bonne soupe ! la bonne soupe ! C’est comme du sucre brûlé.
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